Billy Wilder (1906-2002)


Billy Wilder


Jeunesse en Europe :

Lorsque Samuel Wilder naît le 22 juin 1906 à Sucha, près de Cracovie, la Pologne fait encore partie de l’empire austro-hongrois qui brille de ses derniers feux. Son père, Max Wilder exercera plusieurs professions et sera propriétaire d’une chaîne de buffets de gare. Sa mère, Genia, a vécu quelques temps aux Etats-Unis et surnomme rapidement son deuxième fils « Billie », en hommage à son héros, Buffalo Bill. La famille déménage rapidement à Vienne où le jeune garçon suivra ses études. Résistant à l’idée de son père qui veut le faire entrer à l’université pour devenir avocat, il devient journaliste, écrivant de petits articles sur le football, le cinéma et les concerts de l’époque. C’est justement en suivant le chef d’orchestre Paul Whiteman, dont il a fait la connaissance, qu’il s’installe à Berlin où il continue sa carrière de journaliste pour le Berlin Nachtausgabe.

J’étais un journaliste très paresseux, parce que j’étais amoureux de trois ou quatre filles. Je ne travaillais pas assez. J’ai été renvoyé, réengagé, puis engagé par un autre journal. Mais ensuite je me suis dirigé vers l’écriture de scénarios. J’étais un nègre. C’était des temps très difficiles, j’ai passé maintes nuits dans la salle d’attente d’une gare. Mes vêtements étaient chez ma logeuse. Le loyer était à 35 dollars par mois. Pas de blanchissage, rien. J’ai aussi partagé la chambre avec un ami. J’avais envie de tout abandonner. J’écrivais au noir, sans apparaître au générique. C’était l’époque où les scénarios faisaient 25 pages. Il n’y avait pas de dialogues, rien. J’essayais de rester heureux, de ne pas me laisser abattre. Ensuite j’ai récupéré mon emploi de journaliste et j’ai recommencé à louer une chambre tout seul.

Son travail de journaliste lui permet de rencontrer Freud (qui le mettra à la porte) et Richard Strauss. Pour arrondir ses fins de mois, Wilder pratique également la profession de danseur mondain.

Je n’étais pas le meilleur danseur, mais j’avais le meilleur dialogue avec les dames avec qui je dansais. Je portais un costume sobre l’après-midi et le soir un smoking. On dansait pour le cocktail de cinq à sept, et le soir après huit heures et demie. Je me souviens qu’un jour je m’étais plaint que j’usais beaucoup mes chaussures. Le lendemain j’arrive et le concierge me donne un paquet, douze paires de chaussures du mari de ma partenaire. Elles étaient trop grandes pour moi de toute façon.

Peu à peu, Wilder arrive cependant à se faire un nom comme scénariste, mais ce succès relatif est assombri par la mort de son père en 1928, et la prise du pouvoir par les nazis. D’origine juive, Wilder sent que le climat ne lui sera pas favorable très longtemps, et, peu après l’incendie du Reichstag en 1933, il s’enfuit à Paris avec sa petite amie de l’époque. C’est là qu’il met en scène son premier film, Mauvaise Graine (1934) avec une jeune débutante nommée Danielle Darrieux. Cependant, il ne se sent pas pour autant l’âme de metteur en scène. S’il est passé derrière la caméra, c’est uniquement pour permettre à un de ses scripts, en collaboration avec Alexander Esway, d’être porté à l’écran. De plus, la volonté de Wilder n’est pas de faire carrière en France, mais de rejoindre les Etats-Unis où son frère aîné habite depuis les années 20. Un scénario vendu lui permet de s’acheter un billet, et Wilder s’embarque pour le Nouveau Monde.


Les débuts américains :

A son arrivée, Wilder est accueilli par son frère et va habiter quelques temps avec lui à Long Island.

Un matin en me levant, j’ai regardé par la fenêtre. Il neigeait toujours. Il y avait une grande Cadillac noire. Un jeune garçon en sort avec une pile de journaux et il en dépose un à la porte. Le temps était mauvais et la famille du petit livreur de journaux le conduisait dans cette grosse voiture. Mais pour moi, je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est que ce pays ? » Des journaux livrés en Cadillac ! C’était ahurissant ! Ca m’a plu ! J’ai adoré ça !

