Hommage à Danielle Darrieux: La Coqueluche de Paris (1938)



Fin des années 30, Danielle Darrieux est devenue l’actrice la plus populaire de France grâce à une série de comédies la présentant comme une gamine espiègle. En 1936, le succès de Mayerling, porté par le nom de Charles Boyer, acteur français véritable star aux Etats-Unis, en a fait une vedette internationale. A l’époque, les studios d’Hollywood s’intéressent aux nouvelles vedettes du cinéma étranger qu’ils s’empressent de faire venir. C’est ainsi que Greta Garbo et Marlene Dietrich sont devenues les stars hollywoodienne que l’on sait. Bientôt, Ingrid Bergman sera appelée à son tour. Peu après le succès de Mayerling donc, Danielle Darrieux se voit proposer un contrat à la Universal qu’elle accepte. Pourtant à l’époque, la Universal est surtout connue pour ses films d’horreur qui ont réussi à lui offrir une place au sein du cercle très fermé des studios hollywoodiens. A présent, ils cherchent à se diversifier et comptent sans doute sur la jeune française pour devenir une des premières vedettes de la maison. Un succès peut-être digne de Garbo, qui sait. Le premier film qui lui est proposé est celui dont il est question aujourd’hui, The Rage Of Paris, traduit par la Coqueluche de Paris. Un titre bien destiné à mettre en avant la nouvelle star. 

Car oui, si l’ont peut croire que le cinéma de l’âge d’or hollywoodien était extrêmement
machiste (et ne nous leurrons pas, il l’était), il produisait malgré tout à cette époque une série importante de films ayant pour personnage principal une femme. C ‘est ce qu’on a appelé les Women’s pictures, des films sur des femmes destinés aux femmes. Cette mode connaîtra son apogée entre le milieu des années 30 et la fin des années 40 et mettra en vedette toute une génération d’actrices: Bette Davis, Katharine Hepburn, Joan Crawford, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Carole Lombard, Loretta Young, Norma Shearer et la liste continue encore. Le plus célèbre de ces films est certainement Autant en emporte le vent dont le personnage central est bien plus Vivien Leigh que Clark Gable. On pourra d’ailleurs remarquer que depuis cette époque, bien peu de films ont autant mis les femmes en valeur. Bref, le premier film hollywoodien de Danielle Darrieux est fait pour entrer dans cette catégorie. Pour accompagner ses superstars féminines, Hollywood a toujours fait appel à des vedettes masculines à la célébrité moins grande que leurs consoeurs mais au charisme suffisamment important pour leur attirer l’intérêt du public. Cary Grant commencera sa carrière de cette manière. D’autres comme Fred MacMurray ou Douglas Fairbanks Jr deviendront rapidement des habitués. 

C’est justement Douglas Fairbanks Jr qui a été choisi pour accompagner Danielle Darrieux. L’acteur est peut-être davantage connu aujourd’hui pour sa participation à des films d’aventure comme Le Prisonnier de Zenda (première version) et Gunga Din, mais ceux-ci ne représentent pas la majorité de sa filmographie. Il faut dire que l’acteur a eu la malchance d’être le fils de la première superstar du cinéma dont il dû en plus partager le nom. Considéré comme le Prince héritier d’Hollywood, il réussit malgré tout à s’imposer dans les années 30 comme une vedette de second plan, mais ne parviendra jamais vraiment à relancer sa carrière à son retour de la guerre. Pourtant, l’acteur est loin d’être inintéressant, disposant d’un charme évident et d’un jeu suffisamment fin. Son physique fit de lui une sorte de sous-Clark Gable, à ceci près qu’il disposait d’un plus grand raffinement que la star de la MGM qui le rendait tout à fait crédible dans le rôle proposé ici. 
Mais que raconte ce film, justement ? Eh bien, une histoire qui ferait certainement bondir certaines féministes dans un premier temps et pourtant… Nicole est une jeune française partie faire fortune dans le milieu du show-business aux Etat-Unis. Malheureusement la vie est plus dure qu’elle ne l’aurait pensé et elle ne parvient pas à trouver du travail. Alors qu’elle s’est introduite dans une agence de mannequins, elle subtilise l’adresse d’un photographe qui cherche un modèle pour des photos peu vêtues. Mais elle se trompe d’adresse et se retrouve chez un chef d’entreprise, Jim Trevor, qui est bien surpris de voir la jeune femme commencer à se déshabiller devant lui. Lorsqu’elle comprend sa méprise, elle s’enfuit. Sans le sou, elle se voit interdire l’accès par sa logeuse. Elle ne doit son salut qu’à Gloria, une femme d’âge mûr qui l’a prise sous son aile. Elle propose de la présenter à son ami Mike qui est maître d’hôtel au Grand Savoy, mais malheureusement les effectifs sont complets. Convaincue que le meilleur moyen pour une femme de trouver de l’argent est d’épouser un homme riche, Gloria persuade Mike d’utiliser ses économies pour sponsoriser l’ascension sociale de Nicole. En échange, elle lui offrira ce qu’il lui faut pour ouvrir son restaurant. 

