Marlon Brando (1924-2004)


Marlon Brando

Bud :

Lorsque Marlon Brando naquit le 3 avril 1924 à la maternité d’Omaha, dans le Nebraska, personne n’aurait pensé qu’il deviendrait l’un des acteurs les plus talentueux du XXème siècle et qui contribuerait à changer le jeu des acteurs au cinéma. Ses parents, Dorothy Pennebaker et Marlon Brando Sr, commis voyageur de son état, sont devenus alcooliques suite aux déceptions que la vie leur a apporté, et comme ses sœurs aînées, Jocelyn et Frances, le jeune Marlon (surnommé Bud par tous) éprouvera un mélange d’amour et de haine pour eux, mais surtout un cruel manque d’affection. Le départ de sa jeune gouvernante, Ermi, partie se marier porte un coup fatal au petit garçon qui toute sa vie craindra d’être abandonné par les femmes, et de ce fait multipliera les aventures.

Il a 6 ans, la famille déménage pour aller habiter près de Chicago. Bud est un cancre et passe son temps à faire les quatre cents coups avec les enfants du voisinage. Mais malgré son côté rebelle, Bud a le cœur sensible, prenant soin des animaux blessés et des filles au physique ingrat. La vie des enfants est encore chamboulée lorsque les parents se séparent alors que Bud à 11 ans et Dorothy emmène sa famille vivre chez sa mère en Californie. C’est l’époque où il découvre un intérêt pour les travaux manuels et le sport, les seules matières qui lui valent les félicitations des adultes qui le prennent la plupart de temps pour un bon un rien. Ses parents se réconcilient deux ans plus tard et la famille retourne dans l’Illinois. Mais l’alcoolisme de Dorothy ne s’arrange pas et il lui arrive souvent de fuguer, obligeant ses enfants, alors adolescents, à courir les bars à sa recherche. Bud, lui, à l’époque rêve de devenir batteur de jazz et s’entraîne sur des barils de bière. Mais au vu de son caractère indiscipliné et de ses mauvaises notes, son père décide de l’envoyer à l’académie militaire Shattuck, dans le Minnesota, où il a lui-même fait ses études. Bud à 16 ans.

Cependant le jeune garçon déteste l’autorité et encore plus l’idéologie militaire où le soldat n’est qu’un numéro. Bud décide alors de mettre l’école à feu à sang sans pour autant se faire prendre. Il y arrivera.


« Je suis à l’origine d’une des grandes énigmes de l’histoire de Shattuck… La cloche de la tour de Shattuck sonnait en permanence. Elle sonnait l’heure, le quart, la demie, le moins le quart. Elle sonnait les cours, les repas, le coucher, le rassemblement et les exercices. C’était la voix de l’autorité et je la haïssais. Je finis par ne plus tenir et, une nuit, je montai au sommet de la tour…J’avais l’intention de saboter le mécanisme de la sonnerie, mais je découvris que le seul moyen de réduire la cloche au silence était d’en voler le battant ; celui-ci devait peser plus de 70 kilos… J’attendis que la cloche sonne le quart, ce qui faillit me rendre sourd, je décrochai le battant, le hissai sur mes épaules et redescendis péniblement les marches… je traînai le battant à 200 mètres de là et je l’enterrai…Le lendemain matin un merveilleux silence régnait dans l’école. Les maîtres se ressemblèrent devant le clocher, levèrent les yeux, secouèrent la tête en se demandant ce qui avait bien pu se produire… On était en guerre. La plus petite parcelle de métal servait aux tanks, aux fusils, aux avions : on ne pouvait remplacer le battant. C’était une bonne nouvelle pour moi, mais une catastrophe pour le personnel enseignant, car les maîtres s’étaient toujours fiés à la cloche pour convoquer les cadets aux diverses activités… Tout le monde fut convoqué au rassemblement et l’on somma le coupable de se dénoncer. Personne ne s’avançant, le bataillon entier fut consigné à résidence… Les maîtres étaient sûr que le coupable finirait bien par se vanter de son larcin : en punissant tout le bataillon, l’un ou l’autre cadet finirait bien par le dénoncer.
J’eus l’habileté d’annoncer que je constituais un comité ad hoc pour mener l’enquête sur le crime, m’attirant bien entendu l’estime de la direction… Personne ne découvrit jamais la vérité. »