Pour Wilder qui a décidé d’écrire des scénarios pour La Mecque du cinéma qu’est Hollywood, un problème de taille surgit : sa connaissance de l’anglais est très sommaire. Tout en co-écrivant des scénarios pour divers studios, il s’applique à apprendre la langue de son pays d’adoption. La légende veut que lorsque son premier visa expire, il ne doit son salut qu’au fait que le consul de Mexicali se révèle un cinéphile. Apprenant que Wilder est scénariste, il lui déclarera, peu avant de lui remettre ses papiers : « Ecrivez-en de bons ! ».


Engagé à la Paramount, le succès vient à lui lorsque le studio décide de le faire travailler avec un autre scénariste qui commence à se faire un nom, Charles Brackett. La paire de scénaristes la plus célèbre d’Hollywood était née. A la même époque il épouse Judith Iribe. Le premier travail du duo n’est pas des moindres : écrire le scénario de Bluebeard’s Eighth Wife (La Huitième Femme de Barbe-Bleue, 1938), le nouveau film du roi de la comédie, Ernst Lubitsch. Si le scénario possède quelques faiblesses, cette rencontre sera déterminante : Wilder et Brackett apprennent les ficelles du métier et le cinéaste, avec qui il aura d’excellents contacts, restera toujours l’influence majeure de Wilder dans la manière de mettre des gags à l’écran.

Ses relations seront cependant moins bonnes avec un autre maître de la comédie hollywoodienne, Mitchell Leisen, pour qui Brackett et lui écrivent leur nouveau scénario, Midnight (La Baronne de Minuit, 1939). Inspiré de l’histoire de Cendrillon, il s’agit probablement de leur meilleur scénario avant le passage de Wilder à la réalisation. Après un What A Life qui n’a pas tellement marqué les esprits, Wilder et Brackett signent un nouveau film pour Lubitsch, Ninotchka (1939). Le trio souhaitait Cary Grant pour donner la réplique à Garbo, sans succès, et le rôle revint à Melvyn Douglas. Le film, malgré quelques longueurs, deviendra l’un des plus gros succès de Lubtisch et confirmera le succès de Wilder et Brackett. Toujours en 1939, sa femme donne naissance à des jumeaux, Victoria et Vincent. Malheureusement le petit garçon décède quelques semaines après sa naissance.


 Arise My Love (1940) à nouveau dirigé par Leisen ne fait rien pour rapprocher le réalisateur et son scénariste, ce qui n’empêchera pas Claudette Colbert, dont c’était le troisième film signé Brackett-Wilder qu’elle tournait, de considérer le film comme étant son préféré. Les tensions qui opposent Wilder et Leisen atteignent cependant leur apogée lors du tournage de Hold Back The Dawn (Par la Porte d’Or, 1941), lorsque Charles Boyer refuse de parler à un cafard. Leisen, qui aime que ses acteurs se sentent à l’aise, accepte que Boyer ne s’adresse pas à l’insecte. Wilder et Brackett, furieux de voir l’un de leurs gags réduit à néant par le caprice d’un acteur, décident de donner le texte du troisième acte qu’ils sont occupés d’écrire à ses partenaires Olivia de Havilland et Paulette Goddard. Cet incident pousse Wilder, qui en a assez que ses scénarios ne soient pas toujours respectés, de passer derrière la caméra. Cependant, avant cela, Brackett et lui écrivent le scénario de Ball Of Fire (Boule de Feu, 1942) pour Howard Hawks, d’après une idée que Wilder avait trouvée en Allemagne.


Scénariste et réalisateur à succès :

Wilder n’est cependant pas le premier scénariste à passer derrière la caméra. Peu de temps avant lui, Preston Sturges était devenu avec succès réalisateur de screwball comedies. De même, John Huston vient de connaître le succès avec Le Faucon Maltais. La Paramount accepte donc de lui donner sa chance. Mais Wilder sait très bien que le studio espère un échec pour le reconduire aux bureaux des scénaristes, c’est pourquoi Brackett et lui décident d’écrire un film « commercial », un vrai scénario en béton. Ce sera The Major And The Minor (Uniformes et Jupons Courts, 1942). Par chance, Ginger Rogers, qui vient de remporter un Oscar et est l’une des actrices les plus en vue, accepte le rôle principal. En revanche, il ne peut avoir Cary Grant conformément à son souhait et ce sera Ray Milland qui le remplacera avec talent. Le résultat est une excellente comédie pleine de sous-entendus et qui remportera un franc succès. Il est alors permis à Wilder de réaliser un deuxième film.


