Hommage à Max Von Sydow: Hawaii (1966)


Suivant ses goûts personnels, chacun aura sa propre vision de la longue carrière cinématographique de Max Von Sydow. Ancien acteur fétiche d’Ingmar Bergman pour ceux que la filmographie de l’austère suédois ne rebute pas, second rôle captivant dans L’Exorciste, invité de luxe dans des blockbusters voulant s’attirer par sa présence une certaine légitimité artistique (le cas le plus marquant étant Star Wars VII où son personnage artificiel ne semble avoir d’autre utilité que son apparition). Pour ma part, je retiendrai de lui le tueur calme et froid des Trois Jours du Condor de Sydney Pollack. Pourtant ce n’est pas ce film que j’ai choisi pour lui rendre hommage. Car si la carrière de Max Von Sydow a Hollywood a surtout été faite de seconds rôles (outre les films déjà cités, mentionnons encore Conan le Barbare, Dune, Hannah et ses Soeurs, Minority Report et Shutter Island), celle-ci avait pourtant bien commencé dans les premiers rôles. On citera bien sûr le rôle de Jésus dans l’étouffant La Plus Grand Histoire Jamais Contée de George Stevens qui marquait ses débuts à Hollywood, suivit par La Récompense, curieux film entre film noir et western, pour enfin arriver à un autre blockbuster, Hawaii, dont il sera question ici.

Jetons un coup d’oeil aux personnes impliquées dans le film. Von Sydow y partage la vedette avec Julie Andrews et Richard Harris, deux comédiens alors au sommet de leur popularité, tandis que Gene Hackman y tient un de ses premiers rôles à l’écran. Hawaii, est réalisé par George Roy Hill dont c’est le quatrième film. Jusque là il avait surtout travaillé comme metteur en scène à Broadway et avait vécu son passage derrière la caméra en commençant, assez logiquement, par des adaptations de pièces de théâtre. S’il est assez incroyable de voir un réalisateur encore peu expérimenté diriger un tel budget, il convient de rappeler que le projet avait au départ été confié au vétéran Fred Zinnemann. Celui-ci s’étant finalement retiré, on peut imaginer que Hill fut utilisé comme solution de replis. Au scénario, on retrouve Daniel Taradash (scénariste de Tant qu’il y aura des hommes, un film de Zinnemann, justement) et Dalton Trumbo, devenu après sa réhabilitation éclatante le scénariste numéro un d’Hollywood. Plus que probablement, les deux hommes n’ont pas travaillé main dans la main mais l’un a dû retravailler le scénario de l’autre, comme cela se faisait fréquemment, sans que l’on puisse dire qui a eu quel rôle. Enfin, terminons ce who’s who’s en signalant que la musique (primée par un Golden Globe) fut écrite par Elmer Bernstein, à l’époque l’un des compositeurs les plus importants d’Hollywood.


Je vais être honnête: avant de me pencher un peu sur la filmographie de Max Von Sydow suite à sa disparition, je n’avais jamais vraiment entendu parler d’Hawaii, (le film). Ce peu d’éclat d’un film disposant d’un tel budget et d’un tel panel d’artistes de premier plan me fit logiquement penser qu’Hawaii, faisait partie de ce nombre relativement important de films à grand spectacle réalisés au milieu des années 60 qui furent des échecs retentissants, provoquant la fin du Vieil Hollywood. Qui plus est, plusieurs de ces échecs avaient eu, malheureusement pour elle, Julie Andrews au sein de leur distribution (dans un récent documentaire sur l’artiste, le film est d’ailleurs faussement présenté comme tel). Quel ne fut pas ma surprise d’apprendre que non seulement Hawaii, n’avait pas été un échec commercial, mais qu’il fut un des films à rapporter le plus d’argent en cette année 1966 ! Et si les critiques de l’époque furent partagés, on ne peut pas parler non plus d’une descente en règle ; loin de là même. Après avoir vu le film, je ne peux mettre le peu de cas dont il fait état aujourd’hui que sur le désintérêt qui s’est fait (plus au niveau européen qu’américain à mon avis) de cette période de trouble dans la première moitié des années 60, ayant vu l’effondrement du système des studios. On a souvent tendance à résumer cette période à des films à grand spectacle sans grand intérêts qui furent des échecs, des comédies familiales lisses et pudibondes, des films de grands réalisateurs hollywoodiens à bout de souffle, au milieu desquels on veut bien admettre quelques réussites (Mary Poppins, Docteur Jivago, My Fair Lady, La Mélodie du Bonheur, West Side Story, Le Jour le plus Long ou encore La Grande Evasion). Si ce constat est juste, il met de côté de nombreux films dramatiques très intéressants (La Nuit de l’Iguane, Deux sur la balançoire, Sept jours en mai), de comédies très réussies (Un, deux, trois, Le Sport favori de l’homme ?, La Grande Course autour du Monde) et de grands spectacles captivants (Cléopâtre, Lord Jim, La Canonnière du Yang-Tsé et, vous l’aurez compris, Hawaii).

