Linda Darnell (1923-1965)

Linda Darnell

Une enfance sous pression:

Il était une fois une jeune femme nommée Pearl. Pearl rêve de devenir actrice pour briser la monotonie de son quotidien. Hélas, ses efforts restent vains. Après une séries d’échecs, elle est réduite à travailler comme domestique à Dallas. C’est là qu’elle rencontre un postier, Kevin Darnell, qu’elle épouse. Dès la naissance de sa première fille, Undeen, Pearl décide de reporter ses rêves déçus sur sa fille. Mais lorsqu’une deuxième petite fille, Monetta, nait le 16 octobre 1923 à Dallas, Pearl décide de changer de cible. Monetta est en effet si jolie que tous les espoirs sont permis pour la mère de voir sa fille réussir là où elle a échoué. Et même si deux enfants suivent encore, c’est Monetta qui reste la priorité pour Pearl. Dès quatre ans, elle doit suivre des cours de dictions et de musique. A onze ans, elle est devenue un vrai petit singe savant pratiquant la danse, le piano, le théâtre et la déclamation. Une enfance pour le moins chaotique, d’autant qu’avec une mère excentrique et la multitude d’animaux qui vivent à la maison, dont le coq Weedy, le confidant muet de Monetta, la famille Darnell est montrée fréquemment du doigts par les bonnes gens de Dallas. Mais déjà à cet âge, on remarque également Monetta pour son incroyable beauté qui la met en avant dans des journaux locaux. Cette beauté qui est à la fois sa force et sa malédiction.

A treize ans, Pearl force sa fille à mentir sur son âge pour devenir mannequin. Alors que le cinéma, art de l’image par excellence, est de plus en plus populaire, Pearl n’est pas sans savoir que bon nombre d’actrices ont été remarquées par leur physique avant de pouvoir faire preuve (ou non) de leur talent. De cette manière, elle est en droit d’espérer qu’un chasseur de talent tombera sur une photo de sa fille. Mais cette décision a pour conséquence d’éloigner encore plus Monetta des jeunes filles de son âge. Ayant l’air plus âgée par le maquillage et les robes qu’elle porte, elle intimide ses camarades de classe et se retrouve sans ami. Elle échappe alors à sa solitudes dans les rêves que sa mère a pour elle, rêvant de cinéma en se réfugiant dans un monde de fantasmes au milieu des photos de stars dont Tyrone Power le nouveau jeune premier de la 20th Century Fox.


Une habile supercherie:

A la fin de l’année 1937, Pearl apprend qu’Ivan Khan, chasseur de talent travaillant justement pour le 20th Century Fox, est de passage à Dallas à la recherche de chaire fraîche. Un audition est arrangée à la suite de laquelle Monetta est conviée à Los Angeles pour faire un essai devant caméra. Elle y arrive en février 1938, accompagnée par sa famille. Les pontes de la 20th Century Fox sont subjugués par la beauté de la jeune texane et ils décident de la prendre en mains. Pendant deux semaines, Monetta suit des cours pour devenir une star. On lui apprend à acquérir une attitude élégante et à perdre son accent texan. Mais rapidement, Daryl Zanuck, le patron de la Fox apprend que leur jeune protégée n’a en réalité que quatorze ans. A l’époque, l’adolescence est un âge absent des écrans. Le cinéma cible un public adulte ou enfant et il faudra attendre les années 50 pour que l’on se rende compte du pouvoir économique que peut représenter cette tranche d’âge (au point qu’aujourd’hui elle est devenue la cible quasi unique du cinéma hollywoodien !). Trop âgée pour jouer les enfants, mais trop jeune pour pouvoir jouer les adultes sans créer de scandale, Monetta est sa famille sont renvoyés chez eux avec une promesse de contrat lorsqu’elle sera plus âgée.