Five Graves To Cairo (Les Cinq Secrets du Désert, 1943) voit le réalisateur se tourner vers le film d’aventure. Le film, servi par Franchot Tone, Anne Baxter et, l’idole de Wilder, Erich von Stroheim, est une nouvelle réussite et va permettre à Wilder, maintenant que sa place de metteur en scène est acquise, d’aborder des sujets plus ambitieux. La noirceur du roman policier de James M. Cain, Assurance sur la Mort, avait longtemps fait considérer celui-ci comme inadaptable au cinéma (de même qu’un autre de ses romans, Le Facteur Sonne Toujours Deux Fois). Loin d’être impressionné, Wilder décide de relever le défi. Un défi qui fait d’ailleurs peur à Brackett qui se retire du projet. Qu’à cela ne tienne, Wilder fait appelle au romancier Raymond Chandler, créateur de Philip Marlowe, pour collaborer avec lui. Les deux hommes se détesteront, mais ces tensions donneront naissance à l’un des scénario les plus parfaits de ce qui deviendra le genre du film noir. Le problème : personne n’ose accepter les rôles principaux. Si Wilder arrive finalement à convaincre Barbara Stanwyck que le rôle est un véritable défi personnel, le rôle de Walter Neff lui pose problème. Tous les acteurs qu’il contacte rejettent le rôle et Wilder, ira même jusqu’à proposer le rôle à George Raft, acteur ayant eu un succès certain dans les films de gangsters des années 30, mais aux talents dramatiques fort limités, qui le refusera également. Alors qu’il s’apprêtait à jeter l’éponge, il arrive à convaincre Fred MacMurray. L’acteur habitué aux comédies et aux mélodrames est réticent, ne se sentant pas capable d’être à la hauteur, mais Wilder l’encourage et MacMurray se lance à l’eau. Edward G. Robinson complète le casting de fort belle manière.

Suivant le conseil d’engager de bons chefs opérateurs que Fritz Lang lui avait donné au début sa carrière, Wilder engage John Seitz avec qui il a déjà travaillé sur le film précédent. Mais cette fois-ci Seitz, à la demande de Wilder, se montre plus aventureux et créé une véritable ambiance qui sera typique des films noirs. Les deux hommes retravailleront par la suite sur Le Poison et Boulevard du Crépuscule, également célèbres pour leur image. Double Indemnity (Assurance sur la Mort, 1944) marque également l’arrivée de la voix off, qui sera une caractéristique du cinéma de Wilder qui la manie à merveille. Cependant Wilder décidera de couper la fin initiale où l’on voit Robinson assister à l’exécution de MacMurray, la jugeant, à juste titre, inutile. Le succès du film est au rendez-vous et deviendra le film le plus emblématique des carrières de Stanwyck et MacMurray. Nominé pour sept Oscars, il n’en rapportera malheureusement aucun.

Lors d’un voyage en train, Wilder achète un roman de Charles R. Jackson dont il décide qu’il sera son prochain film. Avec comme héros un écrivain alcoolique, The Lost Week End  (Le Poison, 1945) est peut-être une subtile vengeance vis-à-vis de Raymond Chandler, alcoolique notoire, qui ne cessait de le critiquer auprès de la presse. Brackett est de retour au scénario et tous les deux pensent à José Ferrer pour le rôle principal. La Paramount n’est cependant pas de cet avis. Le pari est déjà risqué car c’est la première fois qu’un alcoolique n’est pas un personnage comique, le studio veut au moins que le personnage principal ait du charme. Contrairement au film suivant, les acteurs sont très emballés par le rôle : un alcoolique semble facile à jouer. Mais Wilder veut un acteur subtil. Il le trouvera en Ray Milland à qui le rôle vaudra un Oscar mérité. La légende veut que lors des tournages en extérieur un policier faillit l’arrêter pour vagabondage (les caméras étaient cachées). Ne voulant pas de « happy end », Wilder fait un compromis avec le studio : le personnage va essayer d’arrêter de boire.

Les différentes avant-premières étant assez décevantes, Wilder laisse le film aux mains des studios et part s’engager pour la guerre en Europe. L’autre raison de son départ est que son mariage n’est plus au beau fixe, d’autant que lors du tournage il a rencontré une jeune figurante dont il est tombé amoureux : Audrey Young. En Europe, Wilder découvre l’horreur des camps où sa mère, sa grand-mère et son beau-père ont trouvé la mort. Il s’occupera d’ailleurs du montage d’un documentaire sur le sujet, Death Mills (Usines de Mort). A son retour Judith et lui divorcent et il découvre avec stupéfaction que « Le Poison » est devenu un grand succès. Cela lui vaudra même ses premiers Oscars, l’un comme réalisateur, l’autre comme co-scénariste.


