Hommage à Doris Day: Un pyjama pour deux (1961)


On a tendance a l’oublier aujourd’hui, mais pendant une quinzaine d’années, Doris Day fut une immense vedette, quasiment l’équivalent féminin d’un Frank Sinatra. Vedette de la chanson, vedette de la télévision et surtout vedette du cinéma puisqu’elle reste aujourd’hui encore une des célébrités ayant le plus souvent été en tête du box-office. Si bien sûr c’est grâce à la seconde version de L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock qu'elle est passée à la postérité, l’essentiel de sa carrière s’est fait dans la comédie. Musicale d’abord, à l’époque où le genre était à son sommet, puis romantique à l’orée des années 60. Le meilleur représentant de cette seconde période est Confidences sur l’oreiller (Pillow Talk en version originale) qui reçu même l’Oscar du meilleur scénario, chose suffisamment rare pour une comédie pour le signaler. La blonde actrice y croisait le brun Rock Hudson qui se révélait meilleur comédien qu’on aurait pu le penser. Evidemment, le succès du film conduisit Universal a en produire un nouveau. Même duo (ou plutôt trio car au couple vedette s’adjoignait l’excellent Tony Randall), même scénariste (nommé aux Oscars à nouveau même si cette fois sans succès), même réussite. Lover Come Back est en effet presqu’aussi bon que Pillow Talk en dépit d’un titre traduit en français par Un pyjama pour deux… alors que de pyjama, il ne sera jamais question dans ce film !

A l'époque, Doris Day incarnait la femme américaine idéale, le parfait visage d’une pub pour Kellogg’s. On était loin de la sulfureuse Marilyn Monroe ou de l’ingénue Audrey Hepburn. Oui mais l’actrice était trop intelligente (et le scénariste Stanley Shapiro également) pour que cette image de femme prude et un peu coincée qui lui valu quelques bons mots assez méchant (le plus subtile étant celui de Jack Benny: « Je l’ai connue avant qu’elle devienne vierge. ») ne soit pas tournée en dérision. Car, comme dans Pillow Talk, Doris Day est dans ce Lover Come Back, la garante de la bonne moralité face au trublion Rock Hudson. La trame est commune aux deux films: Hudson et Day se connaissent sans s’être rencontrés, chacun désapprouvant la conception de la vie de l’autre ; ayant découvert le physique et la personnalité plus avenants qu’il ne le pensait de Day, Hudson va se faire passer pour un autre afin de la séduire. Pillow Talk traitait de deux new-yorkais obligés de partager une même ligne téléphonique, Lover Come Back nous présente deux agents de publicité aux méthodes diamétralement opposées.

Ainsi, si Doris Day (Carole Templeton dans le film) est une bosseuse qui essaye d’attirer des clients en créant la campagne le plus à même de mettre le produit en valeur, Rock Hudson (Jerry Webster) cherche à séduire le client à coup d’alcool, de filles, de faux points communs et de campagnes publicitaires basée sur le sexe (« je peux tout vendre avec une fille en maillot de bain » dira-t-il, non sans raison). Je vous laisse deviner, au regard de ce que nous propose la publicité depuis presque soixante ans (l’âge du film) qui s’en sort le mieux. D’autant que Carole Templeton a le gros désavantage d’être une femme dans un monde qui reste encore très masculin. Templeton reproche à Webster d’être un obsédé malhonnête, Webster réplique en traitant Templeton de frustrée. Ambiance. Les deux rivaux ne se sont pourtant jamais rencontrés, Templeton travaille à New York que depuis peu et les seuls échanges l’ont été par téléphone. Même lorsque Webster est cité à comparaitre devant un comité d’éthique suite aux accusations de Templeton, il arrive à se défier. Et pour arriver à calmer une mannequin prête à témoigner contre lui, Webster lui fait tourner une série de spots pour un produit qui n’existe pas: les Vips. Le témoignage de la jeune fille est donc favorable à Webster, mais Templeton comprend qu’il y a eu un arrangement et arrive à apprendre l’existence des Vips. Templeton est donc décidée de se venger en prenant à Webster ce marché qui a l’air si fabuleux. Mais, alors que Webster avait l’intention d’enterrer les spots tournés, son patron, Peter Ramsey Jr (excellent Tony Randall) qui vit toujours dans l’ombre de son père, décide de lancer la campagne, pensant enfin prendre une décision profitable à la société dont il a hérité.

