Gene Kelly (1912-1996)


Gene Kelly


Un sport efféminé ? :

C’est à Pittsburgh, le 23 août 1912, qu’Eugene Curran Kelly, troisième d’une famille d’origine irlandaise de cinq enfants, fait son entrée en scène. Très vite les enfants sont initiés à la danse par leur mère, mais Gene préfère la pratique de sports plus virils comme la gymnastique, le hockey sur glace, la natation, le football américain ou encore le base-ball. Cependant, lorsqu’il se rend compte que les filles aiment les garçons sachant danser, Gene prend d’avantage intérêt à la danse. La famille est durement touchée par la crise de 1929 et Gene, qui a été contraint d’arrêter ses études de droit, ainsi que son frère Fred font divers concours amateurs dans le but d’aider financièrement leur famille.

« Mon frère m’a appris les claquettes car on allait dans les bars clandestins. On participait à des soirées d’amateurs où le plus applaudi gagnait cinq dollars. Il gagnait plus à lui tout seul que tout le reste de la famille, je lui ai donc demandé de m’apprendre et il m’a enseigné les claquettes. »

Parallèlement, la famille ouvre une école de danse où les enfants Kelly enseignent. Devant l’énergie qu’y consacre Gene, l’école est baptisée « Gene Kelly Dance Studio ». Bientôt, une deuxième école est ouverte à Johnstown.

« Notre école de danse se mit à recevoir la visite de nombreux professionnels de passage. Je devins une sorte de « médecin de numéros », par exemple, lorsqu’ils voulaient une fin plus forte ou lorsque l’intérêt tombait au milieu d’un numéro. J’acquis beaucoup d’expérience en y remédiant et en créant des numéros. Cela me donna suffisamment confiance en moi pour partir à New York et chercher du travail comme chorégraphe. En arrivant à New York, j’ai perdu mes illusions. »


A la conquête de Broadway :

Nous sommes à la fin des années 30 et Broadway connaît une période très faste avec des chorégraphes comme Jérôme Robbins, des metteurs en scène comme Vincente Minnelli et des compositeurs comme Cole Porter. Faute de trouver une place comme chorégraphe, c’est dans une comédie musicale de ce dernier, Leave It To Me, qu’il a son premier travail, dans un petit rôle. Peu à peu le jeune homme se fait un nom et est engagé pour chorégraphier Diamond Horseshoe où il rencontre une jeune danseuse de 16 ans, Betsy Blair, dont il tombe vite amoureux malgré leurs 12 ans de différence. Peu de temps après, Gene Kelly est engagé dans le rôle principal de Pal Joey. La distribution comprenait également deux jeunes danseurs, Van Johnson et Stanley Donen. Le succès est immense et Gene, dans son rôle de canaille, accède à la célébrité au point que Louis B. Mayer, le tout puissant directeur de la MGM lui propose un contrat. Gene est sur le point d’accepter, mais lorsque Mayer revient sur sa décision de l’engager sans passer un bout d’essai, il refuse net. Il n’est donc pas étonnant qu’il ne soit pas emballé par la proposition du producteur indépendant David O. Selznik. Mais le producteur de Autant en emporte le vent saura se montrer persuasif, et, après avoir épousé Betsy, Gene et elle se dirigent vers la Californie. Nous sommes en 41 et Gene a 29 ans.

A la conquête d’Hollywood :

Arrivé à Hollywood après sa lune de miel, Gene se rend compte qu’aucune comédie musicale n’est prévue par Selznik, même si celui-ci le paye grassement (mille dollars par semaine). L’inactivité sera heureusement de courte durée : le producteur Arthur Freed, spécialiste des comédies musicales de la MGM, souhaite qu’il donne la réplique à Judy Garland dans For Me And My Gal (Pour moi et ma mie, 1942). La MGM rachète alors à Selznik la moitié du contrat de Gene. Le courant passe bien entre Gene et Judy qui lui apprend comment se comporter devant la caméra. La même année, il devient papa d’une petite Kerry.