Contrairement à son confrère George Stevens qui jugera impossible de continuer à réaliser des films légers après avoir découvert l’horreur du nazisme, Billy Wilder veut se changer les idées. Aussi lorsqu’on lui propose de réaliser une comédie musicale avec Bing Crosby et Joan Fontaine, il accepte sur le champ. Tourné au Canada, The Emperor Waltz (La Valse de l’Empereur, 1948) est sont premier film en couleurs, mais sans doute aussi le moins mémorable de la première partie de sa carrière. Mécontent du résultat, Wilder retardera sa sortie de deux ans.

Je pensais que ça serait amusant de faire une comédie musicale. Je n’ai pas de talent pour le genre parce que je ne peux pas m’habituer à l’idée que les gens se mettent à chanter sans la moindre raison !


Le divorce avec Brackett :

Avec une histoire se déroulant dans le ville de sa jeunesse désormais en ruine, A Foreign Affair (La Scandaleuse de Berlin, 1948) est peut-être le film le plus personnel de son auteur et aussi un des plus injustement méconnus. Le ton s’y fait plus cynique (caractéristique qui ira en s’amplifiant) ce qui déplait sans doute à Brackett qui, comme pour le film suivant, le déconsidérera. Le film bénéficie de la présence de Jean Arthur, dans un de ses rares retours au cinéma, de Marlene Dietrich, dans un rôle opposé à sa personnalité : une nazie, et John Lund, dans un rôle prévu à la base pour Clark Gable qui n’était pas disponible. Ses rapports avec Jean Arthur furent cependant houleux, l’actrice croyant qu’il favorisait Dietrich par rapport à elle.


 Balançant entre comédie et drame, le film annonce dans une certaine mesure La Garçonnière. Le succès du film relancera la carrière de Dietrich, mais ce ne sera rien par rapport à celui du suivant. Entre temps Wilder, après une brève aventure avec Hedy Lamarr, a épousé Audrey Young avec qui il restera jusqu’à sa mort.

Je voulais me compliquer un peu la vie, réussir une chose qui ne marche jamais vraiment : un film sur Hollywood. A l’origine, il s’agissait d’une comédie et nous pensions à Mae West pour l’interpréter.

Oui mais voilà, comme à son habitude Mae West aimerait réécrire le scénario, chose impensable pour Wilder et Brackett. D’autant qu’au fur et à mesure de l’écriture, le film tourne de plus en plus vers drame. Après avoir proposé le rôle de Norma Desmond à Mary Pickford qui voulait que le rôle du scénariste soit réduit à son avantage, puis à Pola Negri, George Cukor suggère son amie Gloria Swanson. Après avoir été l’une des plus grandes vedettes du muet, Swanson s’était tournée vers le théâtre et la télévision où elle obtenait un franc succès. Sentant qu’elle tient là le rôle de sa vie, elle accepte. Son arrivée au casting a comme avantage de pouvoir utiliser Queen Kelly, un film qu’elle avait tourné avec Erich von Stroheim, qui interprète son majordome et ancien mari. Le rôle du scénariste et gigolo est, lui, donné à Montgomery Clift, alors jeune prodige de Broadway. Mais trois semaines avant le début du tournage Clift se désiste, ayant peur que le film rappelle sa relation avec une femme plus âgée, Libby Holman. Pris par le temps, Wilder consulte la liste des acteurs libres de la Paramount et y trouve William Holden, un jeune acteur ayant eu un certain succès à la fin des années trente dans Golden Boy, mais qui avait passé les années 40 dans des films de série B. Conscient de sa chance et croisant les doigts pour que Clift ne change pas d’avis, Holden accepte le rôle qui fera de lui l’une des plus grosses stars des années 50.


Avec le concours de Cecil B. DeMille, Buster Keaton et Peter Lorre pour ne citer qu’eux, Sunset Boulevard (Boulevard du Crépuscule, 1950) tiendra ses promesses. Suite à une avant-première où les spectateurs rient pendant le film, le début est cependant modifié. La performance de Swanson est acclamée par tous, même si comme William Holden et von Stroheim elle manque l’Oscar. Nominé pour huit autres Oscars, le film doit faire face à un concurrent de taille : All About Eve de Joe L. Mankiewicz. Il remportera cependant trois statuettes, dont une pour le scénario de Wilder et Brackett. Ce sera cependant le dernier film que les deux hommes écriront ensemble, tous deux s’étant disputés.