Après un été de vagabondage, Bud retourne à Shattuck. C’est à ce moment que grâce à son professeur d’anglais, il découvre Shakespeare et participe à des pièces représentées à l’académie. Mais après avoir fait l’école buissonnière, il est renvoyé. Les cadets firent la grève et la décision fut annulée, mais Bud décida de ne pas retourner à Shattuck, sentant que sa voie était autre part.


New York :

« Ma mère trouvait important que je décide moi-même de mon avenir ; mon père me proposa de me payer des études pour que j’apprenne un métier. A l’exception du sport, je n’avais jamais fait qu’une chose pour laquelle on m’avait complimenté. C’est pourquoi je leur dis : « Et si j’allais à New York pour essayer d’être acteur ? »

Ses sœurs aînées y habitant déjà, l’une suivant des cours d’art dramatique, l’autre de peinture, Marlon avait eu l’occasion d’aller à New York et rêvait d’y vivre. Ainsi, le jeune homme décide de partager l’appartement de sa sœur Frances à Greenwich village. A New York, il vit de divers petits boulots et découvre la musique afro-cubaine qui lui donne envie de faire carrière comme danseur moderne. Pendant un an, il fréquente la New School for Social Research et s’inscrit à un cours de théâtre où il fait une rencontre qui changera sa vie : l’actrice et professeur Stella Adler. Stella avait étudié l’art dramatique auprès de Constantin Stanislavski à Moscou, puis à son retour à New  York, elle diffusa les méthodes du maître auprès des membres de sa compagnie, le Group Théâtre (dont faisaient partie entre autres John Garfield, Franchot Tone, Lee Strasberg et Elia Kazan).

Contrairement à une idée reçue, Marlon Brando n’est donc pas issu de l’Actor’s Studio, mais bien de l’enseignement de Stella Adler qui s’était brouillée avec Lee Strasberg sur la théorie de ce qui deviendra plus tard la « Méthode ».

« Quand j’ai connu mes premiers succès, Lee Strasberg a voulu s’attribuer le mérite de ma formation… Certains le révéraient, mais je n’ai jamais compris pourquoi : je l’ai toujours tenu pour une personne fade et dépourvue de talent, et je ne l’aimais pas beaucoup. Je passais parfois à L’Actor’s Studio le samedi matin parce qu’Elia Kazan y enseignait et qu’il y avait là-bas beaucoup de filles mignonnes. Mais Strasberg ne m’a jamais appris à jouer ; c’est Stella qui m’a formé, et par la suite Kazan. »

En 1944, après la tournée d’été de la troupe de l’école, Marlon Brando doit quitter l’école et est engagé dans la pièce I Remember Mama où il reçoit des critiques convenables. La pièce sera un succès et tiendra l’affiche pendant deux ans. Pendant cette période il vit pour ainsi dire chez la famille de Stella Adler qui continue d’instruire son élève. Alors qu’il refuse de partir en tournée avec I Remember  Mama, elle lui décroche un rôle dans Truckline Café monté par ses amis du Group Théâtre Elia Kazan et Harold Clurman. Il joue aux cotés de Karl Malden avec qui il va devenir ami et partager par la suite de nombreuses fois l’affiche à Hollywood. Tous les deux obtiennent de bonnes critiques, mais la pièce est un four. C’est également à cette époque qu’il va se lier d’amitié avec un autre jeune acteur prometteur, Montgomery Clift.

Marlon ne reste pas inactif très longtemps et est engagé par une des reines de Broadway, Katharine Cornell, pour jouer dans une pièce de George Bernard Shaw, Candida. La première a lieu le jour de ses 22 ans. A cette époque Hollywood commence à lui faire les yeux doux, mais Marlon préfère rester au théâtre.

