Devant l’énorme succès de Batman, la Warner presse Tim Burton de lui donner une suite. Mais le réalisateur s’interroge. A-t-il encore quelque chose à dire sur Batman ? A-t-il envie de retrouver cet univers si vite ? A la place, il se lance dans une grande oeuvre personnelle, Edward aux mains d’argent. Evidemment, le succès de ce film donne encore plus envie à la Warner d’avoir un deuxième Batman dirigé par Burton. Entre temps, un scénario a déjà été élaboré, mettant en scène le Pingouin et Catwoman. Afin de décider le réalisateur, Warner lui déclare qu’il aura toutes les libertés d’exploiter les choses comme ça lui chante. Convaincu, Burton accepte. La première chose qu’il fait est de mettre le scénario déjà écrit à la poubelle. Cette histoire du Pingouin et Catwoman courant après un trésor ne lui semblant pas très intéressante. Il en garde cependant les antagonistes. Si le personnage du Pingouin ne l’inspire pas à priori (un petit homme en smoking, haut-de-forme et fume-cigarette), il décide de voir jusqu’où il peut aller avec sans le trahir. Le résultat sera un personnage totalement burtonien et fascinant. Un monstre physique devenu monstrueux par ses actes, un reclus de la société auquel sa différence ne peut lui permettre de s’adapter. En fait, le Pingouin est un peu la face sombre de celui d’Edward dans le film précédent du réalisateur. Son autre souhait est de sortir Catwoman du stéréotype habituelle de la bombe aux gros seins dans un costume de cuir. Ainsi, Selina Kyle devient une secrétaire se débattant dans un monde d’hommes et qui, après avoir été défenestrée par son patron, va devenir une figure vengeresse (quoique d’un style assez particulier) de la cause des femmes, surtout la sienne. Bref, le Pingouin et Catwoman en devienne sous le traitement de Burton bien plus névrosés et riches que dans leur version comics.
La difficulté va être de trouver quelle est la motivation du Pingouin. Le Joker voulait terroriser pour s’amuser, Catwoman a des envies de revanches, mais le Pingouin ? Ainsi naît l’idée d’Oswald Cobblepot (le vrai nom du personnage) comme l’anti-Bruce Wayne. Lui aussi est donc née dans une des plus riches familles de Gotham, mais alors que les parents Wayne ont été arrachés à leur fils, les parents Cobblepot l’on arraché à eux. Parce qu’il était difforme et hideux mais aussi (sans doute pour justifier leur crime aux yeux des spectateurs) parce qu’il avait déjà, à un an, un goût prononcé pour la violence. Détail amusant, il fut pensé que Burguess Meredith (qui avait joué le rôle du Pingouin dans la série) pourrait faire une apparition dans le rôle du père Cobblepot, mais l’acteur, trop malade, dû décliner. Lorsque le Pingouin « retrouve » (ou plutôt, comme le pense Batman, fait semblant de retrouver) sa véritable identité, ses parents sont tous les deux déjà décédés, laissant entendre qu’il s’est vengé d’eux. Car en effet, le moteur du Pingouin sera aussi la vengeance. Vengeance envers les familles riches de Gotham et surtout leurs héritiers qui devraient connaître ce dont il a été privé.
Au départ l’intrigue familiale du Pingouin devait encore être compliquée puisque le personnage du magnat qui allait devenir Max Shreck devait être le frère cadet Cobblepot. Finalement, il deviendra un self-made man arriviste, montrant encore la haute estime dans laquelle Tim Burton tenait le ‘rêve américain’. Car en effet Max Shreck semble être le vrai méchant de l’histoire. C’est lui qui fait de Selina Kyle-Catwoman ce qu’elle est. C’est lui qui donne au Pingouin la possibilité de réaliser ses plans car il pense pouvoir le manipuler (ce qui dans un premier temps est vrai). Tout ça pour arriver à ses fins dans ses affaires (pas tout à fait légales). Autre message typiquement burtonien: le vrai monstre n’est pas toujours celui qui en a l’aspect. Tel le portrait de Dorian Gray, Shreck a l’air d’être blanc comme neige et surtout fait plus jeune que son âge. La vision de son squelette calciné à la fin du film le montrera dans toute son horreur.
