Humphrey Bogart (1899-1957)

Humphrey Bogart


Le fils du docteur Bogart:

Le nombre d’acteurs et d’actrices ayant connu une jeunesse dans la pauvreté et la tristesse est si élevé qu’on pourrait presque croire qu’il est impossible de devenir une vedette sans avoir souffert pendant son enfance. Et puis, il y a des cas qui viennent (heureusement) prouver le contraire. Humphrey Bogart est de ceux-là. Le futur dur d’Hollywood nait dans les derniers jours du XIXème siècle, le 25 décembre 1899 plus précisément, à New York. Son père, Belmont DeForest Bogart est un chirurgien réputé, sa mère, Maud Humphrey, est une illustratrice de livres pour enfants en vue. La famille est très aisée et habite dans un quartier chic de la ville. Deux soeurs viennent rejoindre la famille, Frances et Catherine.

La situation de sa famille lui ouvre la porte d’écoles prestigieuses comme la Trinity School où il est un élève médiocre. Contre tous les espoirs de sa famille qui veulent le voir rentrer à l’université, il se fait renvoyer de la Andover Academy à Boston, mettant fin à toute possibilité d’études supérieurs de prestige. Il rejoint alors les Marines et embarque comme timonier à bord du Léviathan. Malgré l’absence de participations aux combats, il en reviendra avec une blessure à la bouche qui lui laissera une cicatrice caractéristique ainsi qu’un léger défaut de prononciation.

Mais la guerre est finie et il faut à tout prix qu’il trouve un emploi. Il en trouve un comme régisseur dans un théâtre de New York. Un jour le hasard le force à remplacer un acteur absent. S’il s’y révèle médiocre, l’expérience lui plait et décide de poursuivre dans cette voie. Une série de petits rôles dans les années 20 lui apprend son métier. Il est catalogué dans des personnages de jeunes hommes de bonne famille que son apparence et son éducation rendent crédibles. Pendant cette période, il se marie avec l’actrice Helen Menken en 1926 (ils divorceront un an plus tard) puis, en 1928, avec une autre actrice, Mary Philips.

L’éternel second rôle:

En 1930, il fait sa première apparition au cinéma, dans un court métrage, Broadway’s Like That, qui sert de véhicule à la chanteuse Ruth Etting. Fort de cette première expérience, il décide de partir pour Hollywood. Son premier film, A Devil With The Women, a pour vedette Victor McLaglen. Bogart y interprète le même genre de petit rôle qu’il a tenu jusque là au théâtre. Le cinéma est encore plus frileux que le théâtre lorsqu’il s’agit de changer le registre habituel d’un acteur, et c’est encore ce type de rôle qu’il joue dans Up The River, toujours en 1930. Il y rencontre un autre jeune acteur, Spencer Tracy, qui va devenir un de ses amis les plus proches, même s’il ne tourneront plus jamais ensemble par la suite. 

Sur la seule année 1930, Humphrey Bogart tourne six films, tous plus médiocres les uns que les autres. Déçu, il retourne à Broadway, même si Hollywood le fera revenir tourner de temps à autre. Un bon moyen de payer les factures. 

Au théâtre, sa réputation commence à augmenter et les rôles se font plus importants, comme dans Invitation Au Meurtre en 1934 qui est la première pièce à l’éloigner quelque peu des rôles stéréotypés habituels. Si la pièce n’est pas très bonne et rapidement interrompue, il est repéré pour effectuer ce qui sera un véritable contre-emploi, le rôle d’un gangster sadique, Duke Mante, dans La Forêt Pétrifiée. Le rôle est un des plus importants de la pièce et il fait face à une véritable vedette, Leslie Howard. C’est un coup de poker qui se révèlera payant pour les producteurs, la pièce est un succès et Bogart est acclamé. 
La pièce est adaptée au cinéma par la Warner, avec Leslie Howard reprenant son rôle face Bette Davis. Leslie Howard impose Bogart, contre l’avis de Jack Warner qui voulait une vraie vedette comme Edward G. Robinson. Réalisé en 1936 par l’obscure Archie Mayo, The Petrified Forest (La Forêt Pétrifiée), est un véritable succès qui lance sa carrière au cinéma. Il signe un contrat avec la Warner et dit adieu pour toujours au théâtre.  Sa femme, Mary, refuse cependant de quitter sa carrière à Broadway et le couple se sépare. En 1938, il se marie pour la troisième fois, encore une fois une actrice, Mayo Methot. En cinq ans, Bogart va tourner vingt-neuf films. Il est l’antagoniste type, le méchant de service, généralement sans trop de relief, qui se retrouve face aux vedettes du studio: Edward G. Robinson, James Cagney, Bette Davis et même Errol Flynn avec qui il va tourner deux westerns. Il fera même une incursion dans le film d’horreur avec The Return of Doctor X (Le Retour de Docteur X, 1939). Bref, après le coup d’éclaire qu’a été The Petrified Forest, la carrière de Bogart semble s’arrêter aux seconds rôles de méchants, jusqu’à ce que le destin s’en mêle.