En 1946, Naissance d’un drapeau, une pièce de Ben Hecht, lui permet de jouer avec l’un de ses acteurs préféré, Paul Muni. Par la suite l’actrice Tallulah Bankhead le choisit comme partenaire dans L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau, mais Marlon se rend rapidement compte que l’actrice, assez portée sur la boisson, aimerait également en faire son gigolo. Se rendant compte que ses sentiments ne sont pas partagés, Tallulah convainc le producteur de renvoyer Marlon. Mais alors que suite à cet épisode Marlon songe abandonner le théâtre, une proposition alléchante s’offre à lui : le premier rôle de la nouvelle pièce de Tennesse Williams que devra diriger Elia Kazan : Un Tramway Nommé Désir.

En fait le rôle avait déjà été proposé à John Garfield et Burt Lancaster, mais l’un comme l’autre s’était révélés indisponibles. Lorsque le nom de Brando fut évoqué tant Elia Kazan qu’Irene Selznik, la productrice (fille de Louis B. Mayer et fraîchement divorcée de David O. Selznik) le trouvèrent trop jeune, mais décidèrent de demander son avis à Tennessee Williams qui, fort emballé par le jeune acteur, lui confia avec plaisir le rôle de Stanley Kowalski qui allait à tout jamais être associé à Marlon Brando. Avec le reste de l’affiche constitué de Jessica Tandy, Karl Malden et Kim Hunter, Un Tramway Nommé Désir devient l’événement de Broadway de l’année 48. Cependant le fait de devoir devenir huit fois par semaine Stanley et ce pendant des mois sera une expérience éprouvante pour Marlon. Celui-ci essaye de s’évader lorsqu’il n’est pas en scène en boxant en coulisses, mais un jour un mauvais coup lui casse le nez et, après avoir fini la pièce en sang, il sera emmené à l’hôpital, Jack Palance le remplaçant sur les planches. Après deux semaines d’hospitalisation, Marlon reprend le chemin de la scène et ce jusqu’en 1949, après deux ans de représentations.


Débuts dans le cinéma :

Au retour du voyage en Europe qu’il vient d’accomplir, Marlon reçoit plein de propositions de films. Il décide de choisir The Men (C’étaient des hommes, 1950) de Fred Zinnemann où, dans un rôle de soldat paralysé, il donne la réplique à Theresa Wright. Ce film a comme avantage de ne pas lier Marlon à un studio pour sept ans, mais seulement pour le film. Cela n’empêche pas l’acteur de se préparer très sérieusement au rôle en passant trois semaines comme patient à l’hôpital des vétérans de Bimingham en Californie où il vit incognito au milieu des autres patients.

Après avoir réussi à échapper à la guerre de Corée, Marlon est tout naturellement appelé par Kazan pour tourner l’adaptation de A Streetcar Named Desire (Un Tramway Nommé Désir, 1951). Si l’ensemble du casting de la pièce est conservé, Jessica Tandy est remplacée par Vivien Leigh, qui avait créé le rôle en Angleterre, afin d’offrir une star à la distribution. Contrairement à Kazan, Marlon Brando jugera le changement positif. Le film est un grand succès, mais Marlon ne remportera pas l’Oscar qui ira à Humphrey Bogart. A cette époque il fait la connaissance de Marilyn Monroe avec qui il entretiendra une liaison jusqu’à la mort de cette dernière.


L’année suivante, il retrouve Kazan pour Viva Zapata ! qui lui vaut une nouvelle nomination aux Oscars. Pendant le tournage, pour accentuer la haine qu’éprouvait le personnage d’Anthony Quinn pour le personnage de Marlon Brando, Kazan fit croire à Quinn que Marlon le détestait. Ce n’est que des années plus tard que la vérité fut rétablie. Joseph L. Mankiewicz l’engage ensuite comme vedette de Julius Caesar (Jules César, 1953) au milieu d’une pléiade de stars comme Deborah Kerr, Greer Garson ou encore James Mason. Cependant avoir incarné Marc Antoine restera un des grands regrets de Marlon, se considérant trop inexpérimenté pour s’attaquer à Shakespeare. Cela ne l’empêchera pas d’être nominé aux Oscars pour la troisième année consécutive. Peu de temps après sa mère meurt.

