1987 - Ishtar, l'histoire d'un grand film malade


Ishtar. Pour les passionnés d’histoire, c’est le nom de la terrible déesse de l’amour mésopotamienne. Pour beaucoup d’américains, c’est l’un des pires films de l’histoire du cinéma. Pourtant, quand on creuse un petit peu, on se rend compte que beaucoup n’ont pas vu le film en question et se basent surtout sur la réputation noire qu’il traine depuis son tournage au milieu des années 80. Pire, certains détraqueurs ont même changé d’avis après l’avoir vu. A ce stade vous vous demandez sans doute c’est qu’est Ishtar. Il est vrai que le film est quasiment inconnu ici. Il s’agit d’un film de 1987 mettant en scène rien de moins que Dustin Hoffman et Warren Beatty (soit deux des plus grandes vedettes de l’histoire du cinéma) dans des rôles de mauvais compositeurs/interprètes en prise avec un conflit au Moyen-Orient. Sur le papier, cela ressemble en effet à ce qui pourrait être un navet colossal. Ce genre de films dont le scénario part dans tous les sens tandis que le budget s’envole. Et on peut se demander ce que diable Hoffman et Beatty étaient-ils allés faire dans cette galère.

En fait c’est Warren Beatty lui-même qui est à l’origine du projet. L’acteur-réalisateur-producteur a connu un triomphe sans précédent avec Reds en 1982. De ce fait il se sent redevable auprès de la scénariste Elaine May qui avait retravaillé le scénario sans être créditée. Il veut donc lui renvoyer l’ascenseur en lui proposant d’écrire et de réaliser le projet de son choix qu’il produira et, éventuellement, interprétera. Le nom d’Elaine May ne sonnera sans doute pas très familier pour vous. Pourtant elle connu son heure de gloire aux Etats-Unis. Tout d’abord lors d’un duo comique très en vue avec Mike Nichols (oui, oui, le réalisateur du Lauréat et de Qui a peur de Virginia Woolf) entre la fin des années 50 et le début des années 60. Puis, lorsque Nichols se retira pour se consacrer à la mise en scène, elle devint scénariste et occasionnellement réalisatrice. Ses talents d’auteur lui permirent d’être nommée à l’Oscar et d’être souvent appelée comme « docteur de scénarios ». Mais un grand succès comme réalisatrice lui manque encore. C’est ce que Beatty compte lui offrir.

May a comme idée de faire un film en hommage à la série On The Road To… Une série de films  des années 40 mettant en scène le chanteur Bing Crosby et l’humoriste Bob Hope dans des paysages exotiques. Ceux-ci servaient de prétexte pour offrir des parodies des films exotiques en carton pâte produits par les studios à l’époque. L’idée séduit Beatty qui comme tous les Américains de sa génération a grandi en voyant ces films. Pour jouer l’autre rôle du duo, Beatty et May pensent à Dustin Hoffman. L’acteur, qui a également une dette envers la scénariste qui a joué la « docteur de scénario » sur Tootsie, accepte. Isabelle Adjani, alors en couple avec Warren Beatty, est engagée pour le premier rôle féminin. Columbia accepte de produire ce qui pourrait s’avérer un grand succès, malgré quelques craintes de voir le budget s’envoler à cause de perfectionnisme de la réalisatrice et de ses deux vedettes. Et malheureusement les appréhensions de Columbia se retrouveront fondées.

Alors que la Columbia prévoyait un tournage en Amérique, Coca Cola, alors l’un des principaux actionnaires du studio, obtiendra que les extérieurs soient véritablement tournés au Maroc pour satisfaire des arrangements financiers personnels. Rapidement le budget grimpe. Les locaux ne sont pas habitué aux grosses productions hollywoodiennes et chaque chose prend plus de temps, et donc d’argent, qu’il ne l’aurait fallu aux Etats-Unis. Qui plus est, Elaine May supporte mal le climat, ce qui la rend irascible. Les confrontations entre la réalisatrice et les membres de l’équipe technique sont fréquents tout comme avec Beatty et Adjani. La Columbia presse alors Beatty, qui est producteur, de virer la réalisatrice et de terminer le film lui-même. Mais l’acteur ne peut se résoudre à le faire. D’une part, il fait ce film en partie en faveur pour Elaine May, d’autre part il craint que virer celle-ci lui fasse une mauvaise presse auprès des féministes. Le tournage continue donc et les coûts continuent de grimper.


