John Garfield (1913-1952)


John Garfield


Un gamin de New York :


A sa naissance, rien ne laissait présager que le petit Jacob Garfinkle connaîtrait un jour gloire et richesse. Né le 4 mars 1913 dans le Lower East Side de Manhattan de parents émigrés juifs, il semblait plutôt prédestiné à vivre la vie des personnages qu’il incarnerait plus tard à l’écran. La famille est pauvre et le travail du père, David, comme employé de pressing suffit juste à nourrir sa femme et ses deux fils. Pour ne rien arranger Hannah Garfinkle meurt alors que le petit Jacob (plus souvent appelé par son deuxième prénom, Julius ou son surnom Julie) n’a que sept ans. Lorsque la famille déménage à Brooklyn il n’y a rien d’étonnant à ce que Julie passe plus de temps à fréquenter des jeunes gangs que l’école.

En 1926, il est envoyé au P.S. 45, une école pour enfants à problèmes où le directeur, Angelo Patri, l’encourage à canaliser son énergie dans la boxe. Comme il bégaie, Patri lui fait également suivre des séances d’orthophonie. Enfin, il l’incite à suivre des cours de théâtre et à participer aux pièces de l’école. Pour Julie, c’est une révélation. Il a trouvé sa voie et il ne la quittera plus. Il obtient une bourse d’étude pour suivre des cours de théâtre à la Heckscher Foundation, puis il entre à l’American Laboratory Theater où il étudie avec des vétérans du théâtre de Moscou comme Maria Ouspenskaïa. Enfin, il fait un apprentissage au Civic Repertory Theater où il est initié à la peinture des décors et à l’art du théâtre.


Les débuts au Group Theater :

En 1931, il part avec un ami explorer les Etats-Unis par train (clandestinement) et par stop. Il vit de petits boulots et découvre la vie hors de New York, si différente. Lors de son retour, il contracte une fièvre rhumatismale. S’il en guérit, il gardera toujours un cœur fragile. Il décroche alors un rôle au théâtre dans « Lost Boy » et en profite pour changer son nom en Jules Garfield. Sa rencontre avec le dramaturge Clifford Odets le pousse à intégrer en 1934 le Group Theatre qui propose des pièces modernes et une nouvelle manière de jouer inspirée de Stanislavski, bien des années avant ce qu’on appelle « la Méthode ». Il y croise entre autres Elia Kazan, Sandford Meisner et les fondateurs Lee Strasberg et Cheryl Crawford, quatre figures clés de ce qui deviendra plus tard l’Actor’s Studio. Avec le Group, il jouera dans sept pièces.

En 1935, un peu avant ses 22 ans, il épouse Roberta Seidman, une amie d’enfance. Deux ans plus tard, il joue pour la première fois depuis longtemps hors du Group dans la pièce « Having A Wonderful Time » où il a le premier rôle. Cependant, malgré un bon salaire, il quitte le spectacle afin de pouvoir jouer dans la pièce « Golden Boy » que Clifford Odets a écrit spécialement pour lui. Malheureusement, ses complices ne sont pas de cet avis : le rôle du boxeur violoniste est donné à Luther Adler (le frère de Stella Adler, future professeur de Marlon Brando) et Julie doit se contenter d’un second rôle. Cette déception le pousse à quitter le Group Theater en acceptant une proposition de contrat de la Warner.


Premiers pas à Hollywood :

Arrivé à Hollywood, la Warner le pousse à changer son prénom de Jules en John. En effet, si les patrons des studios sont juifs, l’antisémitisme est encore très présent dans la population américaine qui va voir leurs films. En 1938, Four Daughters (Rêves de Jeunesse) de Michael Curtiz qui met en vedette les trois sœurs Lane (Priscilla, Rosemary et Lola) ainsi que Claude Rains, est la première apparition à l’écran de Garfield. Le succès est immédiat et ce dernier est nominé pour l’Oscar du meilleur second rôle. Aussitôt la Warner offre un contrat de sept ans à son nouveau poulain avec une clause lui permettant de pouvoir jouer sur scène une fois par an et fait tourner par Curtiz des scènes supplémentaires mettant en vedette Garfield dans Blackwell’s Island de William McGann, une série B réalisée auparavant mais qui ne sortira qu’en 1939. Il enchaîne aussitôt avec They Made Me Criminal (Je suis un Criminel, 1939) de Bubsy Berkeley où il incarne son premier rôle de boxeur.



