9ème partie: Reap The Wild Wind (les Naufrageurs des Mers du
Sud, 1941)
Cecil B. DeMille semble pour toujours être associé aux
péplums aux décors gigantesques et aux foules innombrables. En fait, les
péplums furent une portion très limitée de sa filmographie. Seulement quatre
péplums sur vingt films si on ne prend en compte que sa carrière dans le
parlant, et la proportion se réduit encore si l’on considère également ses
films muets. Et seuls ses trois derniers films font véritablement état de cette
démesure qu’on lui attribue (non sans raison) : Samson And Delilah, The Greatest Show On Earth et bien sûr l’incontournable The Ten
Commandments qui semble résumer (à tort)
toute la carrière du réalisateur à lui seul. Pourtant, en ayant comme prétexte
de nous raconter la construction de l’Amérique moderne, DeMille a réalisé entre
1936 et 1947 une série de westerns et de films d’aventures qui méritent toute
notre attention. Reap The Wild Wind
appartient à la seconde catégorie avec au menu pirateries, naufrages, amours,
bagarres et frissons.
A Key West, en Floride, les mauvaises conditions
climatiques de la région envoient fréquemment des bateaux de commerce sur les
récifs. Aussi il existe une corporation de sauveteurs destinés à sauver le
personnel et les cargaisons des navires en perdition en échange d’un
pourcentage de la marchandise sauvée. Bien évidemment, parmi les
« sauveteurs » se trouvent certains personnages malhonnêtes qui ne
sont attirés que par l’appât du gain et qui n’hésitent pas à provoquer des
naufrages pour arriver à leurs fins. Leur chef est un certain King Cutler qui
dirige une bande de pirates avec son jeune frère Dan. Ceux-ci ont justement soudoyé le second du Jubilee afin
qu’il envoie volontairement le navire dans les récifs. Ainsi, ils seront les
premiers sur les lieux et pourront mettre la main sur la cargaison.
La jeune Loxi Claiborn dirige à présent l’entreprise de
sauvetage familiale et doit se résoudre une fois de plus à rentrer bredouille,
si ce n’est qu’elle sauve l’équipage dont le capitaine Jack Stuart, assommé
pour faciliter le naufrage. Loxi tombe évidemment sous le charme du beau capitaine
et se prend à rêver à ses côtés. Il veut commander le premier bateau à vapeur
de la compagnie qui l’emploie et espère un jour prendre la suite du vieux
commandant Devereaux à la tête de celle-ci et épouser Loxi. Hélas, l’avocat
Steve Tolliver semble rendre les deux premiers rêves impossibles puisqu’il est
le bras droit de Devereaux et que Stuart et lui se détestent cordialement.
Loxi, qui est justement envoyée à Charleston, siège de la compagnie, par sa
mère afin de l’éloigner de la vie trop trépidante qu’elle mène à Key West, lui
promet de plaider sa cause.
A Charleston, elle rencontre Steve Tolliver. Bien qu’elle
le déteste directement par principe, constatant que celui-ci n’est pas
indifférent à ses charmes, elle décide de le séduire afin de le mener vers de
meilleures dispositions envers Jack Stuart. Mais les choses ne se passent pas
exactement comme elle l’avait prévu. Tout d’abord Tolliver tombe amoureux
d’elle et décide de l’épouser, de l’autre il comprend vite que Loxi est plus
intéressée par Jack Stuart. Cependant, il défend ce dernier lors du conseil de
la compagnie et propose de lui confier le commandement du vaisseau à vapeur une
fois que son innocence sera prouvée pour le naufrage du Jubilee. Bien sûr,
Stuart ne sera pas mis au courant et il devra regagner Key West et y attendre
ses instructions. Tolliver, de son côté, ira également à Key West pour prouver
la culpabilité de King Cutler et arrêter ses activités une fois pour toutes.
Croyant Tolliver responsable du coup du sort qui accable Stuart, Loxi décide
d’épouser le jeune capitaine sur le bateau qui les ramènerait à Key West, mais
Tolliver empêche le mariage de justesse et force Loxi à rester à Charleston.