C’est le moment où vous commencez à vous demander ce qui a bien pu réunir Mary Poppins, l’acteur fétiche d’Ingmar Bergman, le futur réalisateur de l’Arnaque et l’un des scénaristes les plus engagé d’Hollywood. Eh bien c’est un producteur indépendant, Walter Mirisch, qui associé à la United Artist avait produit certains des films que j’ai justement cité plus haut (Deux sur la balançoire, West Side Story) mais également d’autres films de prestige comme La Garçonnière ou Les Sept Mercenaires. Il avait également produit Le Tumulte, deuxième film de George Roy Hill, ce qui explique encore plus le choix du réalisateur une fois que Zinnemann fit défection. Mirisch a l’ambition d’adapter Hawaii, la brique du romancier James A. Michener sur l’histoire de l’archipel. Romancier a succès spécialisé dans les épopées historiques dans des cadres exotiques, Michener avait vu nombre de ses romans adaptés à l’écran. Pacific Sud, son premier, fut adapté en comédie musicale à Broadway par le duo Rodgers et Hammerstein (ceux qui firent également La Mélodie du Bonheur et Le Roi et Moi) sous le titre South Pacific qui connaîtra une adaptation en film avec Mitzi Gaynor et Rossano Brazzi, Retour au Paradis sera adapté en 1953 avec Gary Cooper, Les Ponts de Toko-Ri le sera avec William Holden et Grace Kelly en 1954 (ces deux films étant réalisé par le discret Mark Robson), Sayonara verra le jour en 1957 avec Marlon Brando. Et nous voilà déjà arrivé à Hawaii. D’autres de ses livres ultérieurs connaîtront également des adaptations par la suite. Signalons malgré tout que ces films ne se sont pas tous distingués d’un point de vue cinématographique, loin s’en faut.

Heureusement, Mirisch et son équipe ont la bonne idée de ne pas adapter l’entièreté du livre, ils se centreront sur la troisième partie qui voit l’arrivée des missionnaires et des premières colonies importantes. Les deux premières parties, se basant davantage sur des mythes, sera résumée lors de la légende racontée par le Prince Keoki au début du film. La suite du roman sera, elle, adaptée, toujours sous l’égide de Walter Mirisch, en 1970 dans le film Le Maître des îles avec Charlton Heston et Geraldine Chaplin. Le film se centre donc sur Abner Hale (interprété par Von Sydow) un jeune prêtre calviniste qui se porte volontaire pour aller porter la « bonne parole » à Hawaï. Sur le papier on pourrait penser qu’il s’agit d’un énième film hollywoodien glorifiant la religion chrétienne en montrant ses bienfaits sur les païens. Heureusement (était-ce déjà à ce point présent dans le roman de Michener où est-ce surtout dû à la patte de Trumbo), ce n’est pas à cela que nous avons droit à l’arrivée… Et c’est peut-être même ce qui a déplu à certains critiques de l’époque qui prétextaient un film assez vide dans son propos.

Faisons un bref résumé de l’action. Le Prince Keoki, fils de l’Ali’i Nui (dirigeante) de l’île de Maui est venu étudier la théologie à Boston. Pensant que l’avenir de son peuple face au colonialisme passe par une occidentalisation et une christianisation de la société, il lance un appel vibrant aux jeunes diplômés pour venir convertir la population. Deux jeunes hommes sont touchés par son discours, John Whipple (joué par Gene Hackman), qui a suivi cette voie davantage pour se former en tant que médecin, et Abner Hale (Max Von Sydow). Si le doyen de la faculté n’a aucun mal à accepter la candidature de Whipple, il est plus réticent vis-à-vis de Hale. Il considère en effet que celui-ci manque de l’humilité nécessaire à sa tâche, mais surtout il faut absolument qu’il soit marié. En effet, les femmes d’Hawaï sont réputées pour avoir des moeurs bien plus libres que ce à quoi les Occidentaux de 1819 sont habitués. La tentation de fauter sera grande pour un jeune homme (l’archipel est d’ailleurs le paradis des marins en manque) et il faut absolument qu’il ait une femme pour l’accompagner. Heureusement, le doyen a une solution: sa nièce, Jerusha (Julie Andrews) est en âge de se marier.

