Gene Kelly
Un sport
efféminé ? :
C’est à Pittsburgh, le 23 août 1912, qu’Eugene Curran Kelly, troisième
d’une famille d’origine irlandaise de cinq enfants, fait son entrée en scène.
Très vite les enfants sont initiés à la danse par leur mère, mais Gene préfère
la pratique de sports plus virils comme la gymnastique, le hockey sur glace, la
natation, le football américain ou encore le base-ball. Cependant, lorsqu’il se
rend compte que les filles aiment les garçons sachant danser, Gene prend
d’avantage intérêt à la danse. La famille est durement touchée par la crise de
1929 et Gene, qui a été contraint d’arrêter ses études de droit, ainsi que son
frère Fred font divers concours amateurs dans le but d’aider financièrement
leur famille.
« Mon frère m’a appris les claquettes
car on allait dans les bars clandestins. On participait à des soirées
d’amateurs où le plus applaudi gagnait cinq dollars. Il gagnait plus à lui tout
seul que tout le reste de la famille, je lui ai donc demandé de m’apprendre et
il m’a enseigné les claquettes. »
Parallèlement, la famille ouvre une école de danse où les enfants Kelly
enseignent. Devant l’énergie qu’y consacre Gene, l’école est baptisée
« Gene Kelly Dance Studio ». Bientôt, une deuxième école est ouverte
à Johnstown.
« Notre école de danse se mit à recevoir la visite de nombreux professionnels de passage. Je devins une sorte de « médecin de numéros », par exemple, lorsqu’ils voulaient une fin plus forte ou lorsque l’intérêt tombait au milieu d’un numéro. J’acquis beaucoup d’expérience en y remédiant et en créant des numéros. Cela me donna suffisamment confiance en moi pour partir à New York et chercher du travail comme chorégraphe. En arrivant à New York, j’ai perdu mes illusions. »
A la conquête de
Broadway :
Nous sommes à la fin des années 30 et Broadway connaît une période très
faste avec des chorégraphes comme Jérôme Robbins, des metteurs en scène comme
Vincente Minnelli et des compositeurs comme Cole Porter. Faute de trouver une
place comme chorégraphe, c’est dans une comédie musicale de ce dernier, Leave It To Me, qu’il a son premier
travail, dans un petit rôle. Peu à peu le jeune homme se fait un nom et est
engagé pour chorégraphier Diamond
Horseshoe où il rencontre une jeune danseuse de 16 ans, Betsy Blair, dont
il tombe vite amoureux malgré leurs 12 ans de différence. Peu de temps après,
Gene Kelly est engagé dans le rôle principal de Pal Joey. La distribution comprenait également deux jeunes
danseurs, Van Johnson et Stanley Donen. Le succès est immense et Gene, dans son
rôle de canaille, accède à la célébrité au point que Louis B. Mayer, le tout
puissant directeur de la MGM lui propose un contrat. Gene est sur le point
d’accepter, mais lorsque Mayer revient sur sa décision de l’engager sans passer
un bout d’essai, il refuse net. Il n’est donc pas étonnant qu’il ne soit pas
emballé par la proposition du producteur indépendant David O. Selznik. Mais le
producteur de Autant en emporte le
vent saura se montrer persuasif, et, après avoir épousé Betsy, Gene et elle
se dirigent vers la Californie. Nous sommes en 41 et Gene a 29 ans.
A la conquête
d’Hollywood :
Arrivé à Hollywood après sa lune de miel, Gene se rend compte qu’aucune
comédie musicale n’est prévue par Selznik, même si celui-ci le paye grassement
(mille dollars par semaine). L’inactivité sera heureusement de courte
durée : le producteur Arthur Freed, spécialiste des comédies musicales de
la MGM, souhaite qu’il donne la réplique à Judy Garland dans For Me And My Gal (Pour moi et ma mie, 1942). La MGM rachète alors à Selznik la moitié
du contrat de Gene. Le courant passe bien entre Gene et Judy qui lui apprend
comment se comporter devant la caméra. La même année, il devient papa d’une
petite Kerry.