Lorsque Tolliver et Loxi arrivent à leur tour à
Charleston, King Cutler, qui a été prévenu des intentions de Tolliver, a bien
l’intention de le supprimer. Tolliver échappe de justesse à un premier
attentat, mais lorsque Loxi apprend qu’un deuxième aura lieu la nuit-même, elle
convainc Jack Stuart d’aller à la rescousse de Tolliver. Les hommes de Cutler
sont mis en déroute, mais Loxi et Stuart découvrent les papiers donnant le
commandement du bateau à vapeur à Stuart. Croyant une nouvelle fois qu’il
s’agit d’une manigance d’un Tolliver jaloux, Loxi et Stuart le quitte et ce
dernier décide d’aller chez Cutler pour prouver définitivement son innocence
dans le naufrage du Jubilee. Mais Cutler arrive à retourner Stuart à son
avantage. Lui annonçant la mort du commandant Devereaux et la nomination de
Tolliver à la tête de la compagnie, Stuart comprend qu’il ne lui sera jamais
possible de réaliser ses rêves et que la seule manière de pouvoir épouser Loxi
sera d’avoir lui-même sa propre compagnie le plus rapidement possible. Il
propose donc à Cutler de couler le bateau à vapeur avant de se partager les
gains.
Comprenant qu’un naufrage est planifié, Tolliver essaye
d’attendre La Havane à temps pour empêcher le départ du bateau à vapeur. Mais
Loxi, croyant qu’il cherche une fois de plus à ruiner la carrière de Jack
Stuart, sabote le bateau et c’est impuissants qu’ils doivent assister au
naufrage du bateau à vapeur. Loxi comprend enfin que l’homme qu’elle aimait
n’était pas celui qu’elle croyait et que Tolliver était en fait honnête depuis
le début. Lors du procès de Stuart, King Cutler, qui le défend, accuse Tolliver
d’être l’organisateur du naufrage en y ayant assisté sans rien faire. Ils
apprennent aussi cependant que Drusilla, la cousine de Loxi et fiancée de Dan
Cutler, avait peut-être embarqué clandestinement sur le navire et aurait donc péri
lors du naufrage. Afin de démanteler la vérité, Tolliver et Stuart acceptent de
plonger dans l’épave qui tient dangereusement au bord d’un précipice. Lors de
l’exploration, ils découvrent le châle de Drusilla, mais Tolliver est attaqué
par un calmar. Stuart le sauve, mais lorsque l’épave tombe du récif, la corde
de Stuart se coupe et seul Tolliver peut être remonté. Lorsque Dan Cutler
apprend que Drusilla était bel et bien dans l’épave, il avoue les crimes de son
frère qui le tue avant d’être tué par Tolliver.
On est donc bien loin des valeurs chrétiennes auxquelles
on rattache généralement DeMille. Ici, aucune référence à la religion ou aux
valeurs traditionnelles. Loxi est une jeune femme moderne, intrépide et
émancipée (comme beaucoup de femmes chez DeMille en fait, y compris dans The
Ten Commandments où le personnage d’Anne
Baxter est loin d’accepter les volontés de Ramsès et Moïse), aussi, si on a
tendance à qualifier George Cukor de réalisateur qui sublimait ses actrices, il
ne serait pas si étranger d’en dire autant pour DeMille. En effet, Betty
Hutton, Dorothy Lamour, Hedy Lamarr et Paulette Goddard trouvèrent chez lui
certains de leurs plus beaux rôles. Bien sûr, le personnage de DeMille est
assez nauséabonde sur bien des aspects, particulièrement durant les dernières
années de sa vie où il était devenu la symbole même du réactionnaire américain,
mais il ne faudrait pas pour autant négliger ses qualités ni se rappeler que
c’est presque à lui seul que Hollywood doit son statut de capitale du cinéma.
DeMille est un réalisateur de cinéma dans le sens premier
du terme, tout comme John Ford ou Hitchock. De cette manière, il ne faut pas
chercher du réalisme dans ses réalisations. Sa vocation est d’être un conteur
d’histoire, il a d’ailleurs pour habitude d’introduire ces films par une
narration qu’il effectuait lui-même. Aussi, ceux qui n’apprécient de sentir que
les acteurs évoluent dans un décors peuvent directement passer leur chemin car
DeMille n’est pas de ceux qui chercher à donner à tout prix l’impression que
nous assistons à quelque chose de réel. DeMille est davantage préoccupé par
l’esthétique de l’image qu’il met en scène que pour l’aspect documentaire.