Et c’est la panique, la pub des Vips provoque une énorme demande. Pour sauver l’affaire, Webster met sur le coup un chimiste de génie appelé à créer les fameux Vips. Par un quiproquo, Templeton va prendre Webster qu’elle ne connait toujours pas, pour le dit chimiste, et entreprend de lui faire choisir sa compagnie à la place. Intéressé par les idées de Templeton qu’il pourra faire sien, attiré par l’idée de discréditer auprès de ses patrons sa rivale, intéressé par la perspective de pouvoir passer du bon temps auprès de la plutôt désirable Templeton, Webster se fait passer pour le chimiste. Avec beaucoup de talent, il se développe une personnalité de philanthrope doux, naïf et… puceau. Un cocktail qui attendrit Templeton d’autant que Webster, le faux Linus Tyler, est plutôt pas mal (Rock Hudson oblige). Evidemment, pendant tout ce temps passé ensemble, les deux tombent amoureux jusqu’à ce que Templeton découvre le pot aux roses. Webster arrive cependant à produire devant une nouvelle audition du comité d’éthique les fameux Vips inventés par le Docteur Tyler. Des bonbons inoffensifs, pensent-ils. En réalité, l’équivalent de trois martinis pour chaque bonbon: la cuite à 10 cents. Et Webster et Templeton se retrouvent le lendemain dans un motel… mariés. Au grès de quelques péripéties Webster arrivera a vendre grassement le brevet des vips au lobby de l’alcool au profit de Templeton et se réconciliera auprès de cette dernière qui avait fait annuler le mariage lorsqu’il apprendra qu’elle est enceinte de lui.

Bref, Lover Come Back présente un scénario assez alambiqué et qui pourtant tient la route presque sans fausse note. Les quelques fausses notes, elles sont dues à la volonté de garder la morale sauve. Ainsi, la scène jubilatoire où Jerry Webster (sous l’identité de Linus Tyler) attire très adroitement dans la chambre une Carole Templeton qui devient prête à le « dépuceler » est arrêtée de justesse par un deus ex machina permettant à la jeune femme de découvrir la véritable identité de l’homme avant de commettre « l’irréparable ». Et si les scénaristes essayent de rattraper le coup en proposant un autre gag où Templeton, par vengeance, abandonne sur la plage un Webster nu comme un ver, la mise en scène de ce moment est gâchée par une réalisation manquant d’audace et qui du coup ne montre rien du ridicule de la situation. Plus anecdotique, lorsque Webster et Templeton se réveillent d’une cuite mémorable au Vip dans le même lit dans un hôtel de province, ils constatent qu’en dépit de leur taux d’alcoolémie élevé ils ont tout de même eu la présence d’esprit de se marier (!). Certes, le code de censure était encore présent à l’époque, mais en ce début des années 60 il commençait à s’effriter soigneusement et les réalisateurs les plus talentueux (Hitchcock, Wilder…) n’avaient plus aucun mal à le détourner. Mais s'il accompli un travail correcte, le réalisateur Delbert Mann ne fait rien de plus que ce qu'on lui demande. De même le final avec le mariage dans l’ascenseur juste avant la salle d’accouchement sent une nouvelle fois un peu trop le puritanisme américain et manque de subtilité. Dernière faute de goût, la collection de chapeaux aussi kitsch que laids dont se trouve affublée Doris Day. Difficile de comprendre comment l’actrice a pu accepter de les porter (à moins bien sûr qu’elle ait pensé que cela convenait à l’aspect un petit coincé et risible du personnage…).

Mais ces quelques défauts ne suffisent pas à atténuer la grande réussite du film qui, même s’il est moins corrosif que les comédies de Billy Wilder et Howard Hawks, reste franchement drôle et globalement bien écrit. La satyre de la pub en filigranes est en outre plutôt réussie et les quelques allusions à l’hypocrisie américaine vis-à-vis de l’alcool («Je donne enfin au Monde ce dont il a besoin: une drogue à dix cents » dira Linus Tyler) font mouche. Et évidemment, les différents acteurs tiennent merveilleusement bien leurs personnages. Bien sûr on a déjà dit que Rock Hudson présente ici une prestation comique plutôt convaincante (l’une de ses meilleures avec Pillow Talk et Man’s Favorite Sport) tandis que Doris Day arrive a rendre sympathique un personnage de femme prude qui aurait rapidement pu devenir agaçant. Si on regrettera que le désopilant Tony Randall en patron mal dans sa peau n’ait pas eu plus de présence à l’écran, on notera une assez jolie galerie de seconds rôles tous réussis dans leur genre. Mention pour le gag récurent des deux provinciaux d’âge mûr ébahis par les prestations sexuelles supposées de Rock Hudson et du coup surpris de le découvrir vêtu uniquement d’un manteau de vison au petit matin. « C’est la dernière personne dont j’aurais pensé ça », dira l’un d’eux, déçu d’imaginer que leur alpha-mâle avait peut-être des penchants moins virils. Depuis, cette réplique prend une dimension encore plus forte en connaissant l’homosexualité de l’acteur, inconnue alors du grand public pour qui il était un des grands sex-symbols masculins de l’époque, mais secret de polichinelle dans le milieu hollywoodien. Difficile de penser qu’il n’y ait pas eu une allusion discrète de la part des scénaristes.


Si Lover Come Back ne plaira pas à tous car étant fort ancré dans son époque d’un point de vue des mentalités. Cela reste malgré tout une comédie romantique très réussie qui n’a rien à envier (au contraire même) à des exemples plus contemporains.

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