Brackett ayant abandonné sa double casquette de producteur et de scénariste, Wilder décide de devenir également le producteur de ses films. Il ne peut cependant pas se résoudre à écrire seul et décide de chercher des partenaires. Pour son nouveau projet, il fait appel à Walter Newman et Lesser Samuels. Ace In The Hole (Le Gouffre aux Chimères, 1951) s’attaque aux journaux à sensations qui ne reculent devant rien pour vendre leur papier. Avec Kirk Douglas dans le rôle principal, le cynisme très noir du film déstabilise le public et même s’il est nominé aux Oscars pour le meilleur scénario, il s’agit du premier véritable échec de Wilder, ce qui le plongera dans la dépression. Aujourd’hui le film est réhabilité comme l’un des meilleurs films de son auteur.

Wilder atténue un peu son cynisme en le mélangeant avec pas mal de gags lors de son film suivant Stalag 17 (1953), premier film à parler des camps de prisonniers et basé sur une pièce à succès. Tout naturellement Wilder distribue le rôle principal à William Holden tandis qu’il donne même un rôle à son confrère et compatriote Otto Preminger. Pas satisfait de ses précédents co-scénaristes, Wilder fait cette fois équipe avec Edwin Blum. Le film est un succès et vaut à Holden un Oscar, tandis que celui de meilleur réalisateur échappe à Wilder et reviendra à Fred Zinnemann.

L’année suivante, Wilder se voit confier l’adaptation de la pièce à succès Sabrina Fair que la Paramount avait acheté pour sa nouvelle star, Audrey Hepburn. Wilder souhaite confier le rôle du frère cadet à William Holden et du frère aîné à Cary Grant. La Paramount est réticente de voir Holden dans un rôle de comédie, mais finit par accepter. Malheureusement, Cary Grant se désiste peu de temps avant le tournage. Joseph Cotten est envisagé un temps pour le remplacer, mais son manque de stature lui voit préférer Humphrey Bogart.

En fait Bogart était un casting encore meilleur que Cary Grant, Parce que Grant aurait pu jouer le rôle de Bill Holden… Le public se serait attendu à ce que Cary Grant et Audrey tombent amoureux l’un de l’autre, mais qui s’attendrait à ce que Bogart la séduise ?

Les relations entre Bogart et Wilder seront cependant houleuses. La star, qui a connu le succès assez tardivement, garde un complexe d’infériorité et savoir qu’il n’est pas le premier choix ne fait rien pour le mettre en confiance d’autant que Wilder est très lié à Holden et Hepburn. Ce n’est que peu de temps avant la mort de Bogart que les deux hommes se réconcilieront. Première véritable comédie de Wilder depuis son premier film pour la Paramount, Sabrina (1954) sera son plus gros succès commercial pour le studio et lui vaudra une nouvelle nomination aux Oscars comme réalisateur.


A sa grande fureur, la Paramount le prête à la Fox pour l’adaptation de la pièce à succès The Seven Year Itch (Sept Ans de Réflexion, 1955) qu’il écrit avec l’auteur de la pièce George Axelrode. Le fait que la Fox lui imposa Tom Ewell qui avait créé le rôle à la place d’un inconnu nommé Walter Matthau et que la censure empêche l’adultère d’être commis en viendront à Wilder de considérer le film comme un échec. Cependant, dans la réalité, ces deux éléments ne viennent en rien abaisser le niveau du film, que du contraire. La censure oblige à Wilder de se faire plus subtil et de ne pas céder à une vulgarité trop facile comme il aura tendance à le faire à la fin de sa carrière. Si Tom Ewell n’est pas un aussi bon acteur que Matthau, son jeu léger convient certainement mieux au personnage. Mais c’est surtout la personnalité instable de Marilyn Monroe qui rendra le tournage difficile pour le réalisateur qui déclara qu’il ne travaillerait plus avec l’actrice. Le film est néanmoins un succès et reste aujourd’hui encore un des films les plus connus de Wilder.

Ayant quitté la Paramount, il signe son film suivant pour la Warner. Racontant la traversée de Charles Lindbergh, The Spirit Of St. Louis (L’odyssée de Charles Lindbergh, 1957) avec James Stewart dans le rôle-titre, souffre d’un gros handicap : il n’y a aucun suspense car tout le monde sait que l’aviateur a réussi sont défi. De plus Lindbergh veut que son livre soit suivi à la lettre ce qui empêche le réalisateur de mentionner d’autres aspects de sa vie qui auraient rajouté du piment à l’action. Le statut de légende vivante de Lindbergh fait du film un succès commercial, mais n’empêche pas le film d’être mineur dans la filmographie du cinéaste.


