Promenons-nous avec Batman - Partie 1 - Batman (1989)


Dans les années 70, Batman a traversé une crise. La vision Pop, délurée et ouvertement kitsch que le personnage avait eu tant à l’écran (la série culte avec Adam West) qu’en BD avait laissé des traces. Pourtant, certains fans rêvaient de lui redorer son blason au moyen d’un film. Seulement voilà, un film pouvant s’accorder à leur vision coûte cher et les studios ne sont pas intéressés. Ou alors pour rester dans la lignée de la série télé. Les choses commencent à changer avec le succès de Superman. La Warner se rend compte que les superhéros peuvent être lucratifs et décide de développer un projet sur l’homme chauve-souris. Divers scénarios sont écrits, divers castings envisagés, mais le projet piétine. Les choses vont commencer à progresser dans le milieu des années 80. Certains comics (The Killing Joke, The Dark Knight Returns) ont eu un grand succès, ont remis Batman sur le devant de la scène et surtout montrent un visage du personnage nettement plus sombre et tourmenté. La Warner engage un jeune réalisateur quasi débutant, Tim Burton. Peu amateur de comics, il a en revanche beaucoup aimé The Killing Joke et accepte donc de se lancer dans le projet. Evidemment, avec The Killing Joke pour modèle, le méchant ne pouvait être que le Joker, l’antagoniste principal de Batman. Rapidement, le nom de Jack Nicholson s’inscrit comme une évidence, quand bien même d’autres noms (Robin Williams, Tim Curry) font la queue au cas où la superstar déclinerait. Au prix d’un certains nombre d’exigences, Nicholson accepte de prêter son sourire si caractéristique au clown du crime et sa participation va permettre de donner un sérieux coup d’accélérateur au projet.


Le casting du méchant étant bouclé, il s’agit de savoir qui prendre pour le rôle de Bruce Wayne-Batman. Un vedette (Mel Gibson, Kevin Costner, Charlie Sheen et autres sont envisagés) ? Un inconnu comme ça avait été le cas pour Superman ? Burton décide de couper la poire en deux avec un acteur connu mais pas trop: Pierce Brosnan. Mais l’acteur refuse (et devra attendre quelques années supplémentaires et James Bond pour devenir une vedette). Le réalisateur se replie alors sur Michael Keaton avec qui il vient de travailler sur Beetlejuice. Mais les fans de Batman poussent des hurlements d’indignation: Keaton est surtout connu pour des comédies de seconde zone et ils craignent le retour d’un Batman typé Adam West. Une véritable campagne est orchestrée pour faire changer le studio d’avis, mais producteurs et réalisateurs, conscients que Michael Keaton a un registre plus large que celui connu du grand public, tiennent bon. Si le premier rôle féminin avait été rapidement attribuée à Sean Young, connue pour son rôle dans Blade Runner, l’actrice fit une mauvaise chute de cheval qui l’obligea à passer la main. C’est Kim Bassinger qui accepta de la remplacer au pied levé, changeant l’image de Vicki Vale de brune fatale (Young) à blonde explosive (Bassinger). Pour les seconds rôles, mentionnons également l’excellente idée de Michael Gough en Alfred (qui trouva là le rôle de sa vie) et le vétéran Jack Palance en parrain de la mafia. Curieusement, Billy Dee Williams fut engagé pour le rôle de Harvey Dent (futur Double Face). Hélas, son rôle est particulièrement anecdotique et inutile, et ne permet pas de comprendre le pourquoi du choix d’un comédien noir pour ce personnage. Enfin, si Robin fut un temps envisagé dans un rôle introductif (il aurait probablement été tenu par Kiefer Sutherland), le personnage fut abandonné.

Assez naturellement, Tim Burton proposa à son ami Danny Elfman, chanteur d’Oingo Boingo, qui s’était occupé de ses films précédents, de s’occuper de la musique. Terrorisé à l’idée de travailler sur un film de cette envergure, Elfman accoucha d’une bande-son et surtout d’un thème désormais emblématique qui allait servir de maître-étalon pour toutes ses compositions ultérieures. Mais on est dans les années 80, et la mode est aussi aux chansons Pop associées aux films. La Warner à l’idée d’une sélection mélangeant des chansons sombres et délurés écrites et interprétées par Prince et des chansons d’amour écrites et interprétées par Michael Jackson. Pourtant Burton, voulant éviter l’effet Top Gun, refusa l’idée et s’il conserva la participation de Prince, les chansons utilisées font partie intégrantes du film (diffusées par le Joker) au lieu de faire office de fond sonore. Si seules deux chansons de Prince se retrouvèrent dans le film, le chanteur et multi-instrumentiste réalisa en fait un album complet qui fit un carton, dont l’étrange « Batdance » qui réussit à être numéro 1 !