Si le Pingouin pouvait être l’anti-Bruce Wayne, Catwoman semble être l’anti-Batman. Comme lui, suite à un traumatisme elle choisit un avatar animal pour exprimer sa personnalité vengeresse. Mais alors que Batman a décidé de tout faire pour éviter que quelqu’un vive ce qu’il a vécu, Catwoman a comme premier objectif de se venger de Shreck qui l’a défenestrée. Deuxième objectif: supprimer Batman qui l’a empêchée de réaliser ses plans et de s’épanouir pleinement dans sa nouvelle personnalité. Entre les deux, elle sauve bien une femme d’un viol, mais ne peut s’empêcher de réprimander cette femme qui ne fait rien pour sortir du stéréotype de ‘demoiselle en détresse’. Plus de vingt ans avant que le cinéma, les médias et les réseaux sociaux nous assène un féminisme sans cervelle et sans nuance, Catwoman mène la danse dans ce monde d’homme. Ni la puissance économique de Shreck, ni les crimes du Pingouin, ni la droiture de Batman ne parvienne à la faire dévier de sa route. Tout au plus consent-elle à épargner Batman lorsqu’il a compris qu’il était Bruce Wayne, l’homme dont elle était tombée amoureuse. Burton joue de sa fascination avec les soi-disant neuf vies des chats pour montrer à quel point Catwoman est tenace et résistante.
Bref, Burton et ses scénaristes ont soigné leurs antagonistes, sachant parfaitement que pour qu’une histoire de superhéros soit réussie, il faut un vilain à la hauteur. Le casting est donc primordial pour donner vie à tous ces personnages. Danny DeVito s’inscrit dès le départ comme le choix évident pour le rôle du Pingouin. Il en avait les caractéristiques physiques (petit et rondouillard) qui rendait les candidats peu nombreux. Habitué des premiers rôles dans des comédies stupides ou des seconds rôles dans des films de prestige, DeVito va trouver là son meilleur rôle. Son interprétation arrive à rendre le personnage à la fois drôle et terrifiant et, malgré les kilos de maquillages et de prothèses, on croit sans problème que le personnage est réel (chapeau aux artistes maquilleurs qui ont réussi l’exploit !). Pour Max Shreck, ce sera Christopher Walken qui sera choisi. Son visage lisse et jeune le rend parfait pour ce rôle de Dorian Gray et de plus, il avait prouvé dans A View To A Kill, dernier James Bond avec Roger Moore, qu’il était parfaitement crédible en méchant. Tout comme DeVito, il se révélera un parfait interprète pour ce personnage cent pour cent burtonien. Le casting de Catwoman fut plus épique. Initialement c’était Annette Bening qui avait obtenu le rôle, mais celle-ci tomba enceinte ce qui rendit sa présence dans le film problématique. La majeure partie des actrices de l’époque firent alors une campagne acharnée pour la remplacer dont Michelle Pfeiffer sortit vainqueur. Son physique, opposée à l’image retenue jusqu’ici de Catwoman (une brune pulpeuse), ne pouvait que satisfaire la volonté de Burton de sortir du stéréotype. L’actrice travailla d’arche pied pour être capable de pouvoir manier le fouet et le sport de combat aussi bien que Catwoman. Encore aujourd’hui, l’actrice reste la meilleure interprète du rôle en dépit des efforts de Halle Berry et Anne Hathaway pour la détrôner. Curieusement, alors que les trois acteurs semblaient parfaitement convenir à l’univers de Tim Burton, DeVito n’eut qu’un petit rôle dans Big Fish (il sera cependant plus important dans Dumbo), Walken ne fit qu’une courte apparition dans Sleepy Hollow et Pfeiffer dû atteindre vingt ans et Dark Shadows.