L’ère Diamond :

Désormais passé chez United Artists, Wilder trouve enfin, après toute une série de partenaires avec qui la sauce n’a pas pris, le collaborateur idéal : I.A.L. Diamond dont il a apprécié le travail dans les magazines de la Screenwriters Guild. Le premier projet des deux hommes est Love In The Afternoon (Ariane, 1957) qui voit Wilder retrouver avec beaucoup de plaisir Audrey Hepburn. A nouveau le réalisateur veut lui opposer Cary Grant mais l’acteur lui glisse une fois de plus entre les doigts. C’est Gary Cooper qui le remplace, même si de l’avis de certains il est trop âgé pour le rôle, d’autant qu’Audrey n’a, elle, jamais semblé aussi jeune. Pourtant le couple fonctionne, même si le succès ne sera pas aussi important que celui de Sabrina.

Curieusement, le projet suivant de Wilder n’est pas signé avec Diamond. Adapté d’une pièce d’Agatha Christie, Witness For The Prosecution (Témoin à Charge, 1958) se veut être un film à la Hitchcock. Une nouvelle fois il fait appelle à Marlene Dietrich tandis que Tyrone Power et Charles Laughton, que Wilder qualifiera comme étant le meilleur acteur avec qui il ait travaillé, complèteront la distribution. Malgré le succès du film, Wilder désire revenir à ses premiers amours, la comédie.

Avec un scénario plein de rebondissements tout en étant audacieux pour l’époque (deux hommes, qui plus est stars d’Hollywood, se travestissent), Some Like It Hot (Certains l’Aiment Chaud, 1959) mérite sans conteste son titre de meilleure comédie du cinéma. Si le casting de Tony Curtis et de Jack Lemmon est assez vite une chose évidente, ce n’est pas le cas de Marilyn Monroe.

Nous voulions n’importe quelle fille, parce que ce n’était pas un rôle très important. On pensait à Mitzi Gaynor. On a appris que Marilyn voulait le rôle. Dès ce moment, il nous fallait Marilyn. On a ouvert toutes les portes pour l’obtenir. Et on l’a eue.


Marilyn, qui enchaîne les dépressions, devient instable vers le milieu du tournage : elle peut tant débiter trois pages de dialogue sans se tromper que buter inlassablement sur une simple phrase. La situation devient vite éprouvante pour ses partenaires qui ne peuvent se permettre un faux pas : dès que Marilyn réussit une prise, celle-ci est gardée. Wilder est également à bout de nerfs mais il sait que le résultat en vaut la peine et il a raison : le film est un énorme succès. Il reçoit six nominations aux Oscars mais ne remportera que celui des meilleurs costumes. Il est vrai que c’est aussi l’année de Ben Hur.

Satisfait de sa collaboration avec Lemmon, c’est tout naturellement qu’il le retrouve pour The Apartment (La Garçonnière, 1960), lui donnant comme partenaire une fraîche et pétillante jeune actrice, Shirley MacLaine. Si c’est Paul Douglas qui était prévu pour le rôle de Sheldrake, le décès de l’acteur peu avant le tournage obligea Wilder à changer ses plans. Son choix se porte sur Fred MacMurray, mais à nouveau l’acteur commence par refuser : il vient de signer un contrat avec Disney et ne pense pas qu’il soit une bonne idée que des enfants le voient jouer un mari coupable d’adultère. Une fois encore, heureusement, Wilder arrivera à le faire changer d’avis. Avec un scénario mélangeant habillement drame et comédie, le film devient l’une des œuvres les plus acclamées de Billy Wilder, recevant cinq Oscars (dont trois pour Wilder) sur ses dix nominations. Arrivé à un tel succès, Wilder sait qu’il lui sera difficile de faire mieux, mais décide de continuer coûte que coûte.


Avec One Two Three (Un, Deux, Trois, 1961), Wilder décide de faire la comédie la plus rapide de l’histoire du cinéma et il est fort probable qu’il y est parvenu. Bien sûr pour arriver à un tel résultat le choix de James Cagney, dont on oublie trop souvent les talents comiques, est une évidence. Comme Ninotchka plus de vingt ans plus tôt, Un, Deux, Trois critique le communisme sans pour autant épargner le capitalisme. Les gags fusent à chacune des répliques qui, elles, déferlent à toute allure. C’est peut-être cette difficulté à suivre l’action pour l’ensemble du public qui contribua à l’échec du film qui, aujourd’hui encore, mériterait d’être reconnu comme l’une des meilleures comédies de son auteur. Par la suite son projet de tourner un film avec les Marx Brothers (Zeppo inclus) se situant aux Nations Unies tombe à l’eau à cause de la mort de Chico.