Le dur romantique:

En 1941, George Raft et Paul Muni, deux vedettes de la Warner, refusent le rôle principal de High Sierra (La Grande Evasion) que doit réaliser Raoul Walsh. En désespoir de cause, le studio se tourne vers Bogart qui s’empresse d’accepter. Certes, c’est encore un rôle de gangster, mais c’est un rôle d’envergure. Le succès du film prouve à Warner que Bogart a les épaules suffisamment solide pour porter un film à lui tout seul. Aussi, lorsque George Raft, encore lui, refusera le rôle du premier film d’un débutant nommé John Huston, c’est à nouveau Bogart qui est appelé en renfort. 

C’est la troisième adaptation d’un roman policier à succès de Dashiell Hammett. Cette fois-ci, Bogart est pour la première fois depuis longtemps du bon côté de la loi, puisqu’il y incarne un détective, le mythique Sam Spade. Le film, The Maltese Falcon (Le Faucon Maltais, 1941) est un succès et lance la courant du film noir, tandis que Bogart devient à lui seul l’archétype du détective au cinéma, chapeau mou et imper marron. Cette fois Bogart a véritablement gagné ses galons de star et il va progressivement devenir la star masculine principale de la Warner tandis que les carrières de Cagney, Robinson et Flynn périclitent. 

Mais en attendant, Bogart, comme les autres stars de l’époque, se retrouve à tourner des films de guerre patriotiques. L’un d’eux cependant marquera plus que les autres. Peut-être parce qu’il s’agit d’un mélodrame avant d’être un film de guerre. Il s’agit de Casablanca (1942) de Michael Curtiz. Bogart y est engagé contre l’avis de Jack Warner qui doute de la crédibilité de l’acteur dans une histoire d’amour. La suite lui donnera tort et Bogart s’impose comme le dur romantique d’Hollywood. Pour la première fois, il est nommé à l’Oscar, pour son rôle de Rick. Bien entendu, d’autres films cherchent à voguer sur ce succès, comme Passage To Marseille (Passage pour Marseille, 1944) à nouveau de Curtiz, et où Bogart côtoie cette fois Michèle Morgan à la place d’Ingrid Bergman.

Son image de dur romantique, il pourra en donner toute sa mesure dans l’adaptation que Howard Hawks fait d’un roman d’Ernest Hemingway, To Have And Have Not (Le Port de l’Angoisse, 1944). Il y rencontre la jeune protégée de Hawks. Elle a 19 ans et c’est son premier film. Elle a pris le nom de scène de Lauren Bacall. L’alchimie du couple est évidente à l’écran malgré la différence d’âge. Les deux acteurs deviennent rapidement complices avant de devenir amants. Le mariage de Bogart avec Mayo est devenu une catastrophe. Tous les deux alcooliques, il enchaînent les bagarres qui font les choux gras d’Hollywood. Devant le succès du film, Hawks en réalise un autre où Bogart reprend une nouvelle fois l’habit du détective, mais cette fois ce sera Philip Marlowe, d’après le roman de Raymond Chandler The Big Sleep (Le Grand Sommeil, 1946). Pendant le tournage Bogart, qui a réussi à divorcer de Mayo, épouse Lauren Bacall au grand dam d’Howard Hawks. Les deux hommes ne retourneront plus jamais ensemble. 

En 1947, Bogart et Bacall tournent leur troisième film ensemble, Dark Passage (Les Passagers de la Nuit) de Delmer Daves. Sous l’influence de Bacall qui s’intéresse à la politique, il mène à Washington un groupe d’artistes protestant contre le comité d’enquête anti-communiste. Cependant, devant les pressions de se retrouver à son tour sur liste noire, il prendra peu à peu ses distances. Un autre défi s’offre à lui lorsque John Huston lui propose un rôle de composition, celui d’un aventurier qui plonge dans la paranoïa dans The Treasure Of The Sierra Madre (Le Trésor de la Sierra Madre, 1948). La critique applaudit la performance de Bogart, mais le public boude le film. C’est toujours John Huston qui offre son quatrième et dernier film avec Bacall, dans Key Largo, où ceux-ci ont également pour partenaires Edward G. Robinson et Lionel Barrymore. Cette fois, le film est un succès et clôture en beauté sa carrière à la Warner. 

