Hommage à Jean Rochefort: Le Cavaleur (1979)


La filmographie de Philippe de Broca a oscillé constamment entre des comédies grands publics et des films plus personnels à la limite de l’autobiographie. Le Cavaleur entre dans la seconde catégorie. Le réalisateur, en plus d’être un homme à femmes, est effectivement un hyperactif tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée. Réalisé entre les deux comédies policières mettant en scène Philippe Noiret et Annie Girardot, Le Cavaleur raconte l’histoire d’Edouard, un pianiste de renom qui a dû mal à gérer sa vie professionnelle surbookée et ses histoires d’amour avec les femmes. La première à faire les frais de cette perpétuelle course contre le temps est sa femme, Marie-France, qui se rend compte que depuis qu’elle l’a épousé son mari n’a guère de temps à lui consacrer ni à leurs trois filles en bas-âge. La deuxième, c’est Lucienne, l’ancienne femme, qu’Edouard semble continuer à considérer sienne malgré son mariage avec le bien terne Charles-Edmond. Enfin il y a Muriel, la maîtresse désormais encombrante dont il ne se débarrasse pas par lâcheté. 


La clé de la relation d’Edouard avec les femmes nous est donnée lorsque celui-ci retrouve lors d’une soirée concert où il a été convié Suzanne, son premier amour, dont la rupture l’a laissé blessé à jamais. Ainsi, craignant de connaître à nouveau ce terrible vide affectif, Edouard ne peut se satisfaire d’une relation avec une seule femme. Ces retrouvailles laissent un goût amer à Edouard car il se rend compte que la jeune femme pour laquelle il avait tant d’amour adolescent est devenue une ravissante grand-mère. Grand-mère dont la petite fille Valentine est le portrait tout aussi ravissant. Edouard comprend que la vie lui est passée entre les doigts et que l’âge mûr est à présent bien sonné. Mais il se refuse à l’admettre et préfère s’imaginer pouvoir vivre une seconde fois son amour de jeunesse, cette fois avec Valentine. S’en est trop pour Marie-France qui le quitte. Et Edouard se retrouve seule. Valentine n’est pas prête à partager sa jeunesse avec un père de famille, Muriel a compris qu’elle n’était qu’une roue de secours et Charles-Edmond interdit à Edouard de revoir Lucienne. Il ne reste à Edouard qu’à fuir la vie trépidante de Paris en rencontrant un ami de jeunesse. En province, Edouard redécouvre le bonheur de vivre simplement, le bonheur d’être utile. C’est finalement un homme apaisée que retrouve sa fille aînée qui vient lui annoncer son prochain mariage et son enfant à naître. 


Lorsque l’idée vint à de Broca, il pense d’abord à Vittorio Gassman, quintessence du séducteur européen survolté. Mais le producteur Alexandre Mnouchkine désapprouve, considérant que l’acteur ne parle pas assez bien français. Le film est alors écrit avec l’idée de le proposer à Yves Montand, lui aussi caricature du séducteur méditerranéen (malgré un physique bien plus ingrat que Gassman…). Pourtant à l’arrivée Montand refuse le scénario qui ne flatte pas assez son égo démesuré. Il aurait été logique d’engager Jean-Pierre Cassel, ancien double du cinéaste, mais les deux hommes étaient alors en froid et de Broca se tourne donc vers Jean Rochefort. Tous les deux ont tourné ensemble à trois reprises dans les années soixante à une époque où l’acteur n’étaient encore qu’un grand second rôle. Depuis, les films d’Yves Robert et Bertrand Tavernier en ont fait une vedette et l’acteur s’est découvert un charisme et une élégance qui le rendent parfaitement crédible pour le rôle. Rochefort exigea cependant de ne pas jouer le personnage comme un héros de vaudeville mais au contraire de lui donner une mélancolie et une profondeur capable d’augmenter l’aspect réaliste du récit. Le talent de l’acteur permis ainsi de prendre en empathie un personnage somme toute assez mufle à la base.


Pour entourer l’acteur, c’est une excellente distribution féminine qui s’est mise en place. L’actrice montante Nicole Garcia incarne Marie-France tandis qu’Annie Girardot sera Lucienne. Un choix que le hasard de la distribution fit bien coller à l’histoire puisque Giradot et Rochefort étaient amis depuis leurs études au Conservatoire et que Nicole Garcia allait bientôt devenir la compagne de l’acteur. Ensuite, c’est rien de moins que la légende du cinéma français Danielle Darrieux qui interprétera Suzanne le temps de deux excellentes scènes. Catherine Alric quant à elle se tirera parfaitement du rôle de ravissante idiote qu’est Muriel. Signalons encore la fraicheur juvénile de Catherine Leprince en Valentine et de Carole Lixon en Pompon la fille aînée d’Edouard. A ce casting de déesses et de nymphes s’ajoute la truculente Lila Kedrova en Olga, l’impressario dépassée. Enfin signalons aussi un homme, Jean Desailly, absolument inénarrable en Charles-Edmond. 


Philippe de Broca signera le scénario en compagnie de Michel Audiard, mais celui-ci, fort peu intéressé par la construction de la trame, s’occupera surtout de sa spécialité, les dialogues, laissant le traitement de l’histoire à de Broca qui appellera alors Jean-Paul Rappeneau à la rescousse. Le film est le parfait exemple pour rappeler que Michel Audiard ne se bornait pas à écrire des dialogues truculents comme ceux qu’il écrivait pour Georges Lautner ou Henri Verneuil, mais qu’il était parfaitement capable d’écrire des choses d’une grande sensibilité, même dans le cadre d’une comédie. Car Le Cavaleur est bel et bien une comédie et tant le rythme étourdissant que les situations dont le personnage doit se dépatouiller rappellent le vaudeville. C’est le jeu des acteurs, Rochefort et Garcia en tête, qui rappelle que la comédie n’est jamais très loin du drame.


Entre rire et mélancolie, Le Cavaleur est certainement une des plus belles réussites de Philippe de Broca et certainement une des meilleures comédies du cinéma français, mais aussi peut-être une des plus sous-estimée à cause de son aspect mélancolie. Aujourd’hui, Le Cavaleur n’est pas le film le plus connu de son auteur (on retient davantage sa collaboration avec Jean-Paul Belmondo) tout comme il est un peu éclipsé par le succès de Un éléphant ça trompe énormément dans la filmographie de Jean Rochefort. Pourtant, le film mérite ardemment d’être redécouvert et reste pertinent aujourd’hui par son sujet. On pourrait dire qu’il est le chaînon manquant entre les films dramatiques de Claude Sautet et les comédies de Yves Roberts, ce qui est quand même ce qui se faisait de mieux dans les années septante. En revoyant ce film, on comprend ce qui a fait à une époque la réputation du cinéma français, réputation sur laquelle il essaye vainement de vivoter depuis trente ans. 


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