La même année, il tourne The Wild One (L’Equipée sauvage) qui deviendra un de ses classiques. Son rôle de Johnny, chef d’un gang de motards, lancera la mode du blouson noir et fera de lui le rebelle par excellence. En revanche Marlon refuse de tourner dans L’Egyptien de Michael Curtiz et repart pour New York. Darryl F. Zanuck, pour qui il doit encore faire deux films, lui fait un procès mais rien n’y fait. Le patron de la 20th Century Fox lui propose alors de jouer à la place le rôle de Napoléon dans Désirée (1954) avec Jean Simmons. Marlon accepte, même s’il juge le film, qui sera un succès, plutôt creux.


1954 voit également sa troisième et dernière collaboration avec Elia Kazan dans On The Waterfront (Sur les Quais). Marlon avait longuement hésité à accepter le rôle suite aux dénonciations par Kazan d’anciens amis communistes, mais finit par tenir le rôle par amitié. Cela lui vaudra un Oscar, notamment grâce à la scène, qui réunit Marlon et Rod Steiger, partie d’une improvisation.


Au sommet :

« J’ai beaucoup étonné la critique avec ma façon de marmonner mon texte. J’ai joué bien des rôles où je n’ai pas mangé une seule syllabe, mais il m’est arrivé de recourir à ce procédé, parce que c’est ainsi que les gens parlent dans la vie… Il est rare dans la vie que les gens sachent précisément ce qu’ils vont dire quand ils prennent la parole. Ils ont déjà ouvert la bouche qu’ils réfléchissent encore, et cela se lit sur leur visage. »

Lorsque Joseph L. Mankiewicz proposa à Marlon le rôle principal de Guys & Dolls (Blanches Colombes et Vilains Messieurs, 1955), celui-ci le prévint qu’il ne savait pas chanter, mais le réalisateur le rassure : il n’a jamais réalisé de comédie musicale, ils apprendront ensemble. Marlon suit des cours de chant et de danse, mais lorsque vient le moment d’enregistrer, sa performance vocale est si approximative que les ingénieurs collent entre eux les parties justes de chaque tentative. L’illusion est parfaite. C’est pendant la préparation du tournage qu’Elia Kazan fait rencontrer à Marlon sa nouvelle vedette : James Dean. En revanche il ne s’entendra pas avec son partenaire Frank Sinatra.


Il crée également sa propre maison de production, Pennebaker Productions, qu’il dirige avec son père. Pour financer son premier film, il accepte de jouer dans The Teahouse Of The August Moon (La Petite Maison de Thé, 1956) aux côtés de Glenn Ford et dont le tournage l’emmène en Asie.

« Qu’on lui donne une bonne pièce, et l’acteur n’a plus qu‘à se laisser faire. Mais le meilleur des sujets ne résiste pas à des acteurs trop imbus d’eux-mêmes pour jouer ensemble : dans ce cas, Glenn et moi en avons donné une preuve éclatante. »

En effet, Marlon, qui joue un interprète japonais, et Glenn Ford, jouant un officier américain, ne cessent d’essayer de voler la vedette à l’autre plutôt que de se liguer ensemble dans l’intérêt du film.

Pour renflouer les caisses de sa maison de production, il tourne et co-produit Sayonara (1957) de Joshua Logan qui raconte une histoire d’amour entre une japonaise et un officier. Cependant Marlon refuse que le film soit une version moderne de Madame Butterfly et exige que le film finisse par un mariage mixte, car ne pas le faire serait cautionner un certain racisme que le film voulait justement dénoncer. De mariage, il en est également question dans la vie réelle de Marlon, puisqu’il épouse l’actrice Anna Kashfi de dix ans sa cadette. Le film est un nouveau succès pour Marlon qui est encore une fois nominé aux Oscars.