Pour Pearl, c’est une nouvelle humiliation. Qui sait si la Fox sera encore intéressée par sa fille d’ici le moment où elle sera en âge d’être choisie. Les jolies jeunes filles intéressées ne manquent pas et aucun milieu n’oublie aussi vite que celui du cinéma. Aussi, elle garde le contact avec Ivan Khan afin de pouvoir fréquemment se rappeler à son bon souvenir. Et lorsque la RKO organise un concours peu après, Pearl y inscrit Monetta qui l’emporte. La Fox n’a évidemment pas l’intention de laisser partir une proie aussi prometteuse à la concurrence et Zanuck rappelle donc Monetta à Hollywood.

A quinze ans, Monetta est encore mineure, mais Zanuck qui a bien compris que Pearl pourrait se montrer un peu trop envahissante décide de faire loger sa nouvelle protégée au Hollywood Studio Club, un dortoir chaperonné pour les jeunes femmes d’Hollywood. N’ayant pas les moyens de rester à Los Angeles, Pearl n’a d’autres choix que de retourner à Dallas. En cette fin des années 30, la 20th Century Fox est encore un jeune studio qui dispose d’assez peu de stars comparés aux autres compagnies majeures de l’époque (la MGM, la Paramount, la Warner et RKO). Zanuck a donc bien l’intention de faire de Monetta une vedette afin d’étoffer sa galerie. Il lui signe un contrat et change son prénom en Linda en suggérant des origines latines que son physique peut laisser supposer mais qui sont en revanches complètement inexistantes. Enfin, afin de pouvoir lui faire jouer des rôles d’adultes, la Fox maquille son âge, la faisant passer pour ayant dix-neuf ans alors qu’elle en a quatre de moins. Zanuck poursuit ainsi la supercherie de Pearl et Monetta, désormais Linda, va pouvoir faire son entrée dans la galaxie hollywoodienne.


Une éclosion rapide:

Son premier rôle au cinéma vient très vite avec Hotel For Women (Hotel pour femmes, 1939) de Gregory Ratoff où elle donne la réplique à Ann Sothern. Le film est clairement destiné à mettre en valeur la nouvelle venue et à la première à Dallas, Linda est acclamée. A seulement quinze ans, mais pour un rôle où elle est sensée être plus âgée, elle accède à la célébrité. C’est toujours Ratoff qui la fait tourner dans son film suivant, une comédie cette fois, Day-time Wife (Dîner d’affaire, 1939), où elle donne la réplique à rien de moins que Tyrone Power, la star de la Fox. Bien que le film ne marche pas plus que ça, l’alchimie entre les deux acteurs crève l’écran et la Fox se rend compte qu’ils tiennent un duo de choc. Son salaire augmente et elle en profite pour faire venir sa famille.

Son film suivant, Star Dust, en 1940, s’inspire directement de l’ascension rapide de Linda sur une histoire écrite par Ivan Khan. John Payne lui donne sert de partenaire et le film est un nouveau succès. Elle enchaîne sur deux autres films avec Tyrone Power, le western une Brigham Young (l’Odyssée des Mormons, 1940) de Henry Hathaway et surtout le classique The Mark Of Zorro (Le Signe de Zorro, 1940) de Rouben Mamoulian. Cette même année, elle laisse ses empruntes au célèbre Chinese Theater. Elle n’est pas encore majeur qu’elle est déjà une des nouvelles venues les plus prometteuses et c’est avec grande difficulté qu’elle essaye de concilier sa vie de star à celle d’ado.


Et ce n’est pas en jouant dans le film à grand spectacle Blood And Sand (Arènes sanglantes, 1941), où à dix-sept ans elle joue une femme mariée à Tyron Power face à la vénéneuse Rita Hayworth, que les choses risques de s’arranger. Qui plus est, l’attitude de sa mère devient très embarrassante. Pearl a en effet sombré dans l’alcoolisme et ne cesse de faire des visites gênantes au studio en compagnie du coq Weedy pour essayer de diriger la carrière de sa fille. Le réconfort, Linda le trouve auprès de Peverell Marley, un caméraman de quarante-deux ans. D’abord simplement un ami, il devient rapidement une figure paternelle et de soutien. Mais un autre drame s’ajoute lorsqu’elle apprend qu’elle ne peut pas avoir d’enfants, mettant fin à ses rêves de famille nombreuse.