Wilder décide alors de tourner une adaptation d’une opérette française dont il avait pensé donner le rôle principal à Marilyn Monroe pendant le tournage de Certains l’Aiment Chaud. Cette dernière ayant depuis d’autres engagements, il décide de réunir le duo Lemmon-MacLaine, qui pour l’occasion iront visiter des bordels parisiens pour leurs recherches. Il pense également donner le rôle de Moustache à Charles Laughton et retardera même le début du tournage afin de permettre à ce dernier de se soigner. Le cancer aura cependant raison de l’acteur avant que le tournage ne commence. Le succès d’Irma la Douce fut énorme aux Etat-Unis où il reste sans doute son plus gros succès commercial, mais fut un bide en France.

Je trouve que j’ai manqué mon coup. C’était trop appuyé dans certaines scènes. Ca ne marchait pas. Il y a toujours quelque chose de déplaisant quand les gens ne parlent pas la langue du pays où le film se passe. Et on ne supporterait pas non plus un Lemmon ou une MacLaine parlant anglais avec un accent. C’est faux. Ca ne marche pas, c’est tout.

D’autres engagements privent Wilder de Lemmon pour le rôle du mari jaloux de Kiss Me Stupid (Embrasse-Moi, Idiot, 1964) où le rôle de la femme est justement tenu par Felicia Farr, épouse de Jack Lemmon à la ville. Peter Sellers, dont le succès grimpe, est alors engagé pour le remplacer mais doit vite déclarer forfait en raison d’une crise cardiaque et est remplacé par Ray Walston. Mais les véritables stars du film sont Kim Novak en prostituée enrhumée et Dean Martin dans un rôle où il se parodie avec beaucoup d’humour.

Je ne pouvais pas résister à Dean Martin. Pour moi c’était l’homme le plus drôle d’Hollywood.

Attaqué par la censure, le film sera un échec à sa sortie. Cependant, si le film est un cran en dessous de ce que Wilder avait réalisé par le passé, il comporte d’excellents moments qui en fait l’un des derniers bons films du réalisateur. A ceux qui laissaient entendre que la présence de Sellers aurait été bénéfique au film, Wilder répondait :

Je n’ai jamais beaucoup aimé ce film. Je ne l’aurais pas aimé davantage avec Peter Sellers parce qu’il était trop britannique (l’histoire se passe dans un trou perdu de l’Amérique).


Sous le nouvel Hollywood :

Alors que le système de censure qui faisait trembler Hollywood depuis des décennies est sur le point de s’écrouler, Wilder réunit à son 'monsieur tout le monde', Jack Lemmon, Walter Matthau. C’est le début d’un duo qui durera le temps de treize films en quarante ans. Pour l’heure, The Fortune Cookie (La Grande Combine, 1966), qui vaudra à Matthau un Oscar, essaye de reprendre la formule de La Garçonnière et y réussit souvent. Drame, satyre et comédie y font bon ménage et entraînent un sentiment de malaise bien plus fort encore que dans La Garçonnière. C’est sans doute ce malaise qui déplaira aux spectateurs et en fera un nouvel échec. Malgré ses défauts, il s’agit sans doute du dernier film rendant hommage au talent du réalisateur ainsi que son dernier film noir et blanc.

Le film suivant est plus ambitieux. A l’origine il devait s’agir d’une série d’épisodes de la vie du célèbre détective Sherlock Holmes qui devait durer plus de quatre heures. Wilder est cependant obligé de réduire la durée du film lors du montage qu’il abandonnera finalement aux mains d’un monteur. The Private Life Of Sherlock Holmes (La Vie Privée de Sherlock Holmes, 1970) sera un échec que le réalisateur vivra très mal et dont, comme souvent dans de pareils cas, il rejettera la faute sur le studio l’ayant forcé à amputer son œuvre. Il faut quand même aussi signaler que là où la censure forçait Wilder à être subtil pour la contourner, l’effondrement de celle-ci lui permet de prendre le chemin plus facile de la vulgarité que l’on sentait poindre sur les films précédents et qui caractérisera la fin de sa carrière. Curieusement le film sera considéré par la suite par certains comme l’un des chefs d’œuvres de Wilder.