Fin 57, il se rend en Europe pour prendre par au The Young Lions (Bal des maudits, 1958) d’Edward Dmytryk où il impose ses amis Montgomery Clift et Dean Martin dont les carrières battent de l’aile. S’étant assuré un droit de regard sur le scénario, il demande également à ce que le personnage allemand qu’il interprète soit peu à peu désillusionné du nazisme, afin de montrer une autre vision que celle de l’Allemand raciste et brutal qui avait prévalu jusque-là. La suggestion de Marlon s’avéra excellente et le film fut un grand succès commercial et critique.

Peu de temps après la naissance de leur fils, Christian, Marlon et Anna divorcent. Ayant besoin d’argent, il accepte de tourner l’adaptation de La descente d’Orphée que Tennessee Williams avait écrit en pensant à Marlon et à la grande actrice italienne Anna Magnani. Le film, rebaptisé The Fugitive Kind (L’homme à la peau de serpent, 1959) comprendra également Joanne Woodward et sera dirigé par Sidney Lumet. Marlon n’appréciera pas le film, pas plus que le public et la critique.

Au début des années 60, il épouse Movita Castaneda, qui a sept ans de plus que lui et qui joua dans la première version des Mutinés du Bounty. Il aura deux enfants avec elle. D’un autre côté, son projet de western qu’il prévoyait depuis longtemps, voit enfin le jour. Après de longues années à écrire ce qui devait être le scénario ultime du western (auquel participa Sam Peckinpah), Marlon confie la réalisation à Stanley Kubrick, mais celui-ci, insatisfait du scénario, quitte rapidement le projet. Après avoir appelé à la rescousse Sidney Lumet, Elia Kazan et d’autres réalisateurs qui tous refusèrent le poste, Marlon décide de le réaliser lui-même. Ce sera One-Eyed Jacks (La Vengeance aux deux visages, 1961).

« Si j’ai tant aimé ce film, c’est peut-être pour tous les bons souvenirs qu’il m’a laissés de Ben Johnson, Slim Pickens, et surtout de Karl Malden, qui jouait Dad. Je ne le referais plus jamais (un réalisateur doit se lever trop tôt le matin), mais il était plaisant d’essayer de créer la réalité, de rendre une histoire intéressante et de travailler avec les comédiens. »

Si le film fut boudé à sa sortie, il est aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre au point que beaucoup regrettent que Marlon n’ai plus réalisé par la suite.

Le début des années 60 voit également un cruel dilemme pour l’acteur. En effet David Lean lui a proposé le rôle de T.E. Lawrence qu’il a déjà accepté, alors que la MGM lui propose d’incarner Fletcher Christian dans un remake des Mutinés du Bounty, destiné à sauver le studio de la crise due à la concurrence de la télévision. Fasciné par Tahiti depuis l’adolescence et peu désireux de vivre un tournage éprouvant en plein désert, Marlon opte finalement pour Mutiny On The Bounty (Les Mutinés du Bounty, 1962). Le résultat fut le début de son amour pour Tahiti où il acheta une île, de son mariage avec l’actrice Tarita Teriipia, mais aussi le début de la chute de Marlon.

« Au cours du tournage, des rumeurs se mirent à circuler selon lesquelles le film avait des mois de retard et des millions de dollars de dépassement ; et tout cela par ma faute. Sans que je m’en rende compte, la MGM voulait me faire porter le chapeau de dépassements de budget dont elle était responsable, de la même façon que la Fox se servirait d’Elizabeth Taylor comme bouc émissaire pour couvrir ses erreurs de gestion sur « Cléopâtre ». Quand je suis arrivé à Tahiti, la MGM n’avait pas de scénario exploitable, la construction du navire n’était pas achevée, la préproduction avait plusieurs semaines de retard par rapport au planning. Lorsqu’on commença à filmer, le studio s’aperçut qu’il avait sous-estimé les coûts d’un tournage en Polynésie française ; de plus le réalisateur, Carol Reed, fut renvoyé : nouveaux retards, nouveaux trous dans le budget. La MGM eut la malhonnêteté de m’accuser de ces excès et toute la presse du spectacle lui emboîta le pas. Les journalistes m’en voulaient de ne pas accorder d’interviews… Les communiqués de la MGM confortaient les clichés du Brando excentrique et impossible, et ce tissu de mensonges se retrouva bientôt imprimé noir sur blanc. »