Lorsque l’équipe retourne aux Etats-Unis, ils ont tourné bien plus de matériel que nécessaire. Cela ne s’arrange pas lorsque Beatty, qui doute à présent des capacités de May à pouvoir diriger un film, obtient que les scènes soient tournées deux fois, une fois de sont point de vue, une fois du point de vue de May. Pour compliquer les choses, Columbia engage comme chef de la production des studios David Puttnam, qui hait aussi bien Dustin Hoffman que Warren Beatty. Celui-ci, tout en faisant mine de ne pas interférer dans la post-production, laisse entendre que le film sera un désastre et enclenche ainsi une campagne anti-Ishtar aussi subtile que dévastatrice. D’autant que le coût du film continue à monter et que les relations entre Beatty et May se détériorent de plus en plus. La date de la sortie est repoussée à 1987 et pour la presse spécialisée, Ishtar est amené à provoquer le naufrage de la Columbia, comme Les Portes du Paradis de Michael Cimino avait provoqué la faillite de la United Artists. La presse, qui n’aime rien tant que de voir chuter les idoles, en rajoute évidemment une couche d’autant que aussi bien Dustin Hoffman que Warren Beatty ont une ration conflictuelle avec les critiques de cinéma. A la sortie du film, les critiques les plus influents se montrent particulièrement véhéments. Conséquence, le public qui n’entendait que du négatif au sujet du film et probablement déjà dubitatif du fait du sujet ne se précipitera pas pour le voir. Il devient donc impossible de rattraper le budget conséquent et Ishtar se retrouve catalogué comme un des plus gros flop du cinéma américain. En conséquence, Coca Cola abandonnera ses parts de Columbia qui seront rachetées par Sony, mettant ainsi le premier pas de la conquête du studio par la multinationale japonaise.

Pourtant l’histoire à prouvé que les plus gros flops au cinéma n’étaient pas nécessairement dus à la qualité du film. Aujourd’hui, Ishtar possède une petite communauté qui défend le film malgré sa réputation qui ne semblent pas le lâcher. De même tant Warren Beatty que Dustin Hoffman ont continués à soutenir celui-ci malgré la tache qu’il représente dans leur carrière (le statut de Beatty, jadis Roi de Hollywood, ne sera d’ailleurs jamais plus le même après). Alors Ishtar, film incompris et/ou saboté par une campagne négative ou au contraire l’un des pires films de l’histoire du cinéma ? Et bien, à dire vrai la vérité est un peu entre les deux. Face à d’autres films des années 80 qui présentent malgré tout son lot de comédies pas drôles, de films d’amour sans saveurs et de blockbusters d’action sans histoire, il est d’assez mauvaise fois de considérer Ishtar comme un des plus mauvais films de l’histoire voir même des années 80. On est loin, très loin même, du pire des années 80. Cependant le film est indiscutablement imparfait et certainement en deçà des attentes pour un film réunissant Hoffman et Beatty à l’époque. Rappelons quand même que les deux vedettes viennent de tourner certains de leurs meilleurs films. Les deux films précédents de Hoffman sont Kramer contre Kramer et Tootsie. Les deux films précédents de Beatty sont Le Ciel peut attendre et Reds. Dans les deux cas il s’agit d’un film qui les a récompensé aux Oscars (Kramer contre Kramer et Reds) et d’une comédie unanimement saluée (Tootsie et Le Ciel peut attendre). Ishtar n’est ni un grand film de prestige ni une excellente comédie. De ce fait, il ne pouvait que décevoir.

