Frank Capra (1897-1991)


Frank Capra



De la Sicile à la Californie :


Frank Capra naît le 18 mars 1897 en Sicile, dans une famille de paysans. La vie y est rude et c’est sans hésiter que la famille part rejoindre leur fils aîné en Californie. Frank n’a que 6 ans.
Très vite, le petit garçon comprend que même si la misère est moins grande que dans son pays natal,  seules des études lui permettront d’échapper à la rudesse de la vie paysanne. Ainsi, il est le seul de sa famille à aller à l’école qu’il paye lui-même. Et si, une fois qu’il entre au lycée, ses frères considèrent qu’il ferait mieux de se mettre à travailler, son père lui laisse le champ libre à condition qu’il continue à payer ses études tout en apportant sa contribution pour faire vivre la famille. Commence alors pour Frank une série de petits boulots qui lui prennent tout son temps libre, d’autant qu’il a décidé d’économiser pour suivre des études supérieures. Malgré cela, Frank est un étudiant très brillant et une fois à l’université, il ne tarde pas à recevoir une bourse. En 1917, son père meurt dans un accident agricole tandis qu’un an plus tard il décroche un diplôme d’ingénieur  chimiste. Il est le seul éduqué, l’espoir de la famille.


Plusieurs employeurs lui offrent du travail, mais Frank n’a qu’une idée en tête : servir son nouveau pays dans la guerre. S’il avait l’intention de s’illustrer dans des faits d’armes, il en est pour ses frais : l’armée, consciente d’avoir un brillant cerveau, l’emploie pour donner des cours de balistique à ses nouvelles recrues. Heureusement, la guerre est rapidement finie et Frank est libéré de ses obligations. Seulement, après la guerre les choses ont changé, et les ingénieurs, tellement demandés avant, sont aujourd’hui licenciés et sans travail. Capra se retrouve donc à la rue malgré son brillant diplôme, et ses chances de faire sortir sa famille du ghetto se retrouvent réduites à néant. La recherche de travail le conduit à San Francisco en 1921, où il tombe sur l’annonce de l’ouverture d’un nouveau studio de cinéma. Intrigué et affamé, le jeune homme s’y rend. Se faisant passer pour un employé d’Hollywood en vacances, il bluffe et se fait engager pour diriger le premier film. Issu d’un poème de Kipling, le film sera réalisé sans acteurs professionnels, mais avec des quidams jouant leur propre rôle, et un ami opérateur de reportage afin de ne pas être démasqué (Capra ignore qu’il l’est déjà). Les critiques applaudissent le résultat et Capra avoue à Montague, le producteur, qu’il n’est pas dans le cinéma. A sa grande surprise, celui-ci lui répond qu’il était au courant mais qu’il avait décidé de lui donner sa chance. Frank Capra décide de ne plus réaliser de films pour Montague, mais cette nouvelle expérience lui a donné une nouvelle ambition : se faire un nom comme metteur en scène de cinéma.


Gagman chez Sennett :



Il commence son apprentissage cinématographique dans un laboratoire puis gravit peu à peu les échelons : accessoiriste, monteur et enfin gagman. Arrivé à ce stade, il décide qu’il est mûr pour aller tenter sa chance chez le roi de la comédie : Mack Sennett.



Mack Sennett est à cette époque l’un des nababs les plus puissants de Hollywood. Spécialisé dans le burlesque, il avait rendu célèbre Charlie Chaplin ou Gloria Swanson. Sennett est vite impressionné par l’imagination de Frank et avec le scénariste Arthur Ripley et le réalisateur Harry Edwards, il lui donne la tâche de s’occuper d’un comique dont personne ne sait que faire : Harry Langdon. A eux trois, ils façonnent un personnage irrésistible et l’acteur rivalise avec Buster Keaton, Charlie Chaplin et Harold Lloyd dans le cœur du public. Très vite, comme ses trois rivaux, il monte sa propre maison de production et emmène ses trois conseillers avec lui. Capra co-réalise avec Edwards le premier film indépendant : Tramp Tramp Tramp  (Plein les Bottes, 1926) qui est également l’un des premiers films de Joan Crawford. Côté privé, Capra aura un mariage éclair avec une actrice.