Jerusha a bien eu une romance avec un capitaine de baleinier, Rafer Hoxworth (Richard Harris), mais celui-ci n’a plus donné de nouvelle depuis son départ pour le Japon, deux années auparavant. En fait les lettres ont du retard et le doyen les interceptera pour faciliter l’entreprise de son protégé, plus habitué à la Bible qu’aux femmes. Heureusement pour lui, Jerusha est plutôt pragmatique. Elle sait qu’elle n’a plus grand chose à attendre d’un marin qui passera sa vie à courir le monde (et les filles des ports). Se marier à un missionnaire lui semble plus sûr en cette époque où il est impossible pour une femme de s’émanciper de sa famille sans mariage. Et puis, Abner n’est pas méchant. Un peu coincé sans doute, mais promis à une belle mission. Et voilà donc nos jeunes mariés en route pour Hawaï.

Une fois arrivé, le puritanisme d’Abner va s’affronter aux traditions locales. Ses réformes, il arrivera surtout à les faire passer parce que Jerusha, plus diplomate et moins grenouille de bénitier que lui, a réussi à séduire l’Ali’i Nui. Au fur et à mesure que le temps passe, le village hawaïen se transforme en la ville coloniale de Lahaina. Abner n’a pas vraiment réussi à inspirer de l’amour aux autochtones, mais dispose malgré tout d’un certain respect. Keoki a compris que la religion ne changerait pas le cour des choses: les blancs se sentiront toujours supérieurs aux autres convertis. Cette désillusion est partagée par Whipple qui préfère franchement se lancer dans le commerce plutôt que de rester dans l’hypocrisie du monde religieux. Jerusha, s’est usée à force de conditions de vies difficiles et d’un climat qui ne lui convenait pas et meurt prématurément. Ce n’est que bien des années après son arrivée qu’Abner se rendra compte qu’il est passé à côté de sa mission à cause de son intransigeance.


Hawaii est donc plus une critique du colonialisme et des missions religieuses qu’une apologie de la religion. Bien sûr, le film pointe aussi les bienfaits de la civilisation, comme ce bébé condamné à être noyé parce qu’il possédait une tache de naissance dans le visage qui sera sauvé par l’intervention de Jerusha et Abner. Mais globalement, le propos du film montre à quel point l’arrivée de l’Occident a été néfaste pour les Hawaïens. Et si Abner ne représente pas toutes les tares (le plus sympathique Capitaine Rafer Hoxworth possède les autres), il est bien la figure centrale de cette épopée.

L’homme au départ avait pourtant un côté sympathique. Sa gaucherie lorsqu’il est amené à devoir faire sa cour à Jerusha donne lieu à nombre scènes cocasses où on pourrait voir en lui l’équivalent d’un James Stewart blond et moins souriant. Ainsi le rhume carabiné qui le prend au moment où il rencontre sa promise ou sa maladresse lorsqu’il prend le thé avec elle. Autant de séquences qui rappellent que George Roy Hill a souvent privilégié la comédie. Mais une fois le jeune couple sur leur bateau, Abner va montrer son vrai visage. Celui d’un homme ne vivant que pour la religion, prenant chaque mot de la Bible au premier degré et cherchant à insuffler aux autres - forcément plus pêcheurs que lui - la crainte d’un Dieu impitoyable. Abner se révèle en réalité plus ignorant que ceux qu’il condamne, jugeant probablement que l’ignorance de tout ce qui n’est pas biblique et religieux ne peut être qu’une bonne chose. Comme lorsqu’il reconnaît ouvertement ne pas avoir lu les ouvrages des auteurs qu’il condamne, là où le capitaine à qui il reproche ses lectures semble avoir une connaissance de la Bible bien moins restrictive que la sienne.

Mais c’est véritablement en arrivant à Hawaï que toute l’intolérance et la rage de tout ce qui est différent se révèle chez Abner. A peine son pied a-t-il foulé le sable qu’il veut détruire les anciens lieux de cultes, annihiler des traditions millénaires et faire marcher une population au son de lois célestes qui n’ont aucun sens par rapport à leur quotidien. Il est sauvé de sa bêtise qui l’aurait probablement fait lyncher rapidement par les habitants grâce au Prince Keoki qui arrive à réfréner sa trop grand précipitation à tout changer et grâce à la poigne de l’Ali’i Nui qui non seulement lui tient tête mais se montre plus forte que lui. Avec quelle jubilation nous la voyons le gifler suite à une de ses crises idéologiques, ou le remettre fermement à sa place en lui assurant, lorsqu’il prétendait le contraire, que savoir écrire est plus importante que d’apprendre la religion, et, lorsqu’il lui reproche d’être vaniteuse, de lui asséner qu’il est tout aussi vaniteux qu’elle. Pourtant, la vieille dame apprendra à le respecter, mais surtout en apprenant d’abord à aimer Jerusha qui par son amour et son désir d’aider l’autre se montre davantage la missionnaire que son mari devrait être. De ce fait, l’Ali’i Nui se révèlera elle-même plus ouverte que le missionnaire, cherchant à connaître la religion chrétienne là où Abner n’en a cure des traditions locales qu’il juge pour la plupart révoltantes.

