Whitesnake - Slip Of The Tongue (1989)

Après le succès de la tournée de 1987-1988, Whitesnake se sépare de Vivian Campbell. Adrian Vandenberg, peu à l'aise avec le format à deux guitaristes, avait suggéré à David Coverdale de n'en garder qu'un. Le chanteur choisira le Hollandais pour plusieurs raisons. Tout d'abord le courant passe très bien entre eux, ensuite Vandenberg est un compositeur accompli, contrairement à Campbell, mais surtout les Mrs Coverdale et Campbell de l'époque se détestent prodigieusement ce qui donné lieu à plusieurs scènes pour le moins pénibles. Ce sont donc les seuls Coverdale et Vandenberg qui composeront le successeur tant attendu du glorieux 1987. Mais alors que le groupe va entrer en studio, il subit un nouveau coup du sort. Adrian Vandenberg est frappé d'une grave inflammation du bras qui le rend incapable de jouer. On patiente mais la situation ne s'arrange pas. Geffen, qui veut à tout prix battre le fer pendant qu'il est chaud afin que le public ne se désintéresse pas du groupe, presse Coverdale de trouver quelqu'un pour enregistrer les parties de guitares. Rappeler Vivian Campbell semble hors propos et le choix du chanteur se porte sur Steve Vai, dont la performance dans le film Crossroads l'avait impressionné.

Un choix judicieux sur le plan marketing mais pas sur le plan musical. Si Vai est le guitariste le plus chaud du moment, son style n'a rien à voir avec celui de Whitesnake. Curieusement le guitariste, qui vient de quitter le groupe de David Lee Roth pour se consacrer à sa carrière solo, accepte la proposition. La raison est en fait assez simple. Steve Vai ne sait pas trop comment promouvoir son album Passion & Warfare et est anxieux à l’idée de faire une tournée purement instrumentale. Du coup l’idée de jouer au sein d'un groupe du calibre de Whitesnake et de partager la scène avec David Coverdale le séduit assez. Il obtiendra alors, en plus d’un cachet fumeux, de jouer des extraits de son album durant la tournée en échange de son intégration dans le groupe. Vai dira avoir décoré les morceaux qu’il avait reçu comme un sapin de Noël. La comparaison est bonne, les morceaux sont davantage décorés par ses multiples parties de guitares qu’interprétées avec le groove et la simplicité qu’ils auraient dû avoir. C’est un peu comme si Versailles avait été redécoré avec de l’art contemporain: le résultat n’est pas nécessairement inintéressant, mais on sent que ça n’a pas été prévu pour. C’est particulièrement évident sur « Slow Poke Music », titre dont le riff principal est sans cesse noyé par une succession d’interventions dans le pur style Vai. Les fans du guitariste adoreront, les fans de Whitesnake regretteront de ne pas avoir eu la version de Vandenberg.

Si l’on excepte l’overplaying de Vai, Slip Of The Tongue propose un résumé de ce que Whitesnake a sorti sur ses deux albums précédents. Il y a des titres très Heavy (« Slip Of The Tongue » et « Wings Of The Storm ») sur lesquels Vai est probablement le plus à sa place, des titres Sleaze Rock (« Kittens Got Claws » et « Cheap An’ Nasty »), des titres FM (« Now You’re Gone » et « Fool For Your Loving »), une ballade AOR (« The Deeper The Love ») et deux titres Hard Rock à la Led Zeppelin (« Judgement Day » et « Slow Poke Music »). Petite nouveauté, « Sailing Ships », une ballade acoustique typiquement dans le style Vandenberg (malgré une fin plus délurée). Parmi ceux-ci, on ne peut considérer aucun comme des titres faibles, chacun aura sa préférence selon ses goûts personnels. « Judgement Day » et son riff orientalisant qui n’est pas sans rappeler un « Kashmir » mais gonflé à bloc, est probablement le meilleur titre de l’album. C’est d’ailleurs le seul extrait toujours joué en concert. Cela dit, « Wings Of Storm » est un titre qui devrait également dépoter en live (de même que « Sweet Lady Luck » une excellente face B de l’époque malheureusement omise de l’album).

Si l’album fut disque de platine, les ventes furent très inférieures à celles de 1987. Si certains ont imputé celles-ci à Steve Vai qui avait dénaturé le groupe, ce serait assez injuste d’autant que le guitariste a fait du mieux qu’il pouvait (c’est juste une erreur de casting, un peu comme quand Brando jouait chez Chaplin). Il est vrai que le style du guitariste, à l’opposé même du Blues, avait sans doute aliéné encore plus de fans de la première heure. Mais la vrai problème est probablement ailleurs: l’album manque de titres qui auraient pu séduire le grand public comme ça avait été le cas pour « Here I Go Again » et « Is This Love ». Geffen avait pourtant poussé le groupe à réenregister « Fool For Your Loving » dans l’espoir de réitérer le carton de « Here I Go Again », autre titre de la première période du groupe, mais ils avaient négligé un détail: « Fool For Your Living » est un titre Hard Rock. De ce fait il ne pouvait pas toucher un aussi large public que « Here I Go Again », titre déjà plus ‘Pop’ à la base. « The Deeper The Love » aurait pu être le titre qui aurait amené le grand public (d’est d’ailleurs celui à être monté le plus haut dans les charts), mais il lui manque un je ne sais quoi pour y arriver. Peut-être est-il trop produit ou bien est-ce le refrain qui est un peu trop sage. Celui-ci en effet se murmure gentiment là où « Is This Love » et « Here I Go Again » se hurlaient à plein poumons.

Encore une fois, on ne peut malgré tout nier la qualité globale des titres qui n’est pas loin de celle de 1987. C’est juste que la production et le jeu de Steve Vai ne les mets pas en valeur de la manière qui leur aurait le mieux convenu. Et si nous le regrettons, imaginons à quel point cela a dû être dur pour Adrian Vandenberg de voir un autre guitariste enregistrer différemment certaines des meilleures compositions de sa carrière. C’est d’autant plus rageant que les soucis de santé du guitariste se rétablirent à temps pour pouvoir participer à la tournée. Geffen aurait eu la patience d’attendre quelques mois, les choses auraient pu être bien autres. Aujourd’hui, Slip Of The Tongue reste un album un peu particulier dans la carrière de Whitesnake. Et si on peut lui reprocher un côté trop produit et trop décoré, on ne peut lui nier un certain charme. 

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