Aussi, dans les scènes de navigation sous la tempête du début du film, il est
évident que les acteurs ne sont pas sur un vrai bateau, mais la composition de
l’image et du cadre (un peu comme celle d’un tableau) est tellement étudiée que
cet aspect est assez peu gênant. DeMille cherche la représentation idéale de la
situation vécue et il utilise pour cela son talent à savoir remplir un cadre de
façon harmonieuse. Il y a aussi un réel travail sur le jeu des couleurs qui
mérite d’être souligné, d’autant plus qu’il s’agit seulement de son deuxième
film en couleur à une époque où le format était encore assez peu utilisé. Et si
certains effets spéciaux nous paraissent un peu datés aujourd’hui
(principalement le calmar), ils gardent malgré tout un certain charme qui
évitent de les rendre ridicules.
L’histoire, adaptée d’un roman feuilleton paru quelques
années avant, est très fournie avec bon nombre d’intrigues secondaires et
beaucoup de seconds rôles importants et bien dessinés. Cependant, le scénario
comporte quelques faiblesses comme certains personnages qui disparaissent ou
certaines situations laissées inexpliquées qui laisse à supposer que certaines
scènes ont été abandonnées au montage. Le rythme en revanche est sans temps
mort. DeMille sait gérer l’action aussi bien que les moments d’émotions. Les
esprits bien pensant pointeront évidemment du doigt le personnage de la
nourrice noire bien caricaturale comme il faut. Mais, outre le fait que ce soit
un type de personnage assez répandu à l’époque dans le cinéma hollywoodien
(cette fois c’est Louise Beavers et non pas Hattie McDaniels qui s’y colle), l’aspect
historique du film rend plus légitime cette vision. On grincera plus des dents
sur la vision finale où notre nourrice essaye d’apprivoiser le chien de
Tolliver et celui-ci de conclure par un : « ils ont l’air de
commencer à s’entendre » qui pourrait sonner comme si chien et nourrice
noire étaient sur le même plan, comme deux gentils animaux de compagnie.
Nous avons déjà mentionné le fait que le film nous
présentait une vision de la femme loin d’être rétrograde, mais signalons aussi
le traitement réservé aux deux personnages masculins principaux qui est loin
d’être inintéressant. Jack Stuart commence dès le début comme le héros de
l’histoire. Viril, intègre, ambitieux, le meilleur capitaine de la compagnie,
il a tout pour plaire. Normal, il est joué par John Wayne. Lorsqu’on apprend
que celui-ci a un méchant rival qui essaye de le discréditer, nous sommes
évidemment amené à éprouver, tout comme Loxi, une profonde antipathie pour
Steve Tolliver, d’autant qu’avec ses bouclettes ridicules et ses blagues à deux
balles il est plus tête à claques qu’autre chose. En fait, le réalisateur et
ses scénaristes viennent de nous tromper magistralement puisque c’est Tolliver
qui est le héros de l’histoire au final, alors que Stuart en est l’ange déchu.
Tolliver va nous monter que malgré son aversion personnelle pour Stuart, il le
défend et reconnaît ses qualités, tandis que Stuart ne saura jamais dépasser
ses préjugés concernant Tolliver. Pour assurer sa réussite sociale, Stuart va
préférer s’adonner au crime plutôt qu’abaisser son ego. Finalement, ce que nous
montre le film, même si ce n’est pas l’objet principale, c’est l’échec du rêve
américain ! On pourra évidemment rétorquer que c’est un cinéma de droite
qui laisse les bourgeois au pouvoir tandis que les hommes du peuple sont
obligés d’entrer dans l’illégalité. C’est une autre lecture. Mais après tout,
après avoir vu tellement de films prôner l’inverse, n’est-il pas un peu
réjouissant de voir le renversement des clichés ?
DeMille oblige, le film nous présente une galerie
d’acteurs prestigieux. Commençons par Paulette Goddard autour de qui le film
est véritablement construit. Le film peut-être d’ailleurs perçu comme une
consolation pour l’actrice qui avait quand même été finaliste pour le rôle de
Scarlett O’Hara dans Gone With The Wind.
Rôle qu’elle n’avait perdu que parce que… elle était la voisine de David O.
