LES CLASSIQUES OUBLIES: 6ème partie - The Lives Of A Bengale Lancer (les trois lanciers du Bengale, 1935)
6ème partie: The Lives Of A Bengal Lancer
(Les trois lanciers du Bengale, 1935)
Lorsque l’on s’intéresse aux films du
vieil Hollywood, il faut souvent reconnaître que les films de la première
partie des années 30 ont souvent assez mal vieilli. Les cinéastes doivent en
effet se faire aux contraintes que leur offrent le parlant. Il faut réapprendre
à faire des films. De ce fait bon nombre d’entre eux ont des longueurs ou
apparaissent très théâtraux. Le jeu des acteurs, à part ceux qui deviendront
les plus grosses stars des années suivantes, ainsi que leur apparence souvent
trop maquillée nous semble aujourd’hui bien désuets. Enfin, il n’est pas rare
que les décors se sentent très fort, surtout dans les films historique ou
d’aventure. Cependant, il existe certains films qui ont très bien vieilli, voir
même qui semble n’avoir pas pris une ride. The Lives Of A Bengal Lancer est de ceux-là.
L’histoire se déroule en Inde, alors
sous domination britannique, vers le début des années 30 ou un peu avant. Des
rebelles donnent du fil à retordre au 41ème régiment des lanciers
chargé de surveiller cette zone chaude du Bengale. C’est justement pour
remplacer deux officiers tombés au combat que deux nouvelles recrues sont
appelées . Le premier est Forsythe, déjà officier confirmé et ayant une
nette tendance au dandysme. Le second est Donald Stone, le jeune fils du
colonel du régiment (un vieux soldat peu à l’aise avec les sentiments et
privilégiant donc son devoir sur ceux-ci) qui ne voit pas d’un très bon œil
l’arrivée de ce soldat inexpérimenté même si retrouver un fils qu’il n’a
presque pas connu le touche. C’est un autre jeune officier, Alan McGregor, qui
est chargé de les accueillir. McGregor n’apprécie pas trop son colonel qui
privilégie le devoir avant tout, aussi n’a-t-il pas l’intention de faire un bon
accueil à son jeune fils. Pourtant McGregor tombe sous le charme du jeune
homme, d’autant plus lorsqu’il voit que celui-ci ne reçoit pas l’affection
paternelle qu’il espérait trouver. En revanche les relations sont plus tendues
avec Forsythe, surtout lorsque ce dernier décide de faire de McGregor le
souffre douleur de ses plaisanteries. Mais finalement les trois officiers vont
être liés par une franche camaraderie. Aussi, lorsque le jeune Stone est enlevé
lors d’une expédition, McGregor et Forsythe n’hésitent pas une seconde pour
braver les ordres en allant à son secours. Prisonniers à leur tour, ils
décident de s’évader et McGregor se sacrifiera pour empêcher son régiment d'être massacré.
Le film reprend donc plusieurs
thématiques qui sont chères aux films d’aventure et qui restent encore
d’actualité aujourd’hui : la bande de copains qui se retrouvent dans les
dangers, le jeune débutant pris sous l’ail d’un homme plus expérimenté. On peut
cependant noter, et c’est d’ailleurs une entorse non négligeable aux clichés
hollywoodiens, que le film ne présente aucune histoire d’amour. Certes, le
jeune Stone tombe sous le charme d’une jeune femme qui sera la cause de sa
perte, mais elle sert surtout à justifier son enlèvement d’un point de vue
scénaristique, et sa place dans l’intrigue est très réduite pour ne pas dire
quasi inexistante. Il faut aussi reconnaître au film qu’il ne possède aucune
longueur. L’intérêt est sans cesse renouvelé entre humour et suspense voir en
alliant les deux (la scène où Forsythe jouant de la flûte pour irriter McGregor
attire malgré lui un serpent). De même le jeu des acteurs a généralement bien
vieilli y compris chez les seconds rôles. La seule exception serait sans doute
la jeune vamp, mais comme dit plus tôt, son importance dans le film est très
mince. Et de même, les décors sont tout à fait crédibles. Pas ou peu de toiles
peintes et de décors en carton. On sent que la Paramount, à l’époque l’un des
deux plus puissants studios d’Hollywood, a mis le paquet pour ce film qui était
sans doute à l’époque l’équivalent de nos blockbusters actuels.