La direction artistique nous amène quelque peu hors du temps. Par bien des aspects, Batman se veut un mélange de films noirs et de films de gangsters avec quelques touches propres aux années 80. Les hommes portent l’uniforme type de ces vieux films hollywoodiens (imperméable, costume-cravate et chapeau mou), le Gotham City de cette première version peut rappeler Chicago (capitale du crime dans les années 30) ou un New York décadent. En revanche les toilettes et coiffures des femmes, Vicki Vale en tête, sont clairement à mettre à la pointe de la mode de cette fin des années 80. Bruce Wayne aussi tient plus du yuppie 80’s que de Gary Cooper ou Clark Gable. On retient cependant de ce monde coincé entre deux espaces-temps quelque chose d’assez concret malgré tout, différent de l’aspect fantastique de Batman Returns et fort éloigné de la démesure Pop des films de Joel Schumacher. Mais malgré tout loin également de l’hyper réalisme moderne et quotient de Christopher Nolan. La personnalité de Burton n’est d’ailleurs pas aussi affirmée qu’elle le sera sur la suite et de ce fait servira d’influence à l’ambiance de plusieurs films de superhéros des années 90 (The Shadow, Darkman et, dans un style plus coloré, The Mask). Cela s’explique que, étant pour la première fois à la tête d’un blockbuster, le réalisateur n’avait pas autant les mains libres que ce qui sera le cas une fois ces preuves faites ici et l’énorme succès du film.

L’une des idées intéressantes du film était de nous mettre directement en contact avec Batman. Qui est-il, pourquoi fait-il cela, les clés nous sont données au fur et à mesure du film (même si évidemment, le fan le sait déjà). On évite donc de perdre du temps avec la construction du héros et la raison de ses origines, choses qui deviendra un passage obligé du genre après le Spiderman de Sam Raimi (mais il était plus difficile de faire l’impasse dans le cas de Spiderman, tant cela fait partie de ce qui le définit). Ici Batman est déjà opérationnel, même s’il semble actif que depuis peu. Seuls le reporter Alexander Knox et quelques témoins des bas-fonds y croient. Knox, et sa partenaire Vicki Vale sont d’ailleurs dans un premier temps nos guides. Du moins jusqu’à ce qu’ils croisent Bruce Wayne. Contrairement à eux, le spectateur est vite mis dans le secret de la double identité du milliardaire. Mais c’est malgré tout grâce à eux, suite à l’intérêt de Vale pour Wayne, que nous comprenons pourquoi il est devenu Batman… jusqu’au terrible flashback dans la mémoire de Bruce Wayne. D’ailleurs, cette mise en scène du meurtre des parents Wayne sous les yeux de leur fils n’a jamais été aussi bien réalisée que dans ce film. Les ajouts de Schumacher dans Batman Forever seront quelconques, la version de Nolan dans Batman Begins sera - curieusement - bien trop mièvre.

Si The Killing Joke avait pu servir de point de départ, l’histoire du film s’en éloigne fortement. Le comics racontait par le biais de flashback la création du Joker et c’est le seul point qui sera gardé ici (rien de la mutilation de Barbara Gordon ou de l’enlèvement du commissaire Gordon dans un parc d’attraction abandonné ne sera gardé ici). Et même dans ce cadre-là, les scénaristes ont changé une série de choses. Ainsi, si dans la bande-dessinée le Joker est un comique qui galère et participe à un hold-up acculé par le besoin de subvenir à son jeune ménage, la version du film le présence comme Jack Napier, un délinquant de longue date qui est devenu depuis le bras-droit du parrain de la pègre de Gotham, Carl Grissom. Le hold-up, il ne le commettra que forcé par Grissom qui veut le punir d’avoir une liaison avec sa copine (Jerry Hall, à l’époque Madame Mick Jagger). Le résultat sera cependant le même dans les deux versions: le hold-up de l’usine tourne mal à cause de la venue de Batman et il se retrouve plongé dans de l’acide qui le défigurera et le fera basculer définitivement vers la folie. Notons que dans The Killing Joke, le mental du futur Joker avait déjà été malmené par la mort accidentelle de sa jeune femme et de l’enfant qu’elle attendait. Dans le film, Napier est déjà présenté comme un cheval fou depuis sa jeunesse. Le tournant intéressant qu’induit le film en présentant le Joker comme un gangster de longue date, est qu'il permet de faire de lui l’assassin des parents Wayne alors qu’il était tout jeune. Ainsi, si Batman était la cause de la transformation de Napier en Joker, Napier était la cause de la transformation de Wayne en Batman. La boucle était bouclée.