En 43, la MGM le fait tourner dans divers films de guerre comme Pilote n°5 ou The Cross Of Lorraine (La
croix de Lorraine), ainsi que le rôle du rival de Red Skelton dans Dubarry Was A Lady (La Dubarry était une dame), mais aucun
d’entre eux ne met en valeur le talent de Gene qui se trouve lié à la série B.
Le salut viendra de la Columbia, désireux d’en faire le partenaire de leur
star, Rita Hayworth, dans Cover
Girl (La reine de Broadway,
1944). L’alchimie entre Rita Hayworth et lui est magique, le film devient un
succès. Grâce au numéro alter-ego qu’il monte avec son ami Stanley Donen, Gene
montre sa volonté de faire progresser la comédie musicale et d’innover dans la
chorégraphie cinématographique. Gene Kelly devenu une star, la MGM, consciente
de détenir une poule aux œufs d’or, décide de le garder pour elle et de lui donner
des rôles à sa mesure.
Ce sera chose faite avec Achors
Aweigh (Escale à Hollywood,
1945) où il partage l’affiche avec un autre jeune talent, Frank Sinatra et la
chanteuse Kathryn Grayson. Si le crooner est le premier sur l’affiche, la star
du film est bel est bien Gene Kelly qui lui apprend également à danser et à
être à l’aise devant une caméra, ce en quoi Sinatra lui sera toujours
reconnaissant. Mais le grand moment du film est la séquence dansée avec un
personnage de dessin animé (la souris Jerry) qui révolutionne le monde de
l’animation.
Le film est à nouveau un succès et lui vaut sa seule nomination aux
Oscars, mais malgré les protestations de la MGM, Gene s’engage dans la Navy. Il
prend part à différents films semi-documentaires destinés au recrutement où il
croise l’actrice Jocelyn Brando, la grande sœur de Marlon. Ces expériences lui
donnent envie de s’essayer à la réalisation et au jeu dramatique, aussi
lorsqu’Elia Kazan lui propose un rôle à Broadway dans Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, Gene est emballé. Mais
la MGM refuse de le voir interpréter un second rôle.
Ziegfeld Follies (1946) voit le seul
duo entre Gene et son rival et ami Fred Astaire.
« Fred représente
l’aristocratie lorsqu’il danse et moi le prolétariat », dira Gene Kelly,
ainsi que « Fred Astaire est le Cary
Grant de la danse et j’en suis le Marlon Brando. »
Les Kelly se rendent également célèbres pour leurs soirées où l’on
écoute Leonard Bernstein jouer du piano ou Adolph Green et Betty Comden (futurs
scénaristes de Chantons sous la pluie
et bien d’autres) faire des revues. Richard Conte, John Garfield ou Lena Horne
étaient des hôtes fréquents et George Cukor réussit même à y amener Greta
Garbo.
En 1948, Gene Kelly présente un d’Artagnan plein de fougue dans The Three Musketeers (Les trois mousquetaires), son premier
grand film non-chanté, où il partage la vedette avec entre autres Lana Turner
et Vincent Price. Si le film est un succès, ce ne sera pas le cas pour The Pirate (Le pirate, 1948) qui voit ses retrouvailles avec Judy Garland et
son premier grand rôle pour Vincente Minnelli. Malgré de grands moments
musicaux et chorégraphiques, le public ne comprend pas le second degré de ce
qui est en fait une parodie des films de cape et d’épée, et si le film est
aujourd’hui considéré comme un classique, il fit perdre deux millions de
dollars à la MGM.