Pourtant, Ishtar n’était pas loin d’appartenir à la seconde catégorie. Il y échappa à cause de mauvais choix du scénario. Le point faible de celui-ci est en effet sa mauvaise jonction entre les deux postulats de base. D’une part deux auteurs-interprètes miteux qui essayent de percer, de l’autre un parchemin convoité aussi bien par la CIA que par des révolutionnaires. Mettre des personnages qui n’ont rien demandé au centre d’une intrigue violente est bien évidemment la base d’une comédie d’action. Cependant, Ishtar ne s’aventure jamais vraiment dans la comédie d’action comme c’était le cas des Aventuriers de l’Arche perdu ou de La Poursuite du Diamant vert. Elaine May est une comédienne et scénariste de comédie. Elle n’est pas à l’aise avec l’action et cela se sent. Son intérêt est ailleurs, dans le duo central. Mais du coup, ce manque d’intérêt pour l’action rend celle-ci presque extérieur au film au point qu’on se demande ce qu’elle vient faire là.


De l’avis général, la première partie est la plus réussie. C’est celle qui présente le duo Chuck Clarke - Lyle Rogers (alias Hoffman et Beatty), deux artistes vieillissants qui essayent désespérément de se faire une place au soleil. L’un comme l’autre sont mauvais séparément. Pourtant, lorsqu’ils font connaissance, une admiration mutuelle nait. Il y a quelque chose de touchant de les voir s’évertuer à écrire LE tube qui les sortira de l’anonymat, de s’encourager l’un l’autre et de croire en eux. Quelque chose qui ne pourra que parler à tout aspirant artiste. Difficile de ne pas rire lorsqu’on entend le résultat. Que ce soit les paroles maladroites, les prestations gênantes ou tout simplement le look. Il y a quelque chose d’à la fois ridicule et pathétique chez eux. Et même leurs reprises de standards sont désastreuses. La difficulté pour certaines personnes du public du film a sans doute été de différencier que tout ceci est mauvais parce que ce sont les personnages qui sont des ratés et d’accepter que Dustin Hoffman et Warren Beatty pouvaient être ridicules et sans talent. Bref, une lecture au second degré est obligatoire, puisque c’est par ce prisme là que cette partie du film a été tourné. A lire certains commentaires sur internet, certains ne semblent pas encore avoir compris la différence entre intentionnellement et non-intentionnellement mauvais. Le film parle de ratés et montre donc de ce fait des choses ratées.

A ce jeu, Dustin Hoffman et Warren Beatty se donnent à coeur joie. Qui plus est, contre toute attente, l’alchimie entre les deux comédiens est réelle et aussi réussie que celle qu’il pouvait y avoir entre Robert Redford et Paul Newman ou Dean Martin et Jerry Lewis. L’une des grandes réussites est d’ailleurs d’avoir distribué les rôles à contre emploie. Ainsi, c’est Dustin Hoffmann qui joue le rôle de l’homme sûr de lui et Warren Beatty qui est le maladroit coincé et naïf. Et il faut dire que dans ce rôle, Beatty est excellent. L’acteur y casse son image de beau-gosse séducteur et montre une facette de son talent d’acteur qu’on ne lui connaissait pas et que malheureusement on ne verra jamais plus. Le dialogue accompagne d’ailleurs merveilleusement les mésaventures de nos anti-héros à New York et on pourrait faire une longue liste des répliques bien sentie. Mais lorsque les aspirations des deux hommes ont à la fois fait fuir leur femme et usé jusqu’à la corde la persévérance de leur agent, il leur faut changer d’air et c’est là que le drame arrive. Pour les personnages d’abord mais surtout pour le film.

Déjà dès le début de l’élaboration du projet, certains avaient suggéré à Elaine May de ne pas faire partir ses personnages de New York. Dustin Hoffman avait même hésité à faire le film à cause de cela. Mais vu que le film était sensé rendre hommage aux comédies de Bing Crosby et Bob Hope, on peut comprendre que la réalisatrice y ait tenu et dans l’absolu ce n’était d’ailleurs pas une mauvaise idée. L’une des difficultés était que les films de Crosby et Hope se moquaient des clichés par lesquels Hollywood représentait alors le Magreb, l’Asie ou les îles du Pacifique. Ces clichés ayant à l’époque plus ou moins disparus des productions cinématographiques, les réinsérer seraient surtout vus comme de la moquerie des ethnies en question, même les années 80 étaient moins aseptisées que notre époque actuelle. En ce sens on peut se demander pourquoi avoir choisi le Maroc. Sans doute pour deux raisons. D’une part c’est à cette époque que les services secrets américains ont commencé à s’intéresser de plus près au Magreb et au Moyen Orient avec d’un côté la chute du Shah d’Iran et de l’autre la montée en puissance de Khadafi (qui sera d’ailleurs mentionné dans le film). D’autre part On The Road To Marocco était considéré comme le meilleur de la série des On The Road To…