La réalisation a été confiée à Henry
Hathaway. Celui-ci fait partie de ses réalisateurs de l’âge d’or ayant un peu
le cul entre deux chaises. Il ne fait pas partie de ces légendes, comme Ford,
Hitchock, Hawks ou Kazan qui restent encore acclamés de nos jours. Mais il ne
fait pas non plus partie des « tâcherons » dont le nom se trouve par
hasard associé à un classique du cinéma. En fait, lorsqu’on regarde la
filmographie très fournie de Hathaway, on se rend compte qu’il a réalisé pas
mal de classiques, souvent oubliés aujourd’hui, et dans des genres très divers.
Des films noirs comme Niagara
ou Kiss Of Death, des drames
comme Peter Ibbetson, des films
de guerre comme The Desert Fox et
bien sûr des westerns comme The Sons Of Katie Elder ou True Grit. Un cinéma très masculin mais où l’on peut cependant trouver de très
beaux personnages de femmes forte, comme celle incarnée par Susan Hayward dans Garden
Of Evil. Cela a conduit Hathaway à
pouvoir être considéré comme un sous Howard Hawks, avec qui il possède de
nombreux points communs mais dont les films sont davantage passés à la
postérité. Une filmographie plus inégale et contenant quelques navets comme The
Black Rose a probablement accentué
ce sentiment. Et pourtant, dans ses grands jours, Hathaway n’a certainement
rien à envier à Hawks et un certain nombre de ses films pourraient être ajoutés
à cette liste de classiques oubliés.
Souvent associé à John Wayne, qui sous
sa direction obtient son Oscar, on oublie qu’il dirigea également beaucoup Gary
Cooper qui trouva certains de ses meilleurs rôles avec lui. Peut-être est-ce
parce que les films que Cooper et Hathaway sont injustement tombés dans
l’oublie que l’on a pas vu en eux un couple acteur-réalisateur comme il y en a
tant dans l’histoire du cinéma (Wayne et Ford, Brando et Kazan, Grant et Hawks,
Bogart et Huston). Ils tournèrent ensemble cinq films dans les années 30 avant
leurs retrouvailles pour l’excellent Garden Of Evil au milieu des années 50. A l’époque, Gary Cooper est
la plus grande star masculine sous contrat avec la Paramount, ce qui est dire
la bonne opinion que les dirigeants du studio devaient avoir d’Hathaway pour le
laisser diriger autant leur vedette.
Aujourd’hui, Gary Cooper est considéré
comme une des plus grandes stars qu’Hollywood ait connu. Pourtant, il faut
reconnaître qu’à part High Noon,
il est assez peu fait mention des films qu’il a tourné. Et pourtant il tourna
avec les plus grands, Cecil B. DeMille, Ernst Lubitsch, Frank Capra, Billy
Wilder, Howard Hawks (et la liste pourrait continuer) dans certains de leurs
meilleurs films et il obtint deux Oscars. Et si on a tendance à le voir
surtout comme un acteur de western, genre où il fut très présent, il s’est
frotté à tous les genres. Le film d’aventure, bien évidemment, mais aussi – ce
qui est peut-être plus surprenant – la comédie où il fut d’ailleurs très
présent à une époque. Principale rival de Clark Gable au titre de Roi de
Hollywood, il est avec lui l’archétype du mâle américain de l’époque, viril et
charismatique. Mais là où Gable proposera un personnage roublard et macho,
Cooper sera au contraire taciturne voir même souvent grognon. Un jeu assez
minimaliste qui fait qu’aujourd’hui il apparaît sans doute moins daté que son
rival.