Edwards s’étant disputé avec Langdon, c’est Capra qui prend les rênes pour les deux longs métrages suivants : The Strong Man  (L’Athlète Incomplet, 1926) et Long Pant  (Sa Dernière Culotte, 1927). Mais le tournage du dernier se fait dans la douleur : Langdon, que le succès rapide a rendu prétentieux, a de plus en plus l’ambition de se diriger lui-même comme Keaton et Chaplin. Après une violente dispute, Capra est renvoyé. Les films suivants de Langdon, qu’il mettra lui-même en scène, seront des échecs. Capra, malgré le succès de ses deux réalisations a du mal à trouver du travail, Langdon s’en étant attribué tout le mérite. On l’embauche pour For The Love Of Mike (L’Homme le Plus Laid du Monde, 1927) qui est le premier rôle de Claudette Colbert au cinéma, mais le manque de moyens paralysera le film qui est un échec. C’est alors qu’Harry Cohn, le PDG de la Columbia, ayant choisi le premier de la liste des réalisateurs sans travail, engage Capra.


La Cendrillon des studios :


La Columbia est à l’époque un studio miteux au bord de la faillite. Son directeur, Harry Cohn, par son caractère de cochon, allait devenir l’un des hommes les plus détestés d’Hollywood. Cependant Capra conservera toujours une certaine affection pour Cohn qui le lui rendra bien. Ses films et son culot plaisent en effet au tyrannique producteur et celui-ci lui permet de faire ses expériences, le soutenant souvent là où d’autres auraient abandonné. Ce n’est pas pour rien si Capra se voit confier la réalisation de la première « grosse » production de la Columbia, Submarine (L’Epave Vivante, 1928). Capra y impose un certain réalisme en supprimant le maquillage. Le film est un succès et Capra devient le réalisateur attitré des grands films de la firme. C’est sans hésiter qu’il se lance dans le parlant où sa formation scientifique est un avantage.

Un jour, Capra reçoit la visite d’un jeune animateur, Walt Disney. Ebahi par l’artiste, il presse Cohn de le prendre sous contrat. Malheureusement, la grossièreté de Cohn aura raison de la sensibilité du jeune dessinateur qui ira voir ailleurs avec le succès que l’on sait. De son côté, Capra continue à innover, mélangeant comédie et suspense dans The Donovan Affair  (L’Affaire Donovan, 1929). C’est également à cette époque, alors qu’il vient de se remarier avec Lucille Reyburn, qu’il commence à avoir l’ambition de décrocher un Oscar et que, comme beaucoup d’autres, il perd tout son argent dans le crash de 1929.

Lorsque Harry Cohn propose à Capra d’auditionner une jeune actrice pour son prochain film, le courant ne passe pas et très vite la jeune femme claque la porte. « Harry, ta Stanwyck tu peux te la garder, dira Capra, ce n’est pas une actrice, c’est un porc-épic ! »
Suite aux supplications du mari de l’actrice, Capra regarde à contre cœur un bout d’essai réalisé plus tôt et le charme opère. Capra se rue dans le bureau de Cohn pour lui demander d’engager cette actrice qui, comme personne, n’avait su l’émouvoir.  Le film qu’ils tournèrent ensemble, Ladies of Leisure (Femmes de Luxe, 1930), fit de Barbara Stanwyck une star.


Le désir de Capra de gagner un Oscar est du plus en plus présent et il fait en sorte d’être invité à devenir membre de l’Académie. Du point de vue des films, The Miracle Woman (1931) et Forbidden (Amour Défendu, 1932), remplis de clichés, s’étant soldés par des échecs,  il préfère ne pas prendre de risques et tourne des films non-engagés comme Platinum Blonde (La Blonde Platine, 1931) avec Jean Harlow et Loretta Young. Cependant, à l’heure où le cinéma commence à être touché par le spectre de la Grande Dépression, il décide, avec American Madness  (La Ruée, 1932), de faire un film où l’idéal triomphe de la richesse. C’est également à cette époque qu’il décide d’accélérer le rythme des scènes de ses films.