En 43, la MGM le fait tourner dans divers films de guerre comme Pilote n°5  ou The Cross Of Lorraine (La croix de Lorraine), ainsi que le rôle du rival de Red Skelton dans Dubarry Was A Lady (La Dubarry était une dame), mais aucun d’entre eux ne met en valeur le talent de Gene qui se trouve lié à la série B. Le salut viendra de la Columbia, désireux d’en faire le partenaire de leur star, Rita Hayworth, dans Cover Girl (La reine de Broadway, 1944). L’alchimie entre Rita Hayworth et lui est magique, le film devient un succès. Grâce au numéro alter-ego qu’il monte avec son ami Stanley Donen, Gene montre sa volonté de faire progresser la comédie musicale et d’innover dans la chorégraphie cinématographique. Gene Kelly devenu une star, la MGM, consciente de détenir une poule aux œufs d’or, décide de le garder pour elle et de lui donner des rôles à sa mesure.

Ce sera chose faite avec Achors Aweigh (Escale à Hollywood, 1945) où il partage l’affiche avec un autre jeune talent, Frank Sinatra et la chanteuse Kathryn Grayson. Si le crooner est le premier sur l’affiche, la star du film est bel est bien Gene Kelly qui lui apprend également à danser et à être à l’aise devant une caméra, ce en quoi Sinatra lui sera toujours reconnaissant. Mais le grand moment du film est la séquence dansée avec un personnage de dessin animé (la souris Jerry) qui révolutionne le monde de l’animation.



Le film est à nouveau un succès et lui vaut sa seule nomination aux Oscars, mais malgré les protestations de la MGM, Gene s’engage dans la Navy. Il prend part à différents films semi-documentaires destinés au recrutement où il croise l’actrice Jocelyn Brando, la grande sœur de Marlon. Ces expériences lui donnent envie de s’essayer à la réalisation et au jeu dramatique, aussi lorsqu’Elia Kazan lui propose un rôle à Broadway dans Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, Gene est emballé. Mais la MGM refuse de le voir interpréter un second rôle.

Ziegfeld Follies (1946) voit le seul duo entre Gene et son rival et ami Fred Astaire.
« Fred représente l’aristocratie lorsqu’il danse et moi le prolétariat », dira Gene Kelly, ainsi que « Fred Astaire est le Cary Grant de la danse et j’en suis le Marlon Brando. »

Les Kelly se rendent également célèbres pour leurs soirées où l’on écoute Leonard Bernstein jouer du piano ou Adolph Green et Betty Comden (futurs scénaristes de Chantons sous la pluie et bien d’autres) faire des revues. Richard Conte, John Garfield ou Lena Horne étaient des hôtes fréquents et George Cukor réussit même à y amener Greta Garbo.



En 1948, Gene Kelly présente un d’Artagnan plein de fougue dans The Three Musketeers (Les trois mousquetaires), son premier grand film non-chanté, où il partage la vedette avec entre autres Lana Turner et Vincent Price. Si le film est un succès, ce ne sera pas le cas pour The Pirate (Le pirate, 1948) qui voit ses retrouvailles avec Judy Garland et son premier grand rôle pour Vincente Minnelli. Malgré de grands moments musicaux et chorégraphiques, le public ne comprend pas le second degré de ce qui est en fait une parodie des films de cape et d’épée, et si le film est aujourd’hui considéré comme un classique, il fit perdre deux millions de dollars à la MGM.