Convaincre Michael Keaton de revenir demanda également un peu de persuasion de la part de la Warner, l’acteur ne sachant pas s’il avait vraiment envie de jouer deux fois le même personnage. Plutôt que de devenir une caricature de ce qu’il avait proposé pour le film précédent (où il interprétait un Bruce Wayne étrange et apparemment distrait), il décida de reprendre les choses à zéro. Si l’on reconnait bien qu’il s’agit du même personnage, il est ici plus sombre et moins dans la lune. Comme si la lutte avec le Joker avait laissé des traces. Michael Gough reprend avec délice le personnage d’Alfred et Pat Hingle celui du commissaire Gordon, même si le rôle de ce dernier est presque devenu de la figuration. Ils seront les seuls personnages présents du premier film. Bruce Wayne a rompu avec Vicky Vale (laissant le champ libre pour Selina) et de ce fait le personnage de son acolyte, le sympathique reporter Alexandre Knox n’a plus de raison d’être. Il fut un temps envisagé de garder Harvey Dent (incarné par Billy Dee Williams dans le premier film) et de montrer les prémices qui allaient le faire basculer vers Double-Face. Mais finalement, Burton et ses scénaristes considérèrent à raison qu’il y avait déjà trop de personnages. Pour cette même raison ils décidèrent de rejeter la volonté de la Warner de voir arriver Robin, se disant qu’ils y auraient toujours le temps de le faire apparaître dans un hypothétique troisième film (ce qui fut le cas).
Le tournage fut un des secrets les mieux gardés de Hollywood. Même une vedette du calibre de Kevin Costner ne réussit à être acceptée sur le plateau. Contrairement au premier film, les décors extérieurs de Gotham, principalement la place principale, n’arrivent pas à enlever leur caractère de décors de studio. Non que cela ne confère pas un certain charme au film, mais que cela contribue également à donner à celui-ci une ambiance différente du premier. Plus fantastique, comme un cauchemar d’enfant. Les enfants, justement. De nombreux parents déplorèrent que le film était trop sombre, trop terrifiant pour leur progéniture (comment oublier le Pingouin se jetant sur Batman, la vision du même Pingouin émergeant du bassin du Zoo, le squelette calciné de Max Shreck, sans compter les nombreuses allusions sexuelles…). Batman Returns était pourtant interdit au moins de treize ans, preuve de l’imbécilité de certains parents, pensant que parce qu’il s’agissait de superhéros le film était pour enfants. Cette accusation de film trop sombre fit bien rire Tim Burton qui déclara que si la moitié des spectateurs le trouvaient plus sombres que le précédent, d’autres au contraire le trouvaient plus léger. Comment expliquer ça ? Eh bien tout simplement parce que Batman Returns possède davantage la patte de Tim Burton que Batman. Ainsi, le film de 1989 était plus établi dans une certaines réalité tout en répondant aux codes des Comics. L’ambiance était plus poisseuse, plus dure mais aussi plus ‘normale’. Batman Returns, on l’a dit, va plutôt voir du côté du conte. Le climat est plus sombre, plus malsain mais en même temps moins ‘vrai’. Ainsi, les uns se sont plutôt laissé prendre par l’aspect plus ‘réel’ du premier, les autres par l’aspect cauchemardesque du second.
Grand succès, Batman Returns ne fut cependant pas aussi lucratif qu’espéré. La vision de Burton était sans doute trop personnelle pour un film de superhéros, pas assez optimiste. Aussi, alors que le réalisateur cette fois semblait motivé à réaliser un troisième, la Warner refusa poliment au motif de « tu es un grand réalisateur, il est temps que tu te consacres à tes projets personnels ». Bien entendu, personne ne fut dupe. Pourtant, avec le recule, Batman Returns pourrait bien être considéré comme le meilleur film réalisé avec l’homme chauve-souris. Parce qu’il est la rencontre entre l’univers très caractéristique d’un réalisateur et un mythe du XXème siècle. Parce qu’il est celui qui est le plus emprunt d’humanité (on plaint sincèrement le Pingouin et Catwoman). Parce qu’il évite les clichés trop manichéens tout en apportant quelques prises de positions intéressantes sans qu’elles atténuent le divertissement. Parce que la direction artistique est remarquable et a plutôt bien vieilli. Et parce que le film a été servi par un casting sans faute. Bref, il n’y a que de bonnes raisons pour revoir ce Batman Returns. Pour la suite, ce sera plus, voire beaucoup plus, nuancé.
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