The Lady For A Day (Grande Dame d’un Jour, 1933) marque sa première collaboration avec Robert Riskin au scénario. Gros succès et Capra est enfin reconnu par ses pairs : pour la première fois un de ses films est nominé aux Oscars et, qui plus est, dans quatre catégories (meilleur film, mise en scène, actrice et scénario). Confiant, Capra pense avoir réalisé le premier film à remporter quatre des cinq Oscars principaux, mais il n’en fut rien, et un à un les prix sont décernés à d’autres. Lorsqu’enfin vient la remise de l’Oscar de la meilleure mise en scène :

«Pendant que Will Rogers donnait la lecture de la liste des films sélectionnés, je jetai un coup d’œil rapide sous la table à mon discours de remerciement tout froissé. Mais je ne pouvais même pas le tenir et encore moins le lire.
Rogers dit quelques mots gentils sur les metteurs en scène de l’année, puis « … Et le meilleur metteur en scène de l’année… Et bien, voilà une agréable surprise ! Ca fait longtemps que je le suis des yeux, ce jeune homme… Je l’ai vu partir de zéro… Ca ne pouvait pas tomber sur un type plus sympathique. Allez, Frank, viens le chercher, tu l’as bien mérité ! »
A ma table, ce fut une explosion de vivats et d’applaudissements. La piste de danse était fort éloignée, mais je parvins à me frayer un passage entre les tables et à atteindre la piste. Le faisceau du projecteur balayait la piste de danse en me cherchant. «Ici ! » criai-je en faisant de grands signes de la main. Puis, tout à coup, il s’écarta de moi et alla se poser sur un homme décontenancé qui se tenait à l’autre bout de la piste… Frank Lloyd ! La salle applaudissait à tout rompre tandis que le projecteur accompagnait Frank Lloyd jusque sur le podium où Will Rogers l’accueillit avec une accolade et une solide poignée de main. Je restai figé sur place dans l’Obscurité, pétrifié d’incrédulité, jusqu’à ce qu’une voix furieuse se mît à crier derrière moi : Assis, devant ! »



Les films d’autobus, ça ne marche pas :

Si Capra n’a pas réussi à remporter l’Oscar tant convoité, il possède à présent une solide réputation dans le monde du cinéma. C’est donc sans réelle surprise qu’Irving Thalberg l’engage pour un film à la MGM en échange d’un bon salaire pour Capra et de la possibilité pour Harry Cohn d’obtenir une vedette de la MGM pour un film. Cependant, Thalberg doit se rendre en Europe et son vieil ennemi Louis B. Mayer en profite pour mettre fin au projet d’un film tout en respectant les engagements de la compagnie. Capra peut donc s’atteler à un projet qui lui tient à cœur : It Happened One Night  (New York-Miami, 1934). La Columbia voit cependant le film avec appréhension car les deux précédents films mettant en scène une histoire dans un autocar se sont soldés par des échecs.

Capra n’en a cependant cure et décide de distribuer le casting. Comme la MGM leur doit une vedette, il pense à Myrna Loy pour le rôle de la fille. Mais celle-ci, à sa grande stupéfaction, refuse. Il en va de même pour Margaret Sullavan, Miriam Hopkins et Constance Bennett. L’égo de Capra, persuadé que toutes les vedettes voulaient jouer dans ses films, en prend un coup, d’autant plus qu’il pense tenir une bonne histoire. Myles Connoly, un proche du réalisateur, lui suggère alors de rendre ses personnages plus sympathiques. Aussitôt dit aussitôt fait. Capra décide alors de s’occuper de l’acteur principal et contacte Robert Montgomery qui lui aussi refuse. Passablement déprimé, Capra songe à abandonner, mais Harry Cohn soutient son réalisateur et demande à Mayer s’il est possible de décider sa vedette. A la place, le directeur de la    MGM propose Clark Gable qu’il veut punir pour avoir demandé une augmentation de salaire et plus d’indépendance. Ce dernier arrive fin saoul chez Capra de moins en moins enclin à réaliser ce film qui semble lui porter malheur. A nouveau, Cohn l’encourage à continuer et lui propose d’engager Claudette Colbert qui est en vacances et aime les gros sous. Peu  enthousiaste, elle n’accepte le rôle que si le film est tourné en quatre semaines et avec le double de son salaire habituel.



Le tournage se fait donc à tout allure. Si Clark Gable y prend beaucoup de plaisir, son rôle le changeant de son habituel personnage de macho, Claudette Colbert est très difficile, et, après avoir quitté le tournage, déclarera à des amis : « Je viens de tourner mon plus mauvais film ». Distribué sans tambour ni trompette, le bouche à oreille fait de ce film sans prétention un véritable succès populaire. Les cinq nominations aux Oscars dans les principales catégories (meilleur film, mise en scène, acteur, actrice et scénario) seront toutes remportées, une première dans l’histoire du cinéma et qui ne fut pas renouvelée avant 1975 avec Vol au-dessus d’un Nid de Coucou . En recevant son Oscar, Colbert, bonne joueuse, déclara : « Ceci, je le dois à Frank Capra ! » .