Adapté d’une pièce de Samuel A. Taylor, qui avait écrit Sabrina Fair, Avanti ! (1972) ne possède malheureusement pas le charme qui avait le succès de l’adaptation de l’autre pièce de Taylor. La présence de Lemmon ne sauvera pas le film d’un nouvel échec. Désireux de renouer avec le succès après dix années d’échecs, Wilder décide d’adapter une nouvelle fois la pièce à succès de Ben Hecht, The Front Page, qui avait déjà été adaptée au cinéma par Lewis Milestone dans les années trente. C’est l’occasion pour lui de retravailler avec le duo Jack Lemmon-Walter Matthau.

C’est là que j’ai juré de ne plus faire un remake. J’ai fait le film parce que je pensais que les gens n’avaient pas vu l’original qui était devenu quelque chose d’historique, une date dans l’histoire, et tout le monde pensait : « C’est The Front Page ! Un rire par réplique ! » Ca n’a pas marché. J’ai gardé tous les gags de l’original. Mais l’original n’est pas à la hauteur des souvenirs que les gens en ont.

Le film souffre sans doute aussi de la comparaison avec le remake qu’en fit Howard Hawks au début des années 40, La Dame du Vendredi, devenu depuis l’adaptation la plus connue et un classique de la screwball comedie, où il remplaçait le rôle tenu par Lemmon par une femme. Le film est un nouvel échec.

Ralentissant son rythme dans les années 70, en partie parce qu’il a du mal à trouver du travail, Wilder en profite pour continuer à se consacrer à sa collection d’œuvres d’art. Finalement il retourne au cinéma pour Fedora (1978). Malgré une histoire intéressante, l’ombre de Boulevard du Crépuscule plane au dessus du film. En effet, le film parle d’une star (inspirée de Greta Garbo) s’étant retirée du cinéma et vivant en recluse, alors qu’un producteur voudrait la relancer sur les écrans. Ce dernier étant joué par… William Holden. Malheureusement le film n’est pas du même niveau que son illustre prédécesseur et souffre de l’absence d’une véritable star hollywoodienne pour incarner Fedora, comme Gloria Swanson pour Norma Desmond. En effet, Marlene Dietrich refusa le rôle. Ayant pensé faire jouer par Marthe Keller le rôle de la mère et de la fille, Wilder dû se raviser, des problèmes de peau rendaient impossible à Keller de supporter le maquillage nécessaire. Fedora fut donc incarnée par Hildegard Knef. Malgré des apparitions de stars comme Henry Fonda et Michael York, le film ne connut aucun succès.

Le début des années 80 voit la fin des aventures cinématographiques. Adapté d’après la pièce de Francis Veber qui a déjà donné L’Emmerdeur avec Lino Ventura et Jacques Brel, Buddy Buddy (1981) est, de l’avis général, considéré comme le film de trop. Pour la dernière fois Wilder fait équipe avec ses acteurs fétiches, Jack Lemmon et Walter Matthau, mais ces derniers ne parviendront pas à sauver le film.


Les dernières années :

L’échec de Buddy Buddy fait définitivement quitter le cinéma à Billy Wilder. Après une longue série d’échecs, les producteurs, qui le jugent dépassé, ne souhaitent plus lui confier de films et Wilder ne trouve aucun sujet exaltant à défendre. Il accepte alors toute une série de récompenses qui pleuvront durant les vingt dernières années de sa vie, depuis le Life Achievement de l’American Film Institut de 1986 où il est le septième réalisateur consacré au prix Irving G. Thalberg que l’Academy of Motion Pictures lui décerne en 1988. La mort Izzy Diamond à la fin des années 80 semble compromettre toutes chances de voir à nouveau Billy Wilder derrière la caméra. Cependant au début des années 90 il émet le désir de réaliser, en hommage aux membres de sa famille disparus pendant la guerre, La Liste de Schindler qui aurait été son film le plus personnel. Malheureusement Steven Spielberg possède déjà les droits et, malgré son admiration pour le vétéran, son désir de le réaliser est trop fort pour les céder.

Finalement, après avoir usé jusqu’au bout de son humour cynique qui faisait le plaisir de ses auditeurs, Billy Wilder décède le 27 mars 2002 d’une pneumonie. A 95 ans, il était, avec Elia Kazan qui le suivra l’année suivante, le dernier grand réalisateur de sa génération.

Sources:

C. CROWE, Conversations avec Billy Wilder, 1999
Gl. HOPP, Billy Wilder, 2003

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