Pourtant Abner n’a pas que des défauts. Il aime sincèrement sa femme, même s’il considère comme une faute de pouvoir l’aimer d’avantage que Dieu. Contrairement aux autres Occidentaux, il est tout à fait désintéressé par les perspectives d’enrichissements que pourraient lui apporter ce nouveau pays et il veut sincèrement aider les indigènes à vivre mieux, même s’il s’y prend mal. Si on peut bien souvent le trouver maîtrisable, on ne peut donc jamais le détester totalement. Cela est dû en grande partie au jeu tout en nuance de Max Von Sydow qui a empêché le personnage ne de devenir que hautement haïssable.

Le point culminant est lorsque Abner, blessé dans son égo en voyant que la culture et les traditions des Hawaïens continuent à prédominer sur la religion qu’il s’évertue tant bien que mal à leur inculquer, invoque Dieu pour envoyer les sept plaies d’Egypte. Lorsque la rougeole décimera une partie significative de la population, il se sentira coupable, certain dans ces convictions intégristes que toute chose ne peut être que le fruit d’une volonté divine (se faisant forcément l’allié de la sienne). C’est à ce moment que Jerusha ose enfin lui montrer son vrai visage, celui d’un homme qui n’a aucun recul sur ce qu’il enseigne et qui prône un Dieu de vengeance là où il ne devrait être qu’amour. Cette prise de conscience liée à la culpabilité qui l’a saisit lui permettra enfin d’évoluer comme individu et comme homme de religion. Hélas, sans doute un peu tard.


Face à lui, on peut se demander comment Jerusha a pu tenir si longtemps, même si elle songea un temps à s’enfuir avec Rafer Hoxworth, avant de découvrir qu’il était - dans un style différent - aussi intransigeant que son mari. Jerusha est tout ce que son mari n’est pas. Ouverte, aimante, compatissante et surtout… moderne. C’est elle qui fera toutes les démarches lorsque Abner se révèlera incapable de faire sa demande en mariage, elle qui lui répondra un peu surprise lorsque son mari lui reprochera de tenter sa chair que le mariage était fait pour ça, elle enfin qui a bien compris que la religion ne pouvait être suivie comme un dogme. Elle arrive ainsi à convaincre l’Ali’i Nui de prendre des décisions importantes (par exemple lorsqu’il s’agit de supprimer les coucheries entre les filles du village et les marins de passage) en invoquant des raisons nettement plus réalistes et justifiées (en l’occurence la propagation des maladies qui avaient déjà bien décimé la population hawaïenne) que les « c’est mal », « Dieu l’a dit » et « vous brûlerez en enfer » invoqués par son mari. Bien sûr, elle pourrait apparaître comme presque trop parfaite (amplifié par le fait que Julie Andrews incarnait le visage de la perfection depuis Mary Poppins), à ceci près qu’elle se montre trop complaisante aux lubies de son mari. Elle refuse ainsi de s’alimenter convenablement ainsi que ses enfants avec les biens que produisent l’île sous prétexte qu’Abner ne permet de manger que la nourriture de piètre qualité envoyé par bateau par la paroisse.