Traversé du Désert :

Le remplacement de Carol Reed, qui ne voulait pas faire du capitaine Blight un monstre inhumain, au profit de Lewis Milestone ne sauva pas le film du gouffre financier, et Marlon, rendu responsable du désastre, devint synonyme de tournages catastrophiques. Pourtant, même si Marlon va perdre son statut de valeur sûre du cinéma, sa filmographie n’est pas pour autant dénuée d’intérêt. C’est le cas du The Ugly American (Vilain Américain, 1963), un film sur les Nations Unies que Marlon avait en tête depuis le milieu des années 50. Mais les années 60, c’est aussi l’époque de son engagement pour l’abolition de la ségrégation aux côtés de Martin Luther King (puis des Black Panthers) et d’autres stars d’Hollywood dont Charlton Heston, et pour les droits des Indiens qui ne lui valent pas que des amis. Dans une certaine mesure, cet engagement prend le pas sur sa carrière et cela n’est pas si étonnant, Marlon ayant toujours déclaré n’être pas vraiment mordu du virus du comédien.

« Dans les années 60, j’ai tourné quelques films qui ont rencontré le succès, et d’autres qui ont sombré dans l’oubli. J’en ai fait certains pour l’argent, comme « La Nuit du lendemain », d’autres parce qu’un ami me l’avait demandé comme un service : « Candy », par exemple. « 

Cependant le tournage des Bedtime Story (Séducteurs, 1964), une histoire d’escrocs qui l’oppose à David Niven, reste son meilleur souvenir de tournage, même si de son propre aveu, il n’est pas un grand acteur comique. Il prend également plaisir à jouer Morituri (1965) où Yul Brynner lui montre que le chef opérateur peut influencer le résultat d’une scène à l’écran et la perception du jeu de l’acteur.

Après avoir joué un shérif dans The Chase (La poursuite impitoyable, 1966), un thriller d’Arthur Penn qui lui voit donner la réplique à deux jeunes loups, Jane Fonda et Robert Redford, Marlon accepte de tourner dans le nouveau film de Charlie Chaplin, A Comtess From Hong Kong (La Comtesse de Hong Kong, 1967). Marlon, peu à l’aise dans comédie, avait en fait d’abord refusé, mais s’était résigné devant l’insistance du réalisateur et son désir de travailler avec lui. Le tournage ne se passa pas particulièrement bien. Le courant ne passe pas entre Marlon et Sophia Loren, Chaplin se montre tyrannique en particulier vis-à-vis de son propre fils Sydney qu’il humilie fréquemment sur le plateau. Si le film manque de panache, il vaut quand même mieux que sa réputation et reste une comédie agréable. La même année, il remplace, auprès d’Elizabeth Taylor, son ami Montgomery Clift, décédé prématurément, dans Refection In A Golden Eye (Réflexion dans un œil d’or) de John Huston.

Malgré un tournage épique et le peu de succès qu’il obtint, Burn ! (1969) reste l’un des films préféré de Marlon. Cependant malgré sa grande estime pour le réalisateur Gillo Pontecorvo, les deux hommes entrèrent dans de violents conflits tant à cause de leurs divergences au sujet de l’histoire et de l’interprétation que de l’indignation de Marlon de voir le réalisateur sous-alimenter les figurants noirs qu’il paye des clopinettes alors que le film est justement un pamphlet contre le racisme. Leur dispute prend de telles proportions que Marlon décide de quitter la Colombie et de rentrer à Los Angeles pour se reposer.