Frank Capra est maintenant au sommet et souhaite en profiter pour faire passer un message à son public. C’est ainsi qu’il réalise son premier film social, Mr Deeds Goes to Town  (L’Extravagant Mr Deeds, 1936). Cette fois-ci, le casting se fait sans soucis : Gary Cooper dans le rôle principal est un choix évident, de même que cette jeune actrice qui fascine Capra dans celui de la journaliste. Jean Arthur deviendra l’actrice préférée du metteur en scène et la vedette principale de la Columbia dans les années 30. C’est également pour ce film où pour la première fois, un metteur en scène salarié et non-propriétaire d’une société de production (comme Cecil B. De Mille) a son nom au-dessus de l’affiche.



L’Académie lui décernera à nouveau  l’Oscar de la meilleure mise en scène et l’élira à sa tête. En tant que président de l’Académie, Capra sauvegardera celle-ci de l’attaque des différents syndicats.


L’ascension continue :

Suite à ces grands succès, Harry Cohn permet à Capra d’utiliser un budget de deux millions de dollars, du jamais vu dans l’histoire de Columbia, cette somme représentant la moitié du budget annuel de la firme. Cet argent sert à une adaptation du roman de James Hilton, The Lost Horizon (Horizons Perdus, 1937), dont la vedette sera l’acteur Ronald Colman. Capra est sûr de son coup, mais l’avant-première est désastreuse. Capra cherche où se trouve la faille et décide de brûler les deux premières bobines. La suite donnera raison au réalisateur et le film fera entrer la Columbia dans la cour des grands.



Son film suivant, You Can’t Take It With You (Vous ne l’Emporterez pas avec Vous, 1938), lui permet de retravailler avec Jean Arthur, mais aussi de faire une star d’un jeune acteur qui commençait à faire parler de lui: James Stewart. La mort de son deuxième fils, des suites d’une opération, le prive du plaisir de voir une nouvelle fois un de ses films triompher. You Can’t Take it With You obtiendra l’Oscar du meilleur film et de la  meilleure mise en scène, et Capra devient le président de l’Association des metteurs en scène.

En 1939 il réunit une nouvelle fois James Stewart et Jean Arthur pour Mr Smith Goes To Washington  (Monsieur Smith au Sénat, 1939), qui traite de la corruption politique. Les membres du Congrès assistent à la projection de Washington. Les deux tiers quitteront la salle en signe de protestation. Le film crée alors une controverse dans la presse : le film est-il une apologie ou une satire des idéaux démocratiques des Etats-Unis ? Il obtiendra cependant un grand succès critique et commercial et sera même le dernier film américain projeté en France avant l’interdiction nazie. Mais lors de la course aux Oscars, hormis celui du meilleur scénario original, il arrivera second partout, ce qui fera dire à Capra : Ne faites jamais le meilleur film que vous ayez jamais fait la même année où quelqu’un d’autre réalise « Autant en Emporte le Vent ». En décembre 40, l’Académie étant totalement sauvée, il quitte ses fonctions de président.



Mais avec ce film, Capra voit son contrat avec Columbia arriver à sa fin. Décidant de voler de ses propres ailes, il fonde avec son fidèle complice Robert Riskin les Productions Frank Capra. Cette décision lui permet de ne pas être lié à un contrat à long terme. C’est ainsi que Jack Warner les signe pour un film. Ce sera Meet John Doe  (L’Homme de la Rue, 1941) dont toutes les vedettes (Gary Cooper, Barbara Stanwyck, Edward Arnold et Walter Brennan) acceptent d’en faire partie sans avoir lu le scénario qui n’existe pas encore ! Mais si Riskin et Capra sont fiers de celui qu’ils écriront par la suite, ils n’arriveront pas à lui trouver une fin satisfaisante. Capra tournera cinq conclusions différentes sans être réellement convaincu par aucune, et si les critiques sont excellentes, la déception du réalisateur comme du public est évidente. De plus, malgré les bénéfices qui iront dans la poche de Warner, sa maison de production ferme.


