A l’instar de son ami Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle a vécu une longue carrière de second rôle, notamment chez Philippe de Broca (Un Monsieur de Compagnie, Le Diable par la Queue, Les Caprices de Marie) avant de peu à peu s’imposer comme premier rôle dans les années 70. Rapidement, il est devenu l’archétype du Français moyen, souvent macho, franchouillard, truculent et franchissant parfois la limite de la vulgarité. Les Galettes de Pont-Aven, véritable film culte, montre le mieux cette image à laquelle il est souvent associé, même s’il faut avouer que ce n’est pas vraiment son meilleur film de l’époque. C’est en fait lorsque l’acteur montre une certaine fragilité derrière sa gouaille virile qu’il est le plus intéressant, comme dans La Valise de George Lautner ou Que la Fête commence de Bertrand Tavernier. C’est également ce type de personnage qu’il interprètera dans Cause toujours… Tu m’intéresses! d’Edouard Molinaro.
On le sait, si Molinaro a réalisé une série de comédies divertissantes (parmi ses plus gros succès, signalons Oscar et L’Emmerdeur), son principal talent est surtout d’avoir réussi à s’entourer de gens plus talentueux que lui. Que ce soit pour le scénario (Francis Veber ou des adaptations de pièces à succès - Oscar, Le Souper, La Cage aux Folles) ou pour l’interprétation (Louis de Funès, Claude Rich, Fabrice Luchini, Lino Ventura, Jean-Pierre Cassel… et Annie Girardot et Jean-Pierre Marielle). De ce fait, Cause toujours… Tu m’intéresses! n’est pas le grand film qu’il aurait pu être dirigé par un grand réalisateur de comédie, mais Molinaro a malgré tout suffisamment de bouteille pour réaliser un film correcte. Le très bon scénario de Francis Veber ainsi que l’interprétation de ses comédiens (Girardot et Marielle, mais aussi Jacques François) feront le reste, c’est à dire une comédie douce-amère qui reste très agréable à regarder.
Le postulat de base trouvé par Veber est en plus plutôt original. Marielle y incarne François Perrin (devenant le troisième acteur après Pierre Richard et Patrick Dewaere à adopter ce nom qui est devenu une signature du scénariste), un journaliste responsable des informations sur RTL. Son travail ne lui apporte aucune satisfaction et, depuis qu’il a divorcé de sa femme, il se sent particulièrement seul et s’emmerde. Seul son voisin de palier lui apporte un semblant de distraction. Quant à ses tentatives d’approcher les femmes, elles se soldent par des échecs. Comme le constatera assez justement le personnage, « dès qu’elles sentent qu’on a besoin d’elle, ça les fait fuir. » Un soir, déprimé, il décide d’appeler au hasard un numéro. C’est chez Christine, une pharmacienne, que le téléphone se met à sonner. La vie de Christine n’est pas plus glorieuse que celle de François. Dotée d’une personnalité affirmée, elle sert de soutien à ses proches sans prendre le temps de s’occuper de ses problèmes. Cet appel lui apporte une distraction bienvenue, mais lorsque François rappelle le lendemain, Christine est nettement moins accueillante. Afin de ne pas passer pour ce qu’il est - et qu’on l’accuse d’être -, un homme seul cherchant désespérément à qui parler, François prétend être Thibault, un journaliste et écrivain baroudeur. Christine tombe dans le panneaux, moins par naïveté que parce qu’elle trouve là enfin la part de frisson qui manquait à sa vie.
Cette relation téléphonique semble convenir à chacun des deux des protagonistes mais Daniel, le collègue de Christine, soupçonnant qu’il s’agit d’un imposteur, lui propose de demander une rencontre. Si François accepte, la perspective de décevoir le fait se dégonfler au dernier moment, allant sur le lieu du rendez-vous incognito et faisant échouer un quiproquo qui aurait pu lui empêcher toute chance d’avoir Christine. Christine va trouver François sympathique mais bien terne par rapport à Thibault, l’inconnu du téléphone. François cependant ne lâche pas prise et va essayer petit à petit de séduire Christine sous son véritable visage jusqu’à, sans autre solution, avouer à Christine que Thibault n’est qu’un personnage fantasmé.