Alors que l’Amérique entre en guerre, Linda, comme beaucoup de ses consoeurs, aide la croix rouge et va dans les hôpitaux tout en vendant des bons et en participant à la célèbre Hollywood Canteen. En 1943, elle se marie avec Peverell Marley à Las Vegas. Pearl et Daryl Zanuck sont furieux: en épousant un homme ayant plus du double de son âge, Linda a détruit son image de jeune fille pure qu’ils s’étaient efforcés de construire. Marley est renvoyé de la Fox (et engagé chez Warner) et Linda est suspendue. Face à la pression de ses fans, Zanuck accepte de la faire retourner, mais dans des rôles très secondaires, comme la Vierge dans The Song Of Bernadette (Le Chant de Bernadette, 1943) ou une indienne dans Buffalo Bill (1944).


Un sommet de carrière frustrant:

Summer Stock (L’Aveu, 1944) de Douglas Sirk lui permet d’avoir à nouveau un rôle de premier plan et surtout montre une autre facette de Linda. Fini les jeunes filles pures, à présent elle devient une vamp ténébreuse jouant ouvertement de sa sensualité face à George Sanders. Devant le succès du film, elle exige alors d’avoir des rôles plus variés. Ainsi, alors que le film noir est en plein essor, elle joue une femme fatale dans Hangover Square (1945). Crime Passionnel (Fallen Angel, 1945) d’Otto Preminger continue à utiliser sa nouvelle image de séductrice. Son rôle est même augmenté par rapport à celui d’Alice Faye qui était jusqu’alors la plus grande star féminine de la Fox.


En privé, cependant, la vie de Linda continue à être un désastre. Marley boit beaucoup et a commencé à l’entraîner à suivre cette habitude. Les disputes deviennent fréquentes et le caractère de Linda se fait colérique. Prenant ses distances de Marley, elle se laisse séduire par Howard Hughes qui s’est promis de séduire autant d’actrices qu’il le pouvait. Espérant pouvoir l’épouser, elle demande le divorce. Mais Hughes la quitte bientôt et Linda sombre de plus belle dans l’alcool. Pourtant, elle n’a que vingt-deux ans et le monde à ses pieds comme le prouvent encore les très grands succès du western de John Ford, My Darling Clementine (La poursuite infernale, 1946) ou de Anna And The King Of Siam (Anna et le roi de Siam, 1946).

En cette fin des années 40, la Fox obtient les droit de Ambre, le sulfureux roman de Kathleen Windsor qui a fait sensation dans le monde entier. Une grande chasse est organisée par Zanuck pour savoir qui aura le rôle-titre, un peu comme David O. Selznick l’avait fait quelques années auparavant pour Gone With The Wind. En tant que première vedette féminine du studio, Linda pense avoir le rôle, mais celui-ci va une inconnue, la ravissante Peggy Cummings. Cependant, Otto Preminger juge cette dernière trop inexpérimentée pour un rôle de cette ampleur et afin de sauver le projet Linda est engagée pour ce qu’elle pense être le rôle de sa vie. Persuadée que ce rôle peut faire d’elle une vedette de premier plan, elle va se donner à fond, faisant des régimes drastiques, se teignant les cheveux et bien sûr travaillant son personnage. Hélas, à une époque où la censure règne sur Hollywood, il est bien difficile de retranscrire certains passages du roman qui se retrouve amputé de beaucoup de ses moments clés. Qui plus est, la Fox n’a pas le budget de Selznick (qui s’était appuyé sur la MGM) ni l’expérience des grandes fresques historiques. Les scènes prestigieuses sont limitées pour ne pas avoir affaire à trop de décors coûteux et les rôles sont tenus par des acteurs du studio comme Cornel Wilde, qui n’ont pas toujours l’aura nécessaire pour jouer de tels personnages. Et Forever Amber (Ambre, 1947) est un échec public et critique. La presse n’est pas tendre à l’égard de Linda qui, en tant que rôle-titre, est en première ligne et le vit très mal.