Au firmament des
stars :
Son apparition dans Words &
Music (Ma vie est une chanson,
1948) lui donne à nouveau, lors d’un ballet mémorable, l’occasion d’interpréter
par la danse l’homme de la rue. Une cheville cassée l’empêche cependant de
participer à Easter Parade et il
priera Fred Astaire de le remplacer. L’année suivante, il retrouve Frank
Sinatra devant la caméra de Bubsy Berkeley pour Take Me Out To The Ball Game (Match d’amour). Esther Williams complète l’affiche, ainsi que Jules
Munshin qui transforme le duo en trio. Gene et Stanley Donen affirment leur
autorité en écrivant non seulement la chorégraphie des numéros musicaux, mais
en tournant ceux-ci eux-mêmes. Le succès du film pousse Arthur Freed à leur
confier la réalisation d’un film. Ce sera On
The Town (Un jour à New York,
1950).
Racontant les pérégrinations de trois soldats de la Navy (Gene, Sinatra
et Munshin) lors d’une journée de permission à New York, le film révolutionne
la comédie musicale en la faisant sortir, pour une partie, hors des studios.
« Le film reste mon préféré. Ce n’est
pas le plus lucratif. Ce n’est pas le plus aimé. Mais ils savaient qu’on
transformait complètement la comédie musicale. »
Gene Kelly s’implique également dans la
politique, soutenant auprès d’Humphrey Bogart, Lauren Bacall ou encore Danny
Kaye, les 10 d’Hollywood et combattant la liste noire dont Betsy sera l’une des
victimes. Il soutient également une Judy Garland, en pleine dépression, en
acceptant de jouer dans Summer
Stock (La jolie fermière,
1950). Il retrouve ensuite Minnelli pour An
American In Paris (Un Américain
à Paris, 1951) où il impose une jeune danseuse française, Leslie Caron. Le
film triomphe au Box-Office et Gene reçoit un Oscar d’honneur pour sa
contribution à la comédie musicale comme acteur, danseur, chanteur, réalisateur
et chorégraphe.
Un autre projet pointe son nez : un
film réalisé par Gene et Stanley Donen sur base des chansons composées par
Arthur Freed dans les années 30. Singin’
In The Rain (Chantons sous la
pluie, 1952) deviendra le film le plus connu de Gene Kelly notamment grâce
à la chanson éponyme chantée sous la pluie par un Gene Kelly fiévreux.
Suite aux problèmes de Betsy de plus en
plus surveillée par le FBI ainsi qu’à une loi permettant à tout Américain ayant
habité plus de 18 mois à l’étranger de ne pas payer d’impôts pendant cette
période, les Kelly partent pour l’Europe. Gene Kelly espère y réaliser un de
ses rêves, un film entièrement dansé et sans intrigue particulière, Invitation To The Dance (Invitation à la danse, 1956).
« Avec
« Invitation à la danse », je voulais, pour une fois, faire quelque
chose de désintéressé. J’ai dit : « Le monde entier croit que Fred
Astaire et Gene Kelly sont les deux seuls danseurs vivant en Amérique ou qu’on
ait jamais vu en dehors des grandes villes du monde. Pourquoi ne pas faire un
petit film avec de grands danseurs de ballet ? ». Le studio a
dit : « Très bien, faites-le en Angleterre. » Quand on est arrivé,
ils ont changé d’attitude , disant : « Il faut que vous soyez dans
tous les numéros. »
Malgré cela, la MGM retarde de plus de
quatre ans la sortie du film qui sera un échec que Gene vivra très mal. Les
beaux jours de la comédie musicale sont en effet derrière elle, comme le
prouvera en 54 l’échec de Brigadoon
dirigé par Vincente Minnelli avec Cyd Charisse et Van Johnson. Gene et Minnelli
auraient voulu tourner en Ecosse, mais le studio qui réduit ses budgets
consacrés aux comédies musicales est peu enclin à les laisser tourner en
extérieur dans un pays au temps incertain. Malgré un charme certain, le film
pâtit du tournage en studio qui fait perdre au film tout le réalisme que Gene
et Minnelli auraient voulu y mettre.