Vers des rôles plus variés:

Apaisé par son mariage avec Lauren Bacall - qui lui donne un fils, Steven en 1949, en ayant fini avec l’insécurité grâce à une carrière au sommet, Bogart peut s’adonner à ses passions la mer et la navigation. Mais il décide, comme d’autres vedettes à l’époque, de devenir indépendant et de former sa propre maison de production. Le premier film est Knock On Any Door (Les Ruelles du Malheur, 1949) de Nicholas Ray, où il interprète un avocat, un type de rôle qu’il n’a pas encore tenu jusqu’à présent. Un nouveau rôle d’intellectuel s’offre à lui dans In A Loneley Place (Le Violent, 1950), toujours de Nicolas Ray, et où il joue un scénariste alcoolique. Excellent film sur les coulisses d’Hollywood ce film, comme le précédent est un échec. 

Pour se renflouer, il accepte de tourner dans le prochain film de John Huston, une comédie d’aventure où il partage la vedette avec la compagne de son grand ami Spencer Tracy, Katharine Hepburn. Si Bogart détestera l’Afrique, il sera l’un des seuls épargnés par les maladies grâce à sa forte consommation d’alcool. African Queen sera l’un des grands succès de 1951 et offrira à Bogart l’Oscar du meilleur acteur. Bogart, lui, retourne à ses nouveaux rôles d’intellectuels, interprétant un journaliste dans Deadline-USA (Bas les Masques, 1952) de Richard Brooks. Il engage également Truman Capote pour écrire Beat The Devil (Plus Fort que la Diable, 1953) de John Huston. Mais le film sera un nouvel échec et Bogart liquidera sa maison de production. Cette même année 1953, Bacall lui donne une fille, Leslie, qu’il prénomme en hommage à l’homme qui lui a donné sa chance à Hollywood, Leslie Howard. Il retrouve une nouvelle fois Richard Brooks pour Battle Circus (Le Cirque Infernal, 1953) où il joue un chirurgien.

L’année 1954 sera extrêmement riche pour Bogart. Il joue tout d’abord dans Sabrina de Billy Wilder, une nouvelle incursion dans un genre qu’il connaît peu, la comédie. Vexé d’être le bouche-trou de Wilder qui aurait voulu Cary Grant, Bogart montrera peu de considération pour le film malgré son succès, ni pour l’actrice Audrey Hepburn. Il joue ensuite face à Ava Gardner dans The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus) de Joseph L. Mankiewicz. Enfin, il joue un capitaine lâche et paranoïaque dans The Cain Mutiny (Ouragan sur le Cain) d’Edward Dmytryk qui lui vaut d’être une nouvelle fois nommé aux Oscars. 

En 1955, il accepte un nouveau rôle dans une comédie, dans We’re Not Angels (La Cuisine des Anges) de Michael Curtiz, avec Peter Ustinov. Puis il joue dans un film d’aventure injustement oublié d’Edward Dmytryk, The Left Man Of God (La Main Gauche du Seigneur) avec Gene Tierney. Enfin, il s’offre un petit retour en arrière en jouant un gangster névrosé face à Frederic March dans The Desperate Hours (La Maison des Otages) de William Wyler. Un hommage aux rôles de gangsters qui l’ont fait connaître. La boucle est bouclée, même s’il ne le sait pas encore. The Harder They Fall (Plus Dur sera la Chute, 1956) sera son dernier film. Un nouveau film avec Lauren Bacall est prévu, mais alors que le couple vient de faire un essai des costumes, on diagnostique à l’acteur un cancer de l’oesophage. De très lourdes opérations sont faites pour tenter de le sauver, mais il est trop tard pour arrêter la maladie. Très affaibli, Bogart termine ses derniers mois entouré par sa femme, ses enfants et ses amis les plus proches: Spencer Tracy, Katharine Hepburn et Frank Sinatra. Humphrey Bogart rendra son dernier souffle le 14 janvier 1957, il avait 57 ans. Un mythe était né. 
Source:
Documentaire "Bacall On Bogart" de  David Heeley

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