« Au bout d’un ou deux jours, je reçus une lettre incendiaire de la production : on m’annonçait que j’étais en rupture de contrat. Si je ne retournais pas immédiatement en Colombie, on en viendrait au procès… Je savais que leurs menaces n’étaient que du vent. J’avais appris qu’une fois que le tournage a commencé, c’est l’acteur qui a l’avantage : on a investi trop d’argent pour abandonner le projet. La production peut espérer gagner son procès, mais l’instruction durera des années, et l’argent dépensé pour le film sera perdu de toute façon. Dans de telles circonstances, s’il sait s’y prendre, un acteur peut pratiquement tout se permettre. »

Et c’est en effet ce qui se passa. Cinq jours plus tard, Marlon reçut une lettre d’excuses et pu exiger que le tournage ait lieu dans des contrées plus clémentes. Cet épisode ne fera cependant rien pour arranger la réputation de calamité des tournages de Marlon.


Renaissance du Parrain :

Lorsque Mario Puzo avait écrit son célèbre roman, il avait déjà pensé à Marlon Brando pour une possible adaptation cinématographique. Aussi lorsque la Paramount mit en place le projet d’un film, Mario Puzo, mais aussi le réalisateur Francis Ford Coppola, suggérèrent l’acteur. Mais les dirigeants du studio refusèrent : Marlon n’est plus une star majeure et surtout traîne derrière lui une réputation sulfureuse et coûteuse pour les studios. Marlon de son côté est dubitatif, ne se croyant pas capable de pouvoir jouer un Italien à l’écran. Mais après avoir essayé de se vieillir en se mettant (entre autres) des morceaux de kleenex dans les joues, Marlon sent qu’il a créé un personnage et accepte de faire un bout d’essai pour convaincre la Paramount. Ce n’est un secret pour personne, il obtient le rôle qui deviendra l’un de ses plus connus. Lors du tournage de The Godfather (Le Parrain, 1972), il divorce de Tarita  et croise non seulement certains des acteurs les plus prometteurs du nouvel Hollywood (Al Pacino, Diane Keaton, Robert Duvall…) mais aussi la Mafia qui est très intéressée par le tournage et apprécie la création de Vito Corleone par Marlon. Ils ne sont pas les seuls, la presse et le public acclament le film et Marlon qui redevient de ce fait une valeur sûre du box-office. Cependant, alors qu’il est nominé pour l’Oscar du meilleur acteur, il envoie à sa place une jeune indienne. L’Oscar lui étant décerné, celle-ci monte sur scène pour refuser au nom de l’acteur la récompense et attirer l’attention de l’Amérique sur la condition des Indiens. Cet épisode fera grand bruit et la jeune femme sera autant applaudie que huée.


Last Tango In Paris (Le dernier tango à Paris, 1973), son film suivant, le voit travailler avec le réalisateur Bernardo Bertolucci qu’il admire beaucoup. Le réalisateur parlant mal anglais, tous les deux communiquent à la fois en français et par gestes. Bertolucci pousse ses acteurs à écrire eux-mêmes leur dialogue et à improviser, un jeu auquel Marlon se prêtera volontiers. En revanche il refusera de ne pas simuler les actes sexuels, ne voulant pas que le film sombre dans la vulgaire pornographie. Se forçant à ressentir les émotions du personnage, Marlon sortit du tournage profondément éprouvé. Le résultat en fit un film acclamé par la critique (plus qu’il ne l’aurait fallu selon l’acteur) et sujet encore aujourd’hui à la controverse. Dernier grand rôle principal de Marlon Brando, c’est aussi sa dernière nomination aux Oscars pour le meilleur acteur principal.