C’est une nouvelle fois Peverell Marley qui vient à son aide. Ils se réconcilient et adoptent une petite fille, Charlotte, espérant ainsi renforcer leur couple. Peu après elle tourne deux de ses meilleurs films, Unfaithfully Yours (Infidèlement Votre, 1948) et surtout A Letter To Three Wives (Chaînes conjugales, 1949) qui est un grand succès et pour lequel elle obtient les meilleurs critiques de sa carrière. Elle y rencontre le réalisateur Joseph Mankiewicz avec qui elle commence une liaison passionnée. Hélas, ce dernier n’a pas l’intention de l’épouser, même s’il lui donne un autre rôle dans un de ses films, No Way Out (la porte s’ouvre), où elle joue face à Richard Widmark et Sidney Poitier. Cette même année, elle divorce finalement de Marley. Mais le divorce s’avère très couteux, et ayant fait de mauvais investissements, elle se retrouve sans argent. Elle accepte alors de tourner n’importe quoi.


La télévision devenant un concurrent très important pour les studios, la Fox se sépare peu à peu de ses stars qui ne lui rapportent plus d’argent, et en 1952, après 13 ans de bons et loyaux services, Linda se retrouve sans travail. A presque trente ans, elle commence à avoir des troubles psychologiques, se sent en insécurité et craint pour son avenir. Elle met alors beaucoup d’espoir dans le film que Mankiewicz est en train d’écrire, The Barefoot Contessa, et dont elle aide à façonner le personnage principal féminin. Un rôle qui pourrait bien signer son retour et son montée vers de plus hauts sommets. Mais Mankiewicz décide de donner le rôle à Ava Gardner à la place. Humiliée, Linda rompt avec lui.


Une fin dans la tragédie:

Ayant absolument besoin d’argent, elle accepte du travail comme mannequin. Elle a un peu de répit en épousant Philip Liebmann, un riche héritier, en 1954, mais le mariage est de courte durée et ils divorcent un an plus tard. Elle essaye alors de relancer sa carrière au cinéma, mais après trois ans d’absence et à trente-trois, elle est considérée comme dépassée. Elle doit à nouveau passer des auditions pour des films qu’elle n’aurait jamais accepté de tourner du temps de sa gloire. Comprenant qu’elle n’a plus rien à espérer du cinéma, elle commence à jouer dans des petites productions théâtrales. En 1957, elle épouse Merle Roy Robinson qui la fait tourner dans des Night Club. Cette déchéance continue n’améliore pas son alcoolisme et elle est finalement internée pour en être soigné. A sa sortie, elle a cependant la très désagréable surprise d’apprendre que Robertson l’a trompée. Le divorce est signé en 1963. A nouveau complètement ruinée, Linda fait une tentative de suicide.

C’est une nouvelle fois Marley qui la remet sur pieds et prends soin d’elle. Mais celui-ci meurt peu après. Elle retourne alors au théâtre et commence même à y obtenir ses premier succès. Au point qu’Hollywood, qui aime les come-back des stars déchues, commence à repenser à elle. Elle obtient un rôle dans un western de série B, Black Spurs (Les éperons noirs, 1965) et convainquant à nouveau les producteurs, les scénarios commencent à arriver. Hélas, alors qu’elle est de séjour chez des amis, un incendie se déclare alors qu’ils regardent un de ses anciens films. Les pompiers la retrouvent inconsciente et brûlée presque intégralement au trentième degré. Les médecins se battent pour la sauver mais elle meurt le 10 avril 1965 à quarante et un ans.

Sources:

Documentaire Linda Darnell, Hollywood’s Fallen Angel de Hillary Atkin (1999)

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