Promenons-nous avec Batman - Partie 4 - Batman & Robin (1997)


Un héros orphelin qui doit apprendre la vie en famille, un père de substitution mourant, un conflit de génération, une héroïne qui n’a rien à envier à ses partenaires masculins, un célèbre savant ayant choisi une vie criminelle pour sauver sa femme, une scientifique voulant attirer l’attention sur les dégâts écologiques causés par l’humanité… Sur le papier, Batman & Robin avait tout pour être un film intéressant et captivant. A l’arrivée il reste le plus mauvais film (à ce jour) mettant en scène le chevalier noir. Que s’est-il donc passé ? Qu’est-ce qui a transformé un film au postulat de base si pertinent en l’un des films les plus détestés de l’histoire ?

La responsabilité du désastre est généralement attribuée au seul réalisateur, Joel Schumacher, dont la carrière ne s’en remettra jamais vraiment. S’il a certainement une importance non négligeable (vu qu’il est celui qui avait généralement le choix final), ce serait un peu simplifier les choses. Au départ, il y a la question de « Qu’est-ce que Batman ? » Pour la majorité, Batman est un personnage sombre, solitaire, torturé. Semblable à la vision que Christopher Nolan et, de manière assez différente, Tim Burton nous ont montré au cinéma. Semblable aussi à de nombreux romans graphiques très réussis depuis les années 80. Mais le personnage existe depuis 1939 et en presque 80 ans, il évident qu’il a connu des avatars très différents et souvent très opposés à la vision que le grand public veut avoir actuellement du personnage. Il y a bien sûr la kitschisime série télévisée des années 60 (série qui était d’ailleurs l’une des influences de Schumacher), qui correspondait tout à fait aux goûts de l’époque et qui n’était pas très éloignée de ce que le personnage était alors en BD. Imaginez que le Batman des comics des années 60 avait un bat-chien et un bat-singe entre autres ! C’est également dans les années 60 qu’apparaît Barbara Gordon qui sera la première Batgirl d’envergure (mais pas la première incarnation du personnage). Si à partir des années 70 le ton perdra son côté fantaisiste passé de mode, que Robin prendra ses distances alors que Dick Grayson devenait adulte, Batman connaîtra toujours des histoires où il est entouré d’alliés voire d’une véritable équipe. N’oublions pas qu’il fut l’un des membres fondateurs de la Justice League Of America en 1960. Héros obligatoirement solitaire, Batman ? Cela peut donc se discuter. Ainsi, la volonté de Schumacher et de la Warner d’intégrer Robin (dont il convient de rappeler qu’il était apparu dans les comics un an seulement après la création de Batman) puis Batgirl reste cohérent avec l’historique du personnage, n’en déplaise à certains.

Batman et Robin devant un prototype de machine nespresso.
Un autre reproche fait à Schumacher (dans ses deux Batman), c’est le côté gay-friendly. L’aspect le plus important était évidemment les tétons dessinés sur les armures de Batman et Robin. Schumacher s’en défendra en disant qu’il s’était inspiré des statues gréco-romaines et il disait sans doute la vérité. Ainsi, l’armure de Batgirl présentera des seins semblables également à ceux des statues antiques. Il n’empêche qu’on peut reconnaitre que ce n’était peut-être pas du meilleur goût, mais il serait de mauvaise fois de dire qu’on ne voit que ça lorsqu’on regarde ces films (ou alors, c’est parce que ça émoustille le spectateur de se focaliser sur ce détail). Ajoutons aussi un Dick Grayson en civil au look qui le ferait sortir d’un boys band, et il n’en fallait pas plus pour qu’on prétende que Schumacher (homosexuel notoire) sous-entendait une relation homo entre Batman et Robin. Pourtant, en regardant les deux films, il est difficile d’y voir la moindre allusion. Dick Grayson ne semble rêver que se faire une fille (ainsi que le révélait le Sphinx dans Batman Forever) et semble pas du tout insensible aux charmes de Barbara-Batgirl et de Poison Ivy. Dans Batman Forever Bruce Wayne ne pensait qu’à se faire Chase Merdian (Nicole Kidman), qu’importe que ce soit en tant que Batman ou Bruce Wayne. Dans Batman & Robin, il est vrai que sa vie sentimentale est moins mise en avant que dans les trois films précédents. Julie Madison (Elle MacPherson) n’est là que pour la décoration, et s’il n’est pas insensible non plus à Poison Ivy, il en prendra rapidement ses distances. Si on peut donc mettre en doute son intérêt pour une histoire d’amour dans ce film, c’est surtout parce que le nombre de personnages et d’intrigues n’en laissait tout simplement pas la place. Quelle était l’importance en effet pour Bruce Wayne que Julie Madison veuille l’épouser alors qu’il doit faire face à la maladie d’Alfred, son père de substitution, et la crise d’adolescence-d’ego de Dick/Robin, son jeune frère d’adoption ? Encore une fois, si le spectateur y voit des allusions homosexuelles, c’est plutôt parce qu’il souhaite les voir que parce qu’elle s’y trouvent.