S’il n’a pas encore gagné ses galons de star, John Garfield est désormais une étoile qui monte, montrant un type de héros qui n’avait jusque là qu’assez peu sa place : celui du jeune homme des bas quartiers, produit de la dépression à la fois canaille et sensuel mais sans être foncièrement mauvais. Un peu comme les rôles qu’incarnera dix ans plus tard Marlon Brando. Côté privé, sa femme donne naissance à leur première fille, Katherine, ce qui n’empêche pas les nombreuses infidélités de l’acteur.

Reprenant l’essentiel du casting de Four Daughters, mais en les plaçant dans le cadre d’une autre famille, Daughters Courageous (Filles Courageuses, 1939), met cette fois en vedette Garfield, mais cette fois le succès est moindre. Il en va de même de Four Wives (Quatre Jeunes Femmes, 1939) qui s’inscrit plus franchement comme une suite de Four Daughters et où le personnage de Garfield apparaît dans des scènes de flash back. Il tourne ensuite sa première grande production, Juarez de William Dieterle avec Paul Muni dans le rôle-titre et où il joue le rôle de Diaz. Ce sera sa seule incursion dans le film à costumes.

Si son style de jeu convient parfaitement aux films produits par la Warner à cette époque, il reste cantonné aux séries B comme Castle On The Hudson (Le Château de l’angoisse, 1940) d’Anatole Litvak, ses incursions dans des films plus prestigieux ne se faisant que par le biais de seconds rôles. Il rate de plus une nouvelle fois le rôle principal de Golden Boy lorsque Jack Warner refuse de le prêter à la Columbia. Le rôle révèlera William Holden. Alors qu’il refuse de tourner une nouvelle fois un film policier sans grand intérêt qu’on lui propose à la place, il est suspendu.

Lorsqu’il revient sur les écrans, c’est dans le registre inattendu de la comédie dramatique avec Saturday’s Children (1940) de Vincent Sherman où il incarne un homme timide. Malgré de bonnes critiques, le film est un échec. Il décide alors de se ressourcer et de retourner au théâtre. Cela ne plaît pas à la Warner qui pour le punir continue à lui offrir des rôles de série B. Malgré cela elle le fait tourner dans The Sea Wolf (Le Vaisseau Fantôme, 1941) de Michael Curtiz d’après l’oeuvre de Jack London où il seconde l’une des plus grandes vedettes du studio, Edward G. Robinson. La même année, désireux de monter qu’il est un acteur polyvalent, il incarne un fasciste dans Out Of The Fog d’Anatole Litvak où, comme dans le film précédent, il a Ida Lupino comme partenaire.


Devenir une star :

Sa popularité devient de plus en plus grande au point que c’est la MGM elle-même, le plus prestigieux des studios de l’époque, qui demande à l’avoir pour un de leurs films. Pour la première fois Jack Warner accepte de prêter son acteur à un concurrent. Cela donnera Tortilla Flat (1942), d’après un roman de John Steinbeck avec ni plus ni moins que Victor Fleming à la réalisation et Spencer Tracy et Hedy Lamarr dans les rôles principaux.



Lorsque les Etats-Unis entrent en guerre, Garfield est bien décidé à s’engager. Malgré plusieurs essais, ses problèmes cardiaques le font réformer. Il est alors une des premières stars à aller divertir les soldats à l’étranger et fonde avec Bette Davis, autre vedette de la Warner, la fameuse Hollywood Canteen. Enfin, il participe à plusieurs films de guerre dont le plus connu reste Destination Tokyo (1943) avec Cary Grant. Désormais conscient de son potentiel, la Warner lui offre enfin des rôles plus intéressants comme dans Prides Of The Marine (La Route des Ténèbres,1945), l’un des films les plus réalistes de l’époque sur la dureté des combats. Entre temps la famille Garfield s’est agrandie avec l’arrivée en 1943 d’un petit David.

Mais en 1945, c’est le drame, sa fille Katherine meurt d’une réaction allergique. L’année 46 viendra panser les plaies. Tout d’abord avec la naissance d’une nouvelle fille, Julie, ensuite avec deux de ses meilleurs films. Pour commencer la MGM qui lui offre le premier rôle d’un des films les plus attendus, The Postman Always Rings Twice (Le Facteur sonne toujours deux fois), d’après le célèbre roman de James M. Cain, aux côtés d’une de leurs plus grandes vedettes, Lana Turner. Ensuite la Warner en fait le partenaire de Joan Crawford, qui a rejoint le studio peu de temps avant, dans Humoresque dont le scénario est de son ami Clifford Odets. Dans le rôle d’un violoniste virtuose, il apprend à jouer certaines parties afin de ne pas devoir faire appel à une doublure. Ce film est le dernier qu’il effectue pour la Warner, son contrat, qu’il ne souhaite pas renouveler, prenant fin. Ces deux derniers films ayant été de grands succès, il a Hollywood à ses pieds et peut dicter ses conditions.