Mike a justement le client parfait. Il s’appelle Bill Duncan, il est jeune, beau et riche. Nicole se fait passer pour une française de bonne famille en vacances avec sa tante et n’a aucun mal à éveiller l’intérêt du jeune homme. Mais celui-ci est justement le meilleur ami de Jim Trevor. Jim reconnait la jeune femme et comprend qu’elle n’est qu’une chercheuse d’or. Bill n’en croit cependant pas un mot, persuadé que Jim cherche à lui chiper sa future fiancée. Jim va chercher alors par plusieurs moyen de compromettre Nicole avec lui, mais la jeune fille, fine mouche, arrivera toujours à lui échapper. Lorsqu’il l’enlève pour partir à la campagne, elle finit par lui avouer qu’elle a développé des sentiments pour lui. Jim, qui est également attirée par elle, pense qu’elle cherche à sauter d’un portefeuille à un autre. Nicole s’enfuit, mais lorsqu’elle arrive à New York, elle apprend que Bill a découvert la vérité. Mike, qui a été dédommagé par Bill, propose à Nicole de lui payer le billet pour rentrer en France. Sur le bateau, elle a cependant la surprise de découvrir Jim qui se propose de l’épouser. 

Une féministe primaire s’étranglerait en prétendant que la morale du film est qu’il vaut mieux pour une femme d’épouser un riche parti plutôt que de travailler. Ce n’est pas tout à fait exact. Nicole préfèrerait être indépendante et travailler, mais il n’y a aucun travail pour elle. Nous sommes encore pendant la Grande Dépression et le chômage reste important, encore plus pour les femmes. Ce n’est que contrainte et pour ne pas se trouver à la rue que Nicole accepte le stratagème proposé par Gloria. Pourtant, Nicole n’est pas une arriviste comme les personnages incarnés à la même époque par Joan Crawford. Au contraire, elle éprouve quelques remords d’agir de la sorte d’autant que, même si Bill semble l’homme idéal, elle ne l’aime pas. Sans doute parce que ce choix n’était pas vraiment le sien. Et si au final elle fait un riche mariage, c’est bien plus pour être avec l’homme qu’elle aime que pour son compte en banque. 

Le film est dans la lignée des comédies romantiques que Ernst Lubitsch et Mitchel Leisen réalisaient pour la Paramount. Henry Koster ne cachait d’ailleurs pas son influence pour le premier.  Le réalisateur est aujourd’hui généralement méprisé par les critiques, sans doute parce qu’il fut réalisateur du lucratif navet que fut La Tunique avec Richard Burton ainsi que d’autres films en costumes peu intéressants. Pour la petite histoire, il terminera sa carrière par une comédie musicale inspirée de la vie de… Soeur Sourire ! Pourtant ce serait oublier que le réalisateur a dirigé quelques comédies très réussies comme Harvey avec James Stewart ou Honni soit qui mal y pense avec Cary Grant. De même son adaptation de Ma cousine Rachel de Daphné du Maurier avec Olivia de Havilland et Richard Burton n’est pas loin d’être aussi réussie que celle de Rebecca du même auteur par Hitchcock. Dans le cas qui nous intéresse, Henry Koster nous offre une comédie fraîche et réussie et les faiblesses que l’on peut y trouver sont plus à blâmer au scénario qu’à la réalisation. Koster trouve même quelques trouvailles intéressantes comme le jeu avec la photo de Jim/Douglas Fairbanks Jr. Le réalisateur va d’ailleurs aussi loin que possible dans ce que permettait la censure au niveau de l’érotisme féminin. Car Danielle Darrieux est extrêmement séduisante dans ce film, que ce soit pour son physique ou son naturel désarmant. Ceux qui ont d’elle l’image de la femme d’âge mûr un peu guindée des films des années 50 et 60 ou de la grand-mère qu’elle fut à la fin de sa carrière risquent d’être un peu surpris. 

Car le film est effectivement, comme dit plus haut, un véhicule pour Danielle Darrieux et un parfait moyen pour l’imposer comme vedette aux Etats-Unis. L’actrice se montre toute à fait convaincante en anglais, avec juste ce qu’il faut d’accent français pour charmer les hommes et quelques passages en français que l’on imagine improvisés où l’actrice se lâche pour notre plus grand plaisir. Elle reprend ici le type de personnage qu’elle incarnait dans les comédies de son mari Henri Decoin et qui offre une personnalité nouvelle dans la comédie américaine. Ginger Rogers était aussi fraîche mais plus glamour, Katharine Hepburn aussi affirmée mais plus masculine. Danielle Darrieux est tour à tour charmante, naturelle, ingénue et spirituelle. Bref une personnalité bien à elle, la marque des plus grands. D’ailleurs la performance de l’actrice fut très appréciée et le film marchait fort bien. Hélas, l’actrice ne se sentait pas à l’aise dans le système hollywoodien et préfèrera casser son contrat pour retourner en France. Il est difficile d’imaginer quelle aurait été la suite de sa carrière aux Etats-Unis, mais il est fort à parier qu’elle aurait su s’imposer durablement. Mais même depuis la France, elle continua de fasciner les Américains suffisamment pour être appelée à tourner plusieurs fois à Hollywood pendant les années 50. 

Le film est parfait pour découvrir un pan très méconnu de la carrière de la Reine du cinéma français et surtout pour redécouvrir la jeune fille fraîche et pétillante de ses débuts que sa très riche et longue carrière aura fini par éclipser. 

Commentaires