Au firmament des stars :

Son apparition dans Words & Music (Ma vie est une chanson, 1948) lui donne à nouveau, lors d’un ballet mémorable, l’occasion d’interpréter par la danse l’homme de la rue. Une cheville cassée l’empêche cependant de participer à Easter Parade et il priera Fred Astaire de le remplacer. L’année suivante, il retrouve Frank Sinatra devant la caméra de Bubsy Berkeley pour Take Me Out To The Ball Game (Match d’amour). Esther Williams complète l’affiche, ainsi que Jules Munshin qui transforme le duo en trio. Gene et Stanley Donen affirment leur autorité en écrivant non seulement la chorégraphie des numéros musicaux, mais en tournant ceux-ci eux-mêmes. Le succès du film pousse Arthur Freed à leur confier la réalisation d’un film. Ce sera On The Town (Un jour à New York, 1950).

Racontant les pérégrinations de trois soldats de la Navy (Gene, Sinatra et Munshin) lors d’une journée de permission à New York, le film révolutionne la comédie musicale en la faisant sortir, pour une partie, hors des studios.
« Le film reste mon préféré. Ce n’est pas le plus lucratif. Ce n’est pas le plus aimé. Mais ils savaient qu’on transformait complètement la comédie musicale. »

Gene Kelly s’implique également dans la politique, soutenant auprès d’Humphrey Bogart, Lauren Bacall ou encore Danny Kaye, les 10 d’Hollywood et combattant la liste noire dont Betsy sera l’une des victimes. Il soutient également une Judy Garland, en pleine dépression, en acceptant de jouer dans Summer Stock (La jolie fermière, 1950). Il retrouve ensuite Minnelli pour An American In Paris (Un Américain à Paris, 1951) où il impose une jeune danseuse française, Leslie Caron. Le film triomphe au Box-Office et Gene reçoit un Oscar d’honneur pour sa contribution à la comédie musicale comme acteur, danseur, chanteur, réalisateur et chorégraphe.



Un autre projet pointe son nez : un film réalisé par Gene et Stanley Donen sur base des chansons composées par Arthur Freed dans les années 30. Singin’ In The Rain (Chantons sous la pluie, 1952) deviendra le film le plus connu de Gene Kelly notamment grâce à la chanson éponyme chantée sous la pluie par un Gene Kelly fiévreux.

Suite aux problèmes de Betsy de plus en plus surveillée par le FBI ainsi qu’à une loi permettant à tout Américain ayant habité plus de 18 mois à l’étranger de ne pas payer d’impôts pendant cette période, les Kelly partent pour l’Europe. Gene Kelly espère y réaliser un de ses rêves, un film entièrement dansé et sans intrigue particulière, Invitation To The Dance (Invitation à la danse, 1956).

« Avec « Invitation à la danse », je voulais, pour une fois, faire quelque chose de désintéressé. J’ai dit : « Le monde entier croit que Fred Astaire et Gene Kelly sont les deux seuls danseurs vivant en Amérique ou qu’on ait jamais vu en dehors des grandes villes du monde. Pourquoi ne pas faire un petit film avec de grands danseurs de ballet ? ». Le studio a dit : « Très bien, faites-le en Angleterre. » Quand on est arrivé, ils ont changé d’attitude , disant : « Il faut que vous soyez dans tous les numéros. »

Malgré cela, la MGM retarde de plus de quatre ans la sortie du film qui sera un échec que Gene vivra très mal. Les beaux jours de la comédie musicale sont en effet derrière elle, comme le prouvera en 54 l’échec de Brigadoon  dirigé par Vincente Minnelli avec Cyd Charisse et Van Johnson. Gene et Minnelli auraient voulu tourner en Ecosse, mais le studio qui réduit ses budgets consacrés aux comédies musicales est peu enclin à les laisser tourner en extérieur dans un pays au temps incertain. Malgré un charme certain, le film pâtit du tournage en studio qui fait perdre au film tout le réalisme que Gene et Minnelli auraient voulu y mettre.