Le même sort atteint l’excellent It’s Alway Fair Weather (Beau fixe sur New York, 1955), dernière
collaboration entre Gene et Stanley Donen qui ne cesseront de se disputer sur
le tournage. Le film aurait dû être une sorte de suite de On The Town, mais suite au refus de Sinatra, les partenaires de
Gene seront Dan Dailey et le chorégraphe Michael Kidd. A la frustration de ne
pouvoir ni reprendre son rôle dans l’adaptation cinématographique de Pal Joey, ni obtenir le rôle principal
de Guys & Dolls suite au refus de
la MGM de le prêter à d’autres studios, s’ajoute son divorce avec Betsy Blair
qu’il considèrera comme un échec personnel. En 1957, Les Girls de George Cukor marque le dernier grand rôle de Gene dans
une comédie musicale.
L’étoile
pâlie :
Après quelques films non-musicaux sans
grande envergure, Gene est libéré de son contrat avec la MGM. Il joue alors un
journaliste cynique sous la direction de Stanley Kramer dans Inherit The Wind (Procès de singe, 1960) où il donne la
réplique aux deux géants que sont Spencer Tracy et Fredric March et prouve
qu’il est aussi un excellent acteur. On le voit aussi en cameo dans son propre
rôle dans Let’s Make Love de George
Cukor. Il se remarie la même année avec son assistante Jeanny Coyne, l’ancienne
femme de Stanley Donen, qui lui donnera deux enfants.
Souhaitant se consacrer davantage à sa vie
de famille, Gene délaisse peu à peu les plateaux de cinéma et apparaît de temps
à autre à la télévision. Son rôle de quatrième mari de Shirley MacLaine dans What A Way To Go (Madame croque-maris,
1964) reste cependant l’un des meilleurs moments du film. Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, tourné en 67, lui
laisse cependant un goût amer : seule Danielle Darrieux et lui sont des
habitués des comédies musicales et les autres acteurs seront doublés.
Désormais, Gene se limite à la réalisation
et, suite aux succès de A Guide Of The
Married Man (Petit guide pour
maris volages, 1967), la 20th Century Fox lui confie la réalisation de Hello Dolly (1969) avec Barbara
Streisand. Mais Gene est frustré de n’avoir pu participer à l’élaboration
artistique et l’époque de la guerre du Vietnam et de la révolution sexuelle
n’est plus propice à la comédie musicale. Le film sera un échec monumental. The Cheyenne Social Club (Attaque au Cheyenne Club, 1970), le
western qu’il réalisera avec James Stewart et Henry Fonda ne fera que peu de
bruit.
La mort de Jeanny d’une leucémie en 73 le
frappe en plein fouet et il s’occupe pleinement de ses jeunes enfants, refusant
la réalisation de Cabaret qui
l’aurait envoyé en Allemagne. Il participe cependant aux documentaires sur la
comédie musicale de la MGM, That’s
Entertainment I (Il était une
fois Hollywood, 1974) et That’s
Entertainement II (Hollywood…Hollywood,
1976), dont il réalise le second volet.
Dernières
pirouettes :
En 1980, il accepte de jouer avec Olivia
Newton-John dans Xanadu en raison de
la proximité du tournage, mais le film est un navet et il est regrettable que
ce soit le dernier réel rôle de Gene dans un film. Les années 80 le voient
jouer son rôle de légende vivante de la comédie musicale et l’American Film
Institut lui décerne le Life Achievement de 85. En 1990, il épouse l’écrivain
Patricia Ward, de presque 50 ans sa cadette, qui l’aidait à rédiger son
autobiographie que sa santé empêchera de mener à terme. That’s Entertainement III en 1994 est la dernière apparition de
Gene Kelly devant les caméras. Sa santé se détériore, et deux infarctus le
laissent à moitié paralysé, tandis
que sa femme essaye d’empêcher ses enfants et amis de venir le voir. Le matin
du 2 février 1996, à 83 ans, Gene Kelly décède d’une série d’infarctus.
Sources:
Documentaire "Gene Kelly, Anatomy Of A Dancer" de Robert Trachtenberg
B. BLAIR, Le Souvenir de tout ça. Amours, Politique et cinéma, 2003
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