Selznick, le producteur, qui avait peur qu’on l’accuse de favoritisme !
Loxi a plusieurs points communs avec Scarlett, si ce n’est qu’elle n’est pas
capricieuse, et à la vision de ce film on peut se dire que Paulette Goddard
aurait certainement été très convaincante dans le classique de Victor Fleming.
Goddard, c’est aussi bien sûr la femme et l’actrice la plus célèbre de Chaplin
avec qui elle partagea l’affiche dans Modern Times et The Great Dictator, rien que ça. Il s’agit ici de sa deuxième
participation à un film de DeMille après un très beau second rôle dans North
West Mounted Police. Les deux artistes se
retrouveront encore dans Unconquered.
Vive, intrépide, et ayant son franc parlé, Paulette Goddard s’affirme comme la
digne héritière de Katharine Hepburn. Mais si elle eut une assez belle
carrière, Goddard n’arrivera jamais à atteindre le statut de son aîné. Plus par
manque de volonté que par manque de talent.
Le hasard de notre sélection nous a déjà fait rencontrer
Ray Milland, aussi nous ne nous étendrons pas sur son cas, si ce n’est pour
signaler qu’en dépit d’une coiffure qui le met peu à son avantage, Milland nous
offre une nouvelle fois une performance pleine de charme et de simplicité. On
peut sans doute signaler un léger manque de carrure (au sens figuré plus qu’au
sens propre) qui l’a sans doute empêché de devenir une légende de cinéma comme
son partenaire, John Wayne. Wayne qui est ici une étoile montante. Révélé par Stagecoach deux ans auparavant qui l’a sorti d’une succession
de westerns minables, Wayne n’est pas encore la vedette du box office qu’il
deviendra dans les années 50. Il ne se prend pas encore pour John Wayne et
c’est tant mieux pour nous. Ainsi le personnage qu’il nous offre est bien plus
sombre et moins héroïque que ceux qu’il incarnera par la suite. Un personnage
que le John Wayne de 1958 aurait certainement refusé. D’autant qu’il a ici
également un rôle de jeune soupirant, un type de rôle qu’il incarnera assez peu
finalement. Wayne devra plutôt son statut de star à son image de figure
paternelle et rassurante plutôt qu’à celle d’un don juan. Ici, il nous montre
déjà le magnétisme et le charisme impressionnant qui le caractérise. En revanche,
son jeu est encore assez limité. S’il ne joue pas faux, il est loin de créer le
personnage complexe et ambigu qui, au regard du scénario, aurait pu être Jack
Stuart. Complexité qu’il trouvera plus tard dans Red River et The
Searchers.
Enfin, le film nous offre toute une série de seconds
rôles dignes d’intérêt. Parmi eux, signalons trois qui ont marqué l’histoire
d’Hollywood. Tout d’abord Susan Hayward qui joue Drusilla, la cousine de Loxi.
En cette période, l’actrice joue une série de seconds rôles féminins, mais elle
va bientôt devenir une des plus grandes stars de sa génération. Car oui, bien
que très oubliée aujourd’hui, Susan Hayward fut très populaire en son temps.
Habituée à la course aux Oscars (elle en obtiendra un pour I Want To Live) elle fut une habituée des mélodrames, même si on la
vit ponctuellement dans des films plus légers. Ici, dans un rôle qui aurait pu
être tenu par une actrice n’étant « que » jolie, elle montre déjà
qu’elle sait donner de la profondeur à son personnage. Son soupirant est joué
par Robert Preston, qui avait également joué dans North West Mounted
Police, mais cette fois comme amant de
Paulette Goddard. Ici son rôle, bien que déterminant à la fin, est assez
effacé. Preston, tout au long de sa carrière, fut un second rôle remarqué. Plus
surprenant, c’est sa carrière dans des comédies musicales à Broadway qui firent
véritablement son succès et son rôle le plus marquant au cinéma sera sans doute
celui qu’il tiendra dans Victor/Victoria de Black Edwards. Enfin, son frère est incarné par Raymond Massey, un
autre habitué des films de DeMille, qui fut l’un des grands méchants de
Hollywood. Son personnage ici est méprisable à souhait avec une mention pour la
scène de procès où il arrive à retourner sans scrupule toutes les accusations
contre le personnage de Ray Milland.
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