Marielle et Girardot avaient déjà joué un couple d’âge mûr essayant de recommencer une histoire d’amour dans le très agréable Cours après moi que je t’attrape trois ans avant. Si on retrouve forcément une ambiance similaire du fait d’une thématique proche et de la présence du même duo, le scénario de Francis Veber est plus désabusé que celui plus rocambolesque de Nicole de Buron. De même, alors que le second partait de manière assez banale (une rencontre par petites annonces), ici la relation croissante entre les deux protagonistes se fait pendant une bonne partie à distance et d’une manière assez peu conventionnelle. Ainsi, pendant la majorité du film nous suivons la vie de Christine et François chacun de leur côté, découvrant pourquoi cette relation leur est nécessaire et comment petit à petit une discussion anodine pour tromper la solitude va mener vers une vraie relation téléphonique. De ce fait, Cause toujours… Tu m’intéresses! est davantage un film devant lequel on sourit qu’on ne s’esclaffe, malgré quelques séquences plus burlesques. Le spectateur à la recherche d’une comédie désopilante en sera donc pour ses frais: ce n’est pas ce qui est recherché ici.
Annie Girardot, alors actrice la plus populaire du cinéma français, joue ici une variation d’un personnage qu’elle connait bien. Celui d’une femme indépendante mais qui, arrivant à âge mûr, se rend compte qu’elle éprouve un manque affectif. Ce type de rôle, l’actrice l‘a interprété dans bon nombre de ses comédies des années 70 (La Vieille Fille, Tendre Poulet…) et il n’est donc pas surprenant de la trouver tellement à sa place. On ne peut cependant que reconnaître son talent incroyable, comme dans ce moment à l’opéra où elle arrive à mélanger rire et larmes sans qu’on n’arrive à savoir quelle émotion domine chez elle. Et le tout avec une sobriété qui force l’admiration. Dans l’imaginaire collectif, on aurait plutôt pensé à Philippe Noiret pour ce rôle de pauvre type qu’au truculent Jean-Pierre Marielle. Mais, on l’a dit plus haut, Marielle n’est jamais aussi bon que lorsqu’il montre ses faiblesses et au final, le personnage de François Perrin lui va comme un gant. Un petit clin d’oeil est d’ailleurs fait lorsqu’à ses deux acteurs qui se connaissent depuis le conservatoire se joint un troisième camarade de promo, Pierre Vernier pour une scène de quiproquo qui est probablement le tournant du film. Signalons également Jacques François qui, quelques années avant Le Père Noël est une Ordure incarnait donc déjà un rôle de pharmacien. Mais il est ici bien plus sensible et subtile dans ce rôle de gentil protecteur de Christine, vis-à-vis de qui il entretient une tendresse amoureuse en dépit de son homosexualité.
Les amateurs des films du Splendid auront d’ailleurs le plaisir de découvrir Michel Blanc en policier zélé et Dominique Lavanant en ex-femme de Marielle. Dommage en revanche que cette dernière soit aussi peu présente, au point qu’on se demande même à quoi sert la présentation de son personnage vu qu’il n’apparaîtra plus par la suite. Gageons que quelques scènes ont été coupées au montage… S’il y a un reproche à faire au scénario de Francis Veber, ce serait celui-là: le film est un peu court et certains personnages (l’ex-femme mais aussi le vrai reporteur Georges Julienne - incarné par Christian Marquand) sont sous-exploités. De même le film se finit un peu vite, on aurait bien aimé en voir un peu plus de ce qui advenait de François et Christine une fois l’imposture dévoilée. Un happy-end un peu facile donc, mais qui ne nuit pas non plus au film, il ne faudrait rien exagérer. Terminons la galerie des seconds rôles en mentionnant le personnage de Monsieur M’Ba, le gentil mais un peu encombrant voisin de François Perrin. Il est l’occasion de voir un personnage noir, chose assez peu fréquente dans le cinéma français d’alors. Certains esprits chagrins investis d’une mission divine déploreront certainement une vision raciste du personnage du fait de ses tiques verbaux et sa grande naïveté. Quand on veut voir le mal partout, on arrive toujours à le trouver… Le personnage est avant tout touchant et positif. Et la caricature n’est pas plus affirmée que pour les personnages blancs.
Cause toujours… Tu m’intéresses! n’est pas le meilleur film de la carrière de Marielle et Girardot. Mais, alors qu’ils ont à présent tous deux disparus, il mérite d’être revu d’autant que, malgré ses imperfections dues à une réalisation un peu terme, il présente une histoire assez originale qui est loin d’avoir vieilli. A l’heure où les réseaux sociaux permettent encore plus de se créer une fausse identité ou une image de soi fantasmée, à une époque où il est possible de briser sa solitude par le biais de la technologie, Cause toujours… Tu m’intéresses! nous semble donc plus actuel qu’on aurait pu le penser…
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