Après avoir tourné un western étrange avec son ami Jack Nicholson, Missouri Breaks (1976), Marlon rejoint le tournage de Apocalypse Now aux Philippines. Il se rase le crâne et demande au réalisateur Francis Ford Coppola de réécrire son rôle afin de le rendre plus court (il n’apparaît qu’à la fin), plus mystérieux et plus impressionnant, et surtout plus fidèle au roman de base que ne l’avait fait le scénario original. Coppola accepte et l’apparition de Marlon reste un des grands moments du film. Le film, lui, après un tournage chaotique, ne sortira qu’en 1979. Entre-temps Marlon a tourné quelques films où il obtient de gros cachets pour de petites apparitions comme dans Superman. On a beaucoup parlé pour ce film du fait que Marlon avait refusé d’apprendre son texte et l’avait fait imprimer (du moins pour une scène) sur les langes du bébé. En fait il ne s’agit pas d’un caprice de la star mais d’une technique que Marlon avait mis au point depuis la fin des années 50. En effet, afin de donner une plus grande impression de réalisme, Marlon avait décidé d’arrêter d’apprendre son texte mais soit d’en apprendre les idées principales et d’improviser, soit de lire son texte sur des panneaux ou différents accessoires, soit, grâce à un petit appareil fixé dans ses oreilles, de se faire dicter le texte par une assistante. Par ces différents stratagèmes, Marlon voulait que l’on sente que, comme dans la vie, le personnage invente son texte au fur et à mesure.


Rôles alimentaires :

Durant les années 70, Marlon Brando fut souvent lié à des actions d’éclat destinées à attirer l’attention sur la cause des Indiens et qui lui valurent parfois d’être arrêté. C’est aussi la période où la majorité des films qu’il tourne le sont pour des besoins monétaires, son île Teti’aroa lui demandant beaucoup d’argent. Par la suite ses besoins d’argent devenant moins importants, Marlon s’éloigne des caméras et s’intéresse à la méditation. Les rares films qu’il tourne sont les rares films dont les sujets l’intéressent, ainsi, très amusé par le scénario de The Freshman (Premiers pas dans la Mafia, 1990), il parodie son personnage de Don Corleone. L’année d’avant il avait tourné, après neuf ans de silence, l’adaptation du roman d’André Brink, A Dry White Season (Une saison blanche et sèche, 1989), dont le sujet, qui dénonce l’apartheid, lui plait beaucoup. Cependant, il ne sera pas satisfait du découpage fait par la réalisatrice Euzhan Palcy. Marlon supplie alors la MGM de remonter le film à ses frais, mais essuie un refus. Le film fut un fiasco ce qui n’empêchera Marlon de recevoir d’excellentes critiques et de recevoir diverses récompenses dont une nomination pour l’Oscar du meilleur second rôle masculin.


En 1990 sa vie prend un tour dramatique lorsque son fils aîné, Christian, tue le compagnon de sa demi-sœur Cheyenne, ce qui lui vaudra d’être emprisonné. Cheyenne, elle, se suicidera cinq ans plus tard. Il tourne alors avec son ami Johnny Depp dans Don Juan de Marco (1995), puis le remake de The Island Of Dr Moreau (L’Île du docteur Moreau, 1996) où il reprend le rôle de Charles Laughton, et enfin le seul film réalisé par Johnny Depp, The Brave (1997). On le revoit encore dans Free Money (1998), puis dans The Score (2001) qui sera son dernier film et où il donne pour la première fois la réplique à Robert De Niro. La même année, il apparaîtra dans le clip de « You Rock My World » de Michael Jackson avec qui il était très lié.


Ses dernières années sont tristes, sa santé se dégrade et il ne sort presque plus de chez lui. Il enregistre cependant des dialogues pour le jeu vidéo inspiré par Le Parrain. Le premier juillet 2004 il décède d’une fibrose pulmonaire. Il avait 80 ans. Ses cendres seront dispersées en partie à Tahiti et en partie dans la Vallée de la Mort. Cependant sa carrière ne s’arrête pas là et des archives seront utilisées pour les nouveaux films de Superman, preuve qu’un acteur d’exception comme lui ne mourra jamais vraiment.

Sources:

M. BRANDO en collaboration avec R. LINDSAY, Les chansons que m'apprenait ma mère, 1994

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