Parlons justement de l’interprétation de nos deux antagonistes. Si Christian Bale a depuis réussi à proposer ce qu’on pourrait qualifier de version définitive de Bruce Wayne-Batman (milliardaire indolent le jour, justicier violent la nuit), Michael Keaton satisferait la majorité de ses détracteurs par sa prestation qui est d’ailleurs, sous plusieurs aspects, plus subtile que celle de Bale. La solitude, la blessure due à la mort de ses parents, se sent davantage. Wayne sous les traits de Keaton ressemble à un enfant qui a perdu ses repères, à un adulte que le traumatisme a rendu inapte à vivre véritablement en société même s’il essaye de donner le change. En outre, il est tout à fait crédible sous la cagoule de latex. Sa croisade est tout autant une quête pour extérioriser ses souffrances voire une certaine culpabilité qu’une lutte d’esprit avec le Joker. Bien sûr, celle-ci se terminera en vengeance lorsqu’il se rendra compte qu’il s’agissait du meurtrier de ses parents. Peut-être est-ce là un « défaut » du film par ailleurs, puisque Batman tue le Joker alors que traditionnellement il aurait fait le serment de ne pas tuer. Mais évidemment, cette fin a plus de force que s’il s’était contenté de le mettre sous les verrous.


Nicholson, de son côté, a parfaitement retranscrit ce qu’était le personnage des comics. Une drôlerie macabre, un humour noir mortel, une bonne humeur sanglante. Le grand écart perpétuel. Oui, l’acteur est bien le Joker tel qu’il avait été depuis sa création en 1940 jusqu’en 2008. Et si certains on la larme à l’oeil en qualifiant le regretté Heath Ledger de « meilleur Joker », c’est qu’ils n’ont pas compris que sa prestation - époustouflante il est vrai - tenait plus du serial killer peinturluré que du clown du crime. Pour la défense de Ledger, il lui était indispensable de chercher le contre-pied de ce qu’avait proposé Nicholson, puisque toute tentative d’essayer de coller au « vrai Joker » ne l’aurait conduit qu’à être en dessous du précédent interprète. Et puis, cela convenait mieux à l’univers hyper réaliste de Nolan, mais je m’égare. Bref, Nicholson semblait né pour jouer le Joker comme Christopher Reeve l’était pour être Superman. D’ailleurs, l’acteur avait été le choix de Bob Kane, son créateur, c’est dire. En ce qui concerne Kim Basinger en Vicki Vale, les réserves que l’on pourrait avoir sont plus par rapport à l’écriture de son personnage qu’à son interprétation. Vale est un peu dans le cliché du « c’est ton travail ou moi » en sous-entendant que une autre réponse que « moi » serait vu comme un affront mortel. Bref, elle est un peu trop ‘quotidienne’ et ‘normale’ pour cet univers de superhéros et plutôt que devenir la femme fatale qui aurait bien convenu à ce film inspiré des films noirs, c’est un autre cliché hollywoodien qu’elle devient: la demoiselle en détresse. Rôle qui la met donc moins valeur qu’elle l’aurait mérité. Cela dit, elle reste nettement plus intéressante que le personnage un peu creux et limite nympho de Chase Meridian dans Batman Forever.

Ce qu’il ressort au final de Batman, c’est qu’il manque un petit peu de prise de risque. Probablement une volonté du studio qui avait certainement des appréhensions sur l’accueil et a donc préféré jouer la carte de la sécurité. Politique qui s’est avérée payante puisque Batman fut un des plus gros succès de l’année 1989. De ce fait, Tim Burton eut les coudées libres pour le suivant. Cela dit, s’il a un côté un peu sage, ce premier film de la saga reste une franche réussite et garde des moments franchement jubilatoires (principalement dus à Nicholson mais pas que). Bref, ce duel au sommet - c’est le cas de le dire vu le final - entre Batman et le Joker était clairement à la hauteur des attentes.


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