Avec un ami de New York, Bob Roberts, il monte alors une société de production destinée à lui permettre de tourner les films qu’il veut. Le premier sera Body And Soul (Sang et Or, 1947) réalisé par Robert Rossen. Le film, écrit par Abraham Polonsky, reçoit plusieurs nominations aux Oscars dont une comme meilleur acteur pour Garfield. Il enchaîne avec un autre film, cette fois réalisé par Polonsky lui-même, Force Of Evil (La Force des Ténèbres, 1948). Deux films considérés comme des attaques du capitalisme. Entre temps, il tourne également pour Otto Preminger ainsi qu’un second rôle pour son ami Elia Kazan dans le premier grand film de celui-ci, Gentleman’s Agreement (Le Mur Invisible, 1947).



En 1947, les libéraux de l’industrie du cinéma, sous la houlette d’Humphrey Bogart et Lauren Bacall, se rendent à Washington pour protester contre les enquêtes anti-communistes qui commencent à toucher leur profession. Garfield accompagne pour défendre ses anciens amis du Parti et s’exprime à ce sujet à la radio, mais il ignore qu’il ne va pas tarder à être inquiété lui aussi. Le fait de tourner pour John Huston We Were Strangers (Les Insurgés, 1949), n’arrange pas son image aux yeux des disciples du sénateur McCarthy qui considèrent le film comme pro-communiste. De plus, certaines scènes sont éprouvantes pour son cœur et fragilisent encore sa santé. 1947 fut également l’année de son retour sur scène où, après avoir refusé le rôle principal d’un Tramway nommé Désir, il est dirigé par son ami Lee Strasberg dans Skipper Next To God.

En 1950, il retourne à la Warner le temps d’un film, The Breaking Point (Trafic en Haute Mer), réalisé par Michael Curtiz où il tient la vedette avec Patricia Neal. Le film est une adaptation d’En avoir ou pas d’Ernest Hemingway, déjà porté à l’écran avec moult changements par Howard Hawks. Et puis en juin de la même année c’est le drame. Le magazine politique Red Channels l’accuse de soutenir dix-sept factions communistes. Aussitôt, il est mis sur liste noire. Hollywood lui fermant ses portes, il se tourne une nouvelle fois vers le théâtre où il joue Peer Gynt sous la direction de Strasberg.

Il est cité à comparaître le 23 avril 1951 devant le H.U.A.C. puis le FBI. Ces deux instances savent qu’il n’est pas membre du Parti Communiste mais savent que l’inculpation d’une star de cinéma bien connue du public fera de la publicité au Comité. Garfield refuse cependant de donner le moindre nom. Malgré sa mise sur liste noire, il produit de façon indépendante le film noir He Ran All The Way (Menace dans la Nuit, 1951). Son état cardiaque de plus en plus critique l’empêche de répéter la scène de la course qu’il réalisera donc seulement au moment du tournage. Autre victoire personnelle, en mars 1952 il peut enfin incarner le rôle-titre de Golden Boy au théâtre, sous la direction de l’auteur, son ami Clifford Odets.



Séparé de sa famille, l’acteur fréquente l’actrice Iris Whitney. Des rumeurs font état d’une possible nouvelle comparution devant le H.U.A.C. Garfield est sur la sellette. Le 20 mai 52, après une partie de tennis suivie d’un copieux repas, l’acteur se sent mal. Iris Whitney le prend chez elle et le retrouve mort le lendemain. Une thrombose pulmonaire a eu raison de l’acteur de 39 ans. Ses funérailles sont grandioses et la foule qu’elles rameutent est digne de celles de Rudolphe Valentino. Preuve que malgré une certaine absence au cinéma de quelques années et les campagnes de dénigrement des maccarthystes, le public ne l’avait pas oublié. Hélas, il faut avouer qu’aujourd’hui son nom n’est pas aussi reconnu que celui d’autres stars de la même époque, cause d’une carrière trop tôt interrompue.

Source:

Documentaire "The John Garfiedl Story" de David Heeley

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