Les années de guerre et leur héritage :

En ce début des années 40, Capra est arrivé à ce à quoi il aspirait : depuis presque une décennie, il est devenu une véritable machine à succès et un des réalisateurs les plus acclamés. La Fox comme la United Artists sont prêts à tout pour l’avoir sous contrat, mais Capra hésite : il veut se rendre utile dans ce nouveau conflit mondial. Avant de rejoindre l’armée, cependant, il décide de tourner un petit film pas cher d’après une pièce d’Howard Lindsay, Arsenic And Old Lace (Arsenic et Vieilles Dentelles, 1944). Les ayants droits de la pièce acceptent à condition que le film ne sorte pas avant trois ans (la pièce passant toujours à Broadway). Pour l’interprétation, il laissera le champ libre à ses interprètes (dont le roi de la screwball, Cary Grant) qui s’amuseront comme des fous.

L’attaque de Pearl Abord le décide définitivement à s’impliquer et il est engagé dans le service cinématographique des armées où il réalisera une série de documentaires destinés à expliquer aux jeunes recrues les raisons de leur combat : Why We’re Fight (1943). Ils seront réalisés dans les vieux studios de la 20th Century, prêtés par Richard Zanuck. Ces films ont un tel succès que Churchill décide de faire l’introduction du documentaire suivant, Prelude To War.

A la fin de la guerre, Capra quitte l’armée, non sans avoir reçu la Distinguished Service Medal, la plus haute récompense pour un non-combattant. Mais le retour à Hollywood est difficile, les choses ont changé et les nouveaux arrivants semblent n’avoir jamais entendu le nom de Frank Capra. Avec ses confrères William Wyler et George Steven, il fonde Liberty Films. L’idée d’en produire le premier film l’angoisse un peu. Est-il encore capable de réaliser un bon film ? C’est Charles Koerner, le PDG de la RKO qui lui propose un scénario qui le séduit tout de suite : It’s A Wonderful Life  (La Vie est Belle, 1946) dont la vedette est toute trouvée avec un James Stewart fraîchement démobilisé. Les critiques sont pourtant mitigées.




« Mais je me fichais pas mal de ce que les critiques pouvaient bien penser de mon film. Je trouvais, quant à moi, que c’était mon meilleur film… Il n’était pas destiné à des critiques blasés ni à des intellectuels languissants. C’était mon genre de film et il était destiné à mon genre de public… »

Le film suivant, State Of The Union  (L’Enjeu, 1948), traitera à nouveau de la politique et mettra en vedette Spencer Tracy, Van Johnson, Adolphe Menjou et Angela Landsbury. Le premier rôle devait revenir à Claudette Colbert, mais celle-ci se disputera à nouveau avec Capra qui prendra, sur les conseils de Tracy, Katharine Hepburn à la place.

« Au téléphone, Hepburn ne perdit pas de temps à discuter contrat, salaire ou ordre des noms à l’affichage. Un spectacle était en détresse. On l’appelait à l’aide. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle l’aida. »

Le film est soutenu par le Président Truman et cette fois-ci, les politiques apprécieront grandement le résultat. Mais malgré cela Liberty Films sera vendu à la Paramount qui se retrouvera avec trois des plus grands réalisateurs de l’époque sous contrat.


L’automne d’un roi:

En ce début des années 50, la crise du cinéma, due à l’arrivée de la télévision, force Capra à tourner des films à budget réduit. Son premier film pour la Paramount est un remake de Broadway Bill, nommé Riding Hide  (Jour de Chance, 1950) pour l’occasion. La vedette est donnée, Bing Crosby, dont la réputation d’arriver en retard sur le plateau était célèbre dans le milieu. Capra arrivera rapidement à le faire arriver à l’heure en s’en prenant à l’ego du chanteur. Son film suivant, Here Comes The Groom (Si l’on Mariait Papa, 1951) le voit à nouveau travailler avec Crosby avec qui il a sympathisé, ainsi que Jane Wyman. Le film sera un succès et Capra libéré de la Paramount.



La devise « Un homme, un film », qu’il avait faire sienne, n’étant plus d’actualité à Hollywood, il quitte la ville. Mais rapidement l’oisiveté l’ennuie. Accusé d’être un ennemi du pays, il se défend avec fougue et est rapidement blanchi. De 52 à 56 il réalise une série de films scientifiques destinés à la jeunesse pour la télévision. La série obtient un grand succès.