Mais si on remarque que deux des accusations principales faites à Schumacher ne tiennent pas vraiment la route, ce n’est pas pour autant que le film est bon. Car il y a quelque chose qui a fait d’un film prometteur un ratage: son scénario et surtout ses dialogues. Rappelons que Tim Burton avait été écarté de la réalisation d’un troisième Batman parce que la Warner souhaitait un film familial, ce que n’était pas vraiment Batman Returns. Schumacher accomplit cette mission de manière acceptable avec Batman Forever, ce qui impliqua la règle élémentaire de toute suite de blockbuster: « faire la même chose en plus fort ». Ainsi on rajoute une nouvelle recrue, les méchants sont encore plus hauts en couleurs, les décors plus gigantesques et l’humour plus présent. Enfin du moins, c’est probablement ce qui était voulu car pour ce dernier point, c’est tellement forcé que c’est raté. En effet, les deux antagonistes - Mr Freeze et Poison Ivy - se retrouvent la cible de jeux de mots pourris concernant la température pour l’un, la botanique pour l’autre. De multiples punchlines affligeantes viennent donc polluer l’intrigue de même que leur nombre incalculable (mieux vaut ne pas en faire un jeu à boire) déforce complètement ce qui aurait pu passer en restant à une ou deux allusions. A ce jeu, c’est le pauvre Arnold Schwarzenegger/Mr Freeze qui en fait le plus les frais (si j’ose dire…). Les trois quart de ses répliques ne consistent qu’en cela, ce qui n’aide pas ses capacités d’acteur assez limitées. Il est d’ailleurs assez incroyable que vu le poids que l’acteur avait à l’époque à Hollywood, il n’ait pas jugé indispensable de faire réécrire son texte. Disons pourtant pour sa défense que Schwarzenegger a une ou deux séquences plus intéressantes, plus nostalgiques, face à sa femme cryogénisée, qui prouvent que quelque chose de bien aurait pu être fait avec ce personnage.

Qui arrosera la pelouse de Poison Ivy ? Le jeu de mot est hélas issu du film et pas de moi.
Mais si Mr Freeze a droit à quelques moments qui le sauvent, ce n’est pas le cas de la pauvre Poison Ivy. Elle est une méchante caricaturale et sans saveur dont les motivations sont floues. Certes, elle déclare vouloir sauver les plantes, mais passe plus de tant à vouloir se faire Mr Freeze (qui ne laisserait pourtant pas beaucoup de chances aux plantes), allant jusqu’à supprimer sa rivale, qu’à se battre pour la planète. Pourtant le personnage méritait beaucoup plus. Née dans les années 60, suite aux débuts de conscience écologique, elle aurait pu amener à des réflexions intéressantes sur le sujet. Hélas sa seule percée en tant que véritable écologiste, lorsqu’elle présente un plan de sauvegarde de la biosphère peut-être un peu drastique, est rabrouée par un scandaleux « les humains d’abord » de la part de Bruce Wayne. Il faut dire qu’en 1997, l’écologie était passé de mode, mais quand même ! Uma Thurman a heureusement l’occasion de briller à quelques occasion. Lorsqu’elle se présente à son bourreau-créateur, lorsqu’elle séduit le commissaire Gordon et surtout lorsque, après être sortie telle Marlene Dietrich dans Blonde Venus d’un costume de gorille, elle pousse Batman et Robin à se disputer pour elle. Certains se plaindront sans doute également que Bane ait été relégué au rôle de primate gorille de service. Pour ma part, n’ayant jamais été fan du personnage, je trouve qu’il ne méritait pas plus. De bons méchants font de bons films. Ici, malgré un potentiel énorme, leur traitement caricatural a probablement eu sa cause dans le ratage du film.

