Promenons-nous avec Batman - Partie 3 - Batman Forever (1995)


Déçu que Batman Returns n’ait pas été aussi lucratif que son prédécesseur, la Warner souhaite que le troisième Batman soit moins sombre et plus familial. Tim Burton est alors poussé gentiment vers la sortie (il restera producteur) et Joel Schumacher est embauché à la place. Connu pour St Elmo’s Fire et The Lost Boys, Schumacher va produire un Batman plus coloré, plus Pop et plus humoristique. Cependant, l’histoire prévue originalement par Tim Burton restera en filigrane puisque Batman affrontera bien Double-Face et le Sphinx (rebaptisé ici l’Homme mystère pour des raisons de synchronisation de doublage avec The Riddler). L’Epouvantail, qui devait également les accompagner, fut supprimé ce qui n’était sans doute pas une mauvaise idée car cela aurait fait trop de personnages. Cela dit, quand on sait que Jeremy Irons avait été envisagé pour le rôle, il y a quand même de quoi éprouver quelques regrets. Enorme succès à l’époque, Batman Forever est souvent regardé aujourd’hui avec dédain. Sans doute a-t-il été contaminé par la réputation désastreuse de Batman & Robin, car en soi, le film n’a rien de honteux et, malgré un petit aspect putassier, est même plutôt réussi.

Le retrait de Tim Burton eu pour conséquence d’entraîner la défection de Michael Keaton. Un nouveau Batman devait donc être trouvé. Après qu’Ethan Hawke ait refusé le rôle, celui-ci fut envisagé pour Daniel Day-Lewis, William Baldwin et, de manière plus surprenant, Ralph Fiennes et Johnny Depp avant d’être attribué à Val Kilmer dont l’étoile ne cessait alors de monter. Bien que Billy Dee Williams ait incarné Harvey Dent dans le premier film, il fut plutôt choisi d’utiliser Tommy Lee Jones, qui correspondait mieux physiquement et venait de connaître la gloire avec Le Fugitif, pour le rôle de Double-Face. Deux décisions que Schumacher dut regretter amèrement vu le comportement extrêmement désagréable de Kilmer et Jones durant le tournage. Quant à l’Homme mystère, si Robin Williams fut un temps considéré, c’est Jim Carrey, alors auréolé du succès de The Mask, qui obtient le rôle qui lui allait comme un gant. Il n’est pas faux de constater que l’acteur volera la vedette à ses partenaires, ce qui lui entraînera les foudres de Tommy Lee Jones. Après que Leonardo DiCaprio ait finalement décidé de refuser d’interpréter Robin, c’est Chris O’Donnell, autre jeune premier montant, qui obtint le rôle. Signalons que Tim Burton avait au départ pensé confier engager un acteur noir. Enfin, la belle Nicole Kidman succédait à Kim Bassinger et Michelle Pfeiffer comme la blonde qui allait faire tourner la tête de Bruce Wayne. Seuls deux acteurs reprenaient leur rôle, Michael Gough en Alfred et Pat Hingle en Gordon. Ils étaient d’ailleurs les seuls (à part Keaton) à avoir participé aux deux films de Tim Burton.

Schumacher va créer un film à l’esthétique délirante. Si le Gotham de Burton était une ville cauchemardesque, à la fois gothique et inspirée du New York des années 30-40, Schumacher gardera la dimension cauchemardesque mais en en faisant une métropole aux constructions gigantesques et colorées. Les bandes de délinquants portent des maquillages fluo, la jet-set des tenues clinquantes et outrancières. Le réalisateur avait compris qu’il adaptait une BD et qu’en ce sens sa direction artistique ne pouvait être réaliste. Ce fut d’ailleurs le cas de la majorité des adaptations de comics des années 90. A ce niveau, le pari est amplement réussi et aujourd’hui encore cela reste le point fort de ses deux adaptations.

La présence de Robin sera une des raisons du désamour de certains pour ce film, considérant que Batman était fait pour la solitude. Ce serait oublier que, que cela plaise ou non, Robin avait rejoint Batman moins d’un an après sa création et était devenu son partenaire quasi incontournable jusqu’au années 70 où sa présence (et son remplacement par divers autres tenant du rôle) fut plus aléatoire. Certes dans le film Dick Grayson est plutôt tête à claque. Déjà il y a son look avec cette petite boucle d’oreille (« pour donner un côté jeune », gloussera la responsable des costumes dans une interview) qui lui donnait un air de membre de Boys Band alors très à la mode. Ensuite il y a son côté rebelle faussement torturé qui semble ne réfléchir qu’avec son entre-jambe qui le rend passablement agaçant par moments. Et pourtant, il y a aussi quelque chose d’attachant chez ce Robin façon Chris O’Donnell qui aurait certainement mérité d’être élaboré dans la suite (ce qui fut partiellement le cas mais pas de manière très heureuse). Dès qu’il a découvert le secret de Bruce Wayne, le personnage devient même beaucoup plus sympathique et sa tentative de sauver, seul et inexpérimenté, une jolie adolescente plutôt attendrissante.

Le fait que Double-Face et l’Homme mystère soient amusants plutôt que terrifiants comme l’avait été le Pinguin, fut également sujet à critiques. Cependant, cela avait auparavant été le cas du Joker de Nicholson qui manoeuvrait admirablement entre méchanceté et farce. Cela convenait parfaitement à l’Homme mystère et la performance de Carrey est d’ailleurs sans faute. On pourrait déplorer que de ce fait la complexité du personnage de Double-Face en prend un coup, le personnage étant originellement plus violent que ce que son adaptation en a fait. Il faut dire aussi que la Warner avait demandé à Schumacher d’atténuer la violence initialement prévue du personnage. Il faut cependant reconnaître que Tommy Lee Jones, acteur souvent terne dans le drame - son Oscar pour Le Fugitif reste pour moi un mystère qui n’a rien à voir avec Edward Nygma - se révèle ici particulièrement doué pour la comédie. De même, alors que son physique ne le prédestinait pas au rôle, Val Kilmer se révèle un Bruce Wayne/Batman des plus convaincants. Bob Kane, créateur du héros, le qualifiera même de meilleur interprète du personnage.

En revanche le personnage de Chase Meridian incarné par Nicole Kidman me laisse une impression plus mitigée. Sensée être une psychiatre de haut-niveau, elle apparait plutôt comme une groupie davantage contrôlée par ses hormones que par son intellect. Ainsi, elle n’allume le Bat-signal que pour dire au héros qu’elle a envie de lui, flirt de manière ridicule dès qu’elle le voit et semble tomber des nues en apprenant qu’une chauve-souris n’est pas un rongeur (pas mal pour une scientifique !). Heureusement, sa relation avec Bruce Wayne est plus intéressante et son personnage de psychiatre plus crédible. Finalement, c’est elle, plus que Double-Face, qui a un vrai problème de double personnalité dans ce film.

N’en déplaise au détracteurs, le film possède nombre de scènes très réussies. Beaucoup plus que des moments gênants. Le monologue de Double-Face dans la banque, la rencontre entre Edward Nygma et Bruce Wayne, la scène du cirque, Dick Grayson jouant à Batman, la présentation de la seconde Nygma-Tech, la soirée d’Halloween, l’apparition de Nygma dans sa cellule capitonnée. Tant de scènes qui sont des pures moments de bon divertissement. Au final Batman Forever se regarde pour ce qu’il est: la mise en film d’une BD. Mais évidemment, pour ceux pour qui Batman ne rime qu’avec Nolan, cela doit passer difficilement.


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