Mais en 57, l’appel du cinéma se fait trop important et il décide de retourner à Hollywood. Il tombe de haut en apprenant que désormais, ce sont les acteurs qui choisissent leurs metteurs en scène et non l’inverse car les vedettes sont devenues une garantie bancaire. Rapidement, un projet s’offre avec Frank Sinatra, mais celui-ci est tellement occupé qu’il ne se fera pas avant un an. Entre temps, Harry Cohn lui propose un film prometteur, mais meurt peu de temps après et celui-ci est abandonné. Le tournage d’ A Hole In The Head (Un Trou dans la Tête, 1959) avec Sinatra finit par démarrer, même si Capra est réticent du fait de devoir partager la production avec sa vedette. Le résultat est plus que convaincant et Capra est certain qu’il est temps pour lui de retrouver sa réputation d’antan.

Fin de carrière :

Capra décide que son prochain film sera un remake actualisé de Lady For A Day. La United Artists accepte de financer le film, qui s’appellera Pocketful Of Miracles  (Milliardaire pour un Jour, 1961) à condition qu’il trouve une grande vedette ou deux vedettes moyennes. Glenn Ford se propose pour jouer le rôle de Dave the Duck. La United Artist accepte à condition qu’il y ait une autre vedette. Capra propose alors Helen Hayes pour jouer Apple Annie. Tout semble se dérouler comme dans un rêve, d’autant que Shirley Jones a accepté le rôle de Queenie Martin. Seulement, en tant que co-producteur, Ford à également son mot à dire et exige que le rôle de Queenie aille à sa petite amie de l’époque, Hope Lange.

Capra veut alors renvoyer Glenn Ford, mais comment trouver un acteur sur lequel la United Artists accepte de miser en si peu de temps ?

« Dix ans plus tôt, ma réponse ne se serait pas fait attendre : au diable Ford et l’argent ! Mais, maintenant, j’avais soixante-quatre ans. Mes propres paroles que j’avais criées sur tous les toits, revinrent me hanter : « Ce n’est pas un métier pour les vieux. Tout metteur en scène au-dessus de cinquante ans devrait être mis d’office à la retraite. »

Et finalement Capra accepte les conditions

« Glenn Ford, une vedette au petit pied, avait réussi à faire ce que ni Mack Sennett, ni Harry Cohn, ni Louis B. Mayer, ni Jack Warner n’avaient jamais réussi à faire : m’obliger à réaliser un film à ses conditions, et non aux miennes. »

Mais lorsque Capra repousse la date du tournage pour réécrire le rôle de façon à ce qu’il convienne mieux à Hope Lange, Helen Hayes se désiste car les dates ne lui conviennent pas. Heureusement, les studios arrivent à trouver une solution de rechange :
 

« Bette Davis, une vedette beaucoup plus importante que Glenn Ford, accepta de jouer le rôle d’Apple Annie en échange d’un cachet forfaitaire. Ayant vécu à l’écart de Hollywood depuis des années, elle ne savait pas que les vedettes fondaient leurs propres sociétés et exigeaient « une part du gâteau – la plus grosse part ». »

Peu de temps après le début du tournage, Capra subit une attaque de céphalalgie. Afin que la nouvelle ne s’ébruite pas et qu’il puisse finir son film, il subit des piqûres qui le transforment en zombie. Malgré tous ces contretemps, l’avant-première est un grand succès. Les deux projections suivantes confirment que le film semble sur le point de devenir le succès de 1961. Il sort alors dans six cents salles à travers les Etats-Unis…et fait un bide.

« En quatre décennies de cinéma, (…) aucun de mes films n’avaient été rejeté par le public. Deux d’entre eux seulement avaient été des échecs sur le plan commercial…  Pendant quarante ans, il y avait eu quelque chose entre les gens et moi. C’était en cela que résidait mon secret, ma force, mon crédo, mon rêve… Non, il ne fallait chercher les raisons de cet échec ni dans un lancement inepte, ni dans une erreur de marketing. Pour moi, la raison de cet échec était profondément personnelle, profondément morale. Aucun homme doté du pouvoir immense de parler à des centaines de millions de ses semblables pendant deux heures, dans le noir, ne devrait parler avec une langue fourche. Ce qu’il dit doit venir de son cœur, pas de son portefeuille. »

C’est ainsi que Frank Capra se retire du monde du cinéma. Il publie son autobiographie en 1971 et en 1982, il est la dixième personnalité et le cinquième réalisateur à recevoir le Life Achievement Award de l’American Film Institut. C’est le 3 septembre 1991 que Frank Capra s’éteint paisiblement dans son sommeil, nous laissant un formidable héritage cinématographique.

Sources:

F. CAPRA, Hollywood Story, 1971

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