Mais les méchants ne sont pas les seuls à blâmer. En effet, le casting de George Clooney en Batman/Bruce Wayne est l’une des plus mauvaises idées du film. Ayant réussi à atteindre la célébrité après des années de rôles médiocres grâce à la série Urgence, Cooney faillit bien replonger à cause de ce film qui le montrait comme le plus mauvais Batman de l’histoire. Heureusement que les frères Coen et Stephen Soderbergh le sauvèrent de justesse. On peut regretter que Val Kilmer n’ait pas rempilé car il avait fait l’affaire dans Batman Forever, mais Schumacher n’avait pas apprécié travailler avec lui et de toute façon il était déjà pris par le tournage de l’adaptation du Saint. Kilmer n’eut pas loisir de se féliciter de cet absence car le Saint fut un bide aussi grand que Batman & Robin (contrairement à ce film, on n’en parle même plus) et contribua tout autant à faire plonger sa carrière que ne l’aurait fait le quatrième volet de l’homme chauve-souris. Schumacher aurait voulu William Baldwin à la place, mais la Warner préféra Clooney. Mauvaise idée. Car la personnalité de Clooney transpire l’écran et à aucun moment on ne pense avoir affaire à Bruce Wayne. Non, on ne voit que George Clooney. Même lorsqu’il a le costume du justicier, on a l’impression qu’à tous moments il va nous sortir un « What Else » ou boire un nespresso, malgré le fait qu’il n’était pas encore l’égérie de la marque à l’époque. Gageons que si cela avait été déjà le cas, les scénaristes auraient trouvé le moyen d’y faire allusion.

Alicia Silverstone dû subir les commentaires orduriers de la presse, la comparant à un cochon. 
Le traitement des méchants étant raté, Batman mal distribué, il ne restait que trois personnages pour essayer de maintenir notre intérêt. Robin, Batgirl et Alfred. Le premier est l’un des personnages les plus haïs de la saga cinématographique et, alors que tous les jeunes loups de l’époque comme Brad Pitt ou Leonardo DiCaprio avaient été candidats pour le rôle, il coûtera sa carrière à Chris O’Donnell. Il faut dire que, outre le look boys band années 90 déjà mentionné, le personnage est assez tête à claque en rebelle de bac à sable qui ne pense qu’avec son entre-jambes. Dans Batman & Robin, cela ne s’arrange pas par rapport au précédent, entre crise d’égos, râlant parce qu’il n’a pas de voiture  et croyant que Batman est jaloux de l’intérêt que Poison Ivy lui porte. Dommage qu’on ait pas plus mis en exergue sa relation naissante avec Barbara/Batgirl et sa difficulté à exister dans l’ombre de Batman. En revanche, alors que Batgirl pouvait paraître comme l’ajout de trop, c’est finalement une des rares à tirer son épingle du jeu. Déjà parce qu’elle est interprétée par la ravissante Alicia Silverstone (qui elle aussi eut du mal à se remettre du film professionnellement parlant), mais aussi parce que le personnage est moins nunuche qu’on aurait pu le penser. On peut même dire que c’est elle qui sauve la fête. Si on a quelque peu changé ses origines (de fille de Gordon, elle devient nièce d’Alfred), cela ne nuit pas au personnage, au contraire. Ainsi, elle participe à des courses de moto viriles pour payer de quoi offrir une retraite à son oncle (sans savoir évidemment que c’est la dernière chose que celui-ci souhaite). Ce changement d’origine va lui donner une plus grande implication dans l’histoire que si elle était juste la fille de Gordon dont le rôle est réduit ici au strict minimum. C’est elle aussi qui sauve Batman et Robin de Poison Ivy tout comme elle répare le télescope permettant de décongeler la ville. Alors que Bruce Wayne et Dick Grayson ont tous deux des scènes assez lamentables, celles de Barbara sont plutôt intéressantes et on aurait voulu la voir encore un peu plus. Mais bien sûr, cela reste Alfred le personnage le plus intéressant. Alfred est un peu l’arme secrète de la saga (chose qu’avait bien comprit Nolan en confiant le rôle à Michael Caine) et Michael Gough y a sans doute trouvé le rôle de sa vie. Il est parfait en vieux grand père rassurant qui veille sur tout. Il est surtout l’une des rares continuités entre les quatre épisodes (avec Pat Hingle qui joue un Gordon assez effacé). En ce sens, le rendre atteint d’une maladie incurable qui va toucher les trois héros voyant s’effondrer leur figure paternelle, rend le combat qu’ils mènent bien plus intéressant. La maladie d’Alfred est sans doute la seule chose où le film garde ses promesses et permet de lui conserver un semblant d’intérêt.