Dans Hawaii, en effet, les femmes (Jerusha et l’Ali’i Nui) s’affirment comme les figures positives face aux hommes intransigeants (Abner et Rafer) ou trop lâches pour s’affirmer vraiment (Keoki et son père Kelolo). Le seul homme à faire exception à cette règle est John Whipple, mais son personnage est au final, et malheureusement, très secondaire. Jocelyne LaGarde, une novice dont ce fut l’unique rôle à l’écran, incarna avec beaucoup de douceur et d’intelligence l’Ali’i Nui Malama Kanakoa. Elle donne à son personnage une force tranquille qui fit beaucoup dans la réussite du film (elle remporta d’ailleurs un Golden Globe et fut nommée pour l’Oscar du meilleur second rôle féminin). D’ailleurs, comme le mentionnera un critique, une fois son personnage décédé et terminées les cérémonies de succession (qui provoquèrent le courroux d’Abner), le film perdra de son intensité et intérêt. Le film possède d’autres personnages féminins plutôt réussis malgré une présence faible à l’écran. Tout d’abord Iliki, l’adolescente qui sera mise au service du couple Hale et dont Abner voudra (et réussira dans une certaine mesure) faire la première convertie. Elle montre parfaitement le dilemme devant lequel devait se trouver la jeune génération, entre conserver ses habitudes culturelles et sa fascination pour le progrès. Celui-ci bridant parfois trop ses instincts, elle finira cependant par suivre le beau capitaine Hoxworth (et terminera probablement dans un bordel asiatique, si on lit entre les lignes de ce que dira Hoxworth). Rôle encore plus court, celui de Noelani, la soeur et promise de Keoki. Contrairement à son frère, elle n’éprouve aucun intérêt pour la culture et la morale occidentale parce que celle-ci condamne le mode de vie et les traditions qui ont parfaitement convenu aux Hawaïens pendant des siècles. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser d’un film holywoodien, c’est elle qui arrivera au final à amener Keoki de son côté (mais aussi parce que le racisme a dégoûté le Prince de la religion chrétienne).

S’il n’est finalement que peu présent à l’écran, le personnage du capitaine Rafer Hoxworth incarné par Richard Harris mérite également que l’on s’attarde un peu sur lui. Comme Abner, il apparaît au départ comme plutôt sympathique. Il condamne la tentative de viol de ses marins sur Noelani, il affiche un franc mépris pour le puritanisme d’Abner. Mais rapidement, lui aussi va montrer un visage très sombre de l’Occident. Parfait exemple de cette figure tant honnie de nos jours du Mâle Blanc Privilégié, Rafer regrettera l’arrivée du progrès à Hawaï uniquement parce qu’elle ne lui permet plus d’exploiter la population (sexuellement pour les femmes, en tant que main d’oeuvre gratuite pour les hommes). Son égo viril en prend un coup lorsqu’il apprend que la femme qu’il aime (mais qu’il n’a pas hésiter à abandonner pour courir les mers pendants plusieurs années) l’a remplacé par un prêtre coincé. Blessé dans son orgueil, Rafer éprouvera une haine viscérale pour Abner, cherchera par tous les moyens à lui enlever Jerusha, brûlera son église, séduira et emmènera sa jeune protégée Iliki, n’hésitera pas à le laisser aux bons soins d’un requin après l’avoir jeté par dessus bord. En dépit de tout cela (et de son métier de baleinier qui, d’attrait romantique au XIXème, offre plutôt aujourd’hui le visage d’un carnage), Rafer apparaît comme plus sympathique qu’Abner et on ne peut qu’éprouver une certaine satisfaction à chaque fois (sauf la dernière) que le capitaine rossera le révérend. On regrettera également que son personnage n’apparaisse que sporadiquement, et plus d’une fois on aurait souhaiter s’embarquer avec lui pour des voyages en mer pour échapper à la pudibonderie d’Abner. Mais tel n’était pas le propos. Tout cela parce que Rafer bénéficie du charisme hors normes de Richard Harris. Le futur premier interprète d’Albus Dumbledore avait commencé son ascension, qui le verrait devenir l’un des acteurs britanniques les plus en vue des années 60, en accompagnant des vedettes de prestige comme Marlon Brando (dans la deuxième version des Mutinés du Bounty qui le mettait déjà dans le contexte du film d’aventure exotique), Kirk Douglas dans Les Héros de Telemark et Charlton Heston dans Major Dundee et en gagnant plusieurs prix majeurs (prix d’interprétation à Cannes, Lion d’or de Venise).

Hawaii n’est pas un chef d’oeuvre. En dépit de sa longueur on sent que certaines choses auraient pu être encore plus développées, les personnages (à l’exception d’Abner, omniprésent) plus creusés. C’est dire à quel point l’oeuvre de James A. Michener était riche et comme le sujet traité l’était plus encore. Mais l’oeuvre est intelligente, intéressante, bien mise en scène (si l’on excepte la scène de la tempête au Cap Horne, George Roy Hill révélant son incapacité à masquer la pauvreté des effets spéciaux pour les passages en « extérieur ») et interprétée. Le film montre que le point de vue sur le colonialisme et la religion commençait à changer, y compris à Hollywood (trois ans plus tard Marlon Brando s’investira personnellement dans le film Queimada dans une approche assez similaire). Il attire également l’attention sur une histoire assez mal connue, particulièrement en Europe. Il permet enfin de voir Max Von Sydow prendre sa pleine mesure dans un film hollywoodien. Par la suite, il prendra ses distances avec l’Amérique et lorsqu’il y reviendra, ce ne sera plus que pour jouer les seconds rôles.


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