Le même sort atteint l’excellent It’s Alway Fair Weather (Beau fixe sur New York, 1955), dernière collaboration entre Gene et Stanley Donen qui ne cesseront de se disputer sur le tournage. Le film aurait dû être une sorte de suite de On The Town, mais suite au refus de Sinatra, les partenaires de Gene seront Dan Dailey et le chorégraphe Michael Kidd. A la frustration de ne pouvoir ni reprendre son rôle dans l’adaptation cinématographique de Pal Joey, ni obtenir le rôle principal de Guys & Dolls suite au refus de la MGM de le prêter à d’autres studios, s’ajoute son divorce avec Betsy Blair qu’il considèrera comme un échec personnel. En 1957, Les Girls de George Cukor marque le dernier grand rôle de Gene dans une comédie musicale.

L’étoile pâlie :

Après quelques films non-musicaux sans grande envergure, Gene est libéré de son contrat avec la MGM. Il joue alors un journaliste cynique sous la direction de Stanley Kramer dans Inherit The Wind (Procès de singe, 1960) où il donne la réplique aux deux géants que sont Spencer Tracy et Fredric March et prouve qu’il est aussi un excellent acteur. On le voit aussi en cameo dans son propre rôle dans Let’s Make Love de George Cukor. Il se remarie la même année avec son assistante Jeanny Coyne, l’ancienne femme de Stanley Donen, qui lui donnera deux enfants.

Souhaitant se consacrer davantage à sa vie de famille, Gene délaisse peu à peu les plateaux de cinéma et apparaît de temps à autre à la télévision. Son rôle de quatrième mari de Shirley MacLaine dans What A Way To Go (Madame croque-maris, 1964) reste cependant l’un des meilleurs moments du film. Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, tourné en 67, lui laisse cependant un goût amer : seule Danielle Darrieux et lui sont des habitués des comédies musicales et les autres acteurs seront doublés.

Désormais, Gene se limite à la réalisation et, suite aux succès de A Guide Of The Married Man (Petit guide pour maris volages, 1967), la 20th Century Fox lui confie la réalisation de Hello Dolly (1969) avec Barbara Streisand. Mais Gene est frustré de n’avoir pu participer à l’élaboration artistique et l’époque de la guerre du Vietnam et de la révolution sexuelle n’est plus propice à la comédie musicale. Le film sera un échec monumental. The Cheyenne Social Club (Attaque au Cheyenne Club, 1970), le western qu’il réalisera avec James Stewart et Henry Fonda ne fera que peu de bruit.

La mort de Jeanny d’une leucémie en 73 le frappe en plein fouet et il s’occupe pleinement de ses jeunes enfants, refusant la réalisation de Cabaret qui l’aurait envoyé en Allemagne. Il participe cependant aux documentaires sur la comédie musicale de la MGM, That’s Entertainment I (Il était une fois Hollywood, 1974) et That’s Entertainement II (Hollywood…Hollywood, 1976), dont il réalise le second volet.

Dernières pirouettes :

En 1980, il accepte de jouer avec Olivia Newton-John dans Xanadu en raison de la proximité du tournage, mais le film est un navet et il est regrettable que ce soit le dernier réel rôle de Gene dans un film. Les années 80 le voient jouer son rôle de légende vivante de la comédie musicale et l’American Film Institut lui décerne le Life Achievement de 85. En 1990, il épouse l’écrivain Patricia Ward, de presque 50 ans sa cadette, qui l’aidait à rédiger son autobiographie que sa santé empêchera de mener à terme. That’s Entertainement III en 1994 est la dernière apparition de Gene Kelly devant les caméras. Sa santé se détériore, et deux infarctus le laissent à moitié paralysé,  tandis que sa femme essaye d’empêcher ses enfants et amis de venir le voir. Le matin du 2 février 1996, à 83 ans, Gene Kelly décède d’une série d’infarctus. 

Sources: 

Documentaire "Gene Kelly, Anatomy Of A Dancer" de Robert Trachtenberg
B. BLAIR, Le Souvenir de tout ça. Amours, Politique et cinéma, 2003


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