Evidemment, on sent que le problème du film est d’avoir privilégié le côté film pour enfants (avec plein de jouets dérivés à la clé) sur les problématiques de base. Malheureusement, à force de jouer la facilité, de ne prendre aucun risque en répétant des schémas du précédent, Batman & Robin s’enfonce encore. Ainsi, voulant donner une acolyte sexy à Mr Freeze, comme ça avait été le cas avec Double-Face, le film créé un contre-sens. Que vient faire cette fille dans l’entourage de Freeze alors que celui-ci est fou amoureux de sa femme et ne se sent nullement intéressé par elle (il la rejette ouvertement) ? A part avoir donné un salaire à une actrice et été prétexte à quelques jeux de mots pénibles de plus, son rôle est inutile et surtout montre la vacuité du scénario. Ce rôle, d’apparence anodin, est assez symptomatique du problème du script (je ne parle plus ici des dialogues débiles): aucune cohérence n’est recherchée, juste l’effet visuel ou humoristique. Oh, bien sûr c’est un reproche qu’aujourd’hui on pourrait faire à bon nombre de films. D’autres moments sont rajoutés de manière inutiles pour rappeler des moments qui avaient bien marché sur le film précédent mais qui tombent ici à plat car forcés. Comme le moment où Poison Ivy et Bane tombent sur une bande de délinquants aux peintures fluo. La liste des exemples d’effets réchauffés et de non-sens est malheureusement longue.

Mr Freeze ne peut survivre exposé à la température normale mais peut apparement fumer le cigare. Il faut dire que ces havanes hors de prix étaient offerts par Jon Bon Jovi.
La direction artistique reste cependant le grand point fort du film. Décors plus grands que nature, très colorés et élaborés, costumes outranciers, ils sont clairement dans le monde du fantastique et de la bande dessinée. Nous sommes bien loin du monde urbain ultra-contemporain qui reste la grande faiblesse des Batman de Nolan. Schumacher sait que ses héros viennent d’une bande dessinée et ne cherche pas à leur donner une crédibilité par rapport à notre monde à nous. Il est juste dommage qu’autant d’attention n’ait pas été porté au scénario. L'échec du film mis au placard le projet d'un cinquième film qui aurait vu - enfin - l'apparition de l'Epouvantail (dans un registre qui aurait été plus proche de lui que son rôle pétard mouillé dans Batman Begins et ses suites) et un probable retour du Joker de Nicholson dans les cauchemars de Batman créés par son nouvel antagoniste.

Vingt ans après sa sortie, Batman & Robin demeure un plaisir coupable. Il se révèle peut-être plus facile à regarder aujourd’hui car il est devenu le témoin d’une époque. Une époque où la démesure commençait à envahir les franchises sans pour autant que le numérique ait pris le pouvoir. Il reste époustouflant visuellement, ouvertement kitsch et certainement mauvais, mais on ne peut lui nier un certain charme.

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