Cooper est effectivement l’archétype
de l’acteur de cinéma. Contrairement à Gable qui a eu auparavant une courte
carrière sur les planches, il arriva au cinéma un peu par hasard. En effet,
c’est le dessin qui l’intéresse au départ. Hélas, l’impossibilité de trouver un
travail relativement satisfaisant le pousse à devenir figurant et cascadeur
dans des petits westerns afin de subsister. Cooper, qui a été élevé dans un
ranch est effectivement un excellent cavalier. Son magnétisme et sa photogénie
feront le reste, surtout lorsqu’il est retenu par l’une des plus grandes stars
du muet, Clara Bow, comme partenaire masculin. Ayant, commencé à pratiquer l’art
dramatique devant les caméras, il ne fut pas gêné par une précédente expérience
théâtrale. Au contraire, jamais avant lui un acteur n’avait aussi bien perçu le
pouvoir de la caméra et sachant quelle juste intensité donner pour avoir l’air
naturel. Par ce fait, son jeu extrêmement minimaliste surpris bon nombre de ses
partenaires et réalisateurs qui ne se redirent compte de sa puissance qu’en
voyant le résultat à l’écran.
Mais Gary Cooper n’est pas le seul
intérêt du film sur le plan des acteurs. Et le film est aussi l’occasion, en
plus de voir Cooper avec autre chose qu’un chapeau de cow-boy, de redécouvrir
Franchot Tone. Tone fait partie de ses acteurs qui ne réussirent jamais à
s’imposer comme des stars de premier plan mais dont la personnalité et le
talent étaient suffisamment forts pour continuer à pouvoir nous intéresser
aujourd’hui. Contrairement à Cooper, Tone venait bel et bien du théâtre, et de
la plus belle famille. Il était des fondateurs du « Group Theatre »
un ensemble d’acteurs, metteurs en scène et scénaristes considérés aujourd’hui
comme ayant inventé le théâtre américain moderne et parmi lesquels on pouvait
trouver des noms aussi fameux que Lee Strasberg, Stella Adler et, un peu après,
Elia Kazan et John Garfield. Il les quitte très vite pour tenter sa chance à
Hollywood où il devient le second mari de John Crawford et où il devient
célèbre grâce à sa participation à quelques succès comme Mutiny On The
Bounty. Habitué à jouer des rôles de
jeune playboy, The Lives Of A Bengale Lancer ne déroge pas à la règle, mais ajoute cependant une
belle dose d’humour. Sa relation de rivalité amicale avec Cooper étant l’un des
points forts du film.
Le troisième larron est incarné par
Richard Cromwell, un nom pour le coup beaucoup plus obscur, même si en ce début
des années 30 il semblait être un jeune premier prometteur. Il faut cependant
reconnaître que dans ce rôle, sans doute le plus difficile car pouvant devenir
facilement fade, Cromwell est tout à fait convaincant. Effectivement Cromwell
évite la fadeur propre à bon nombre de jeunes premiers de l’époque, certes très
beaux mais manquant de talent et de personnalité. Et si le manque de
personnalité est peut-être l’une des raisons ayant conduit Cromwell à ne pas
s’être durablement établi dans le cinéma hollywoodien, son talent est
indéniablement et les moments d’émotion du film sont certainement en grande
partie réussis grâce à lui. Enfin, pour terminer, la distribution s’offre
également la présence de deux vétérans impeccables, Guy Standing et C. Aubrey
Smith.
Le film fut un énorme succès
et lança une série de films se passant dans les Indes britanniques, dont les
plus célèbres sont The Charge Of The Light Brigade avec Errol Flynn et Gunga Din avec Cary Grant. Pourtant, The Lives Of A
Bengal Lancer en reste,
par son trio d’acteur, son intrigue palpitante et sa réalisation dynamique, le
sommet inégalé et un classique du film d’aventure qu’il convient de redécouvrir
pour les amoureux du genre.
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