Le problème principal n’est donc pas tant que les personnages aillent au Maroc que de savoir
comment cela sera traité. Ainsi donc, après vingt minutes de films qui nous ont présentés avec beaucoup de plaisir nos personnages, nous nous retrouvons sur un site de fouille en plein désert. Un parchemin est trouvé et celui-ci génère très vite du sang. On a soudain l’impression d’arriver dans un autre film tant la transition avec ce qu’on a vu jusque là est brutale. C’est là qu’on voit l’importance du montage. Le parchemin en question indique l’arrivée de « deux messagers de Dieu ». D’emblée on comprends que ce sera nos deux zozos et on se dit que les voir devenir les leaders d’une révolution contre un tyran peut être assez amusant. On remarquera que le tyran en question est l’Emir d’un petit état appelé Ishtar. Un état inventé pour l’occasion, ce qui nous rapproche des films de Crosby et Hope (et de Tintin), mais nous éloigne considérablement de l’aspect de réalisme qui avait lieu jusqu’alors. L’impression qu’il existe deux films en un, encore une fois. En fait, toute cette intrigue liée au parchemin viendra polluer un film qui partait très bien et ce pour deux raisons.

La première est celle que nous avons déjà cité: elle sort le film de son axe. Au lieu de nous centrer sur la tournée de Clarke et Rodgers au Maroc, le scénario vient nous ajouter une intrigue supplémentaire qui se veut devenir principale (après vingt minutes de films quand même) afin d’ajouter du suspense et de l’action. Les meilleurs moments de cette partie marocaine sont d’ailleurs ceux qui restent le plus dans le ton de la première partie du film: le moment où contre tout attente le duo fait un triomphe dans un petit hôtel avec des reprises de variété américaines réclamés à corps et à cri par le public ; les moments de désespoir du duo qui leur inspirent des chansons que, à leur grand désarrois, ils ne peuvent noter faute de quoi écrire ; ou encore la naïveté du personnage de Warren Beatty/Lyle Rodgers qui le voit devenir le pigeon des vendeurs. Au contraire pour introduire cette intrigue qui n’a pas grand rapport avec l’histoire de base, Elaine May nous sert une série de scène indigne de sa réputation de scénariste. Par exemple, Dustin Hoffman/Chuck Clarke se prend à échanger son passeport avec une Isabelle Adjani déguisée en homme contre certains effets de celle-ci. Comment imaginer qu’Isabelle Adjani, même déguisée en Berbère, puisse passer une douane apparemment bien surveillée, avec un passeport à l’effigie de Dustin Hoffman ? Cette scène à pour but de faire entrer Adjani en interaction avec notre duo ainsi que de séparer Clarke/Hoffman de Rodgers/Beatty, permettant ainsi au premier d’être recruté à son insu par la CIA. Mais il y avait certainement une dizaine de manière d’y arriver plus crédibles. De même, lorsque aussi bien la CIA que les révolutionnaires (ces derniers ayant « recrutés » Beatty) veulent se débarrasser de ces deux américains encombrants, cela donne lieu à une longue scène d’errance qui fait autant tourner le film en rond que nos personnages. Encore une fois, était-il nécessaire de mettre un suspens ? N’aurait-il pas été préférable de faire confiance au duo comique et aux situations qu’ils traversent dans un environnement inconnu tout en leur faisant rencontrer une femme dont ils tombent amoureux tous les deux et qui devient source d’ennuis ? Bref un sujet peut-être plus proche des comédies de Crosby et Hope.

La seconde raison est que cette histoire de parchemin est en fait très mal exploitée. Comme nous l’avons vu, mettre des personnages qui n’ont rien à y faire dans une situation rocambolesque est vieux comme le monde. Dans le cas ici, voir deux artistes ratés devenir l’emblème d’une révolution dans le Magreb n’était pas un scénario dénué d’intérêt. Malheureusement, cela ne deviendra jamais vraiment le scénario du film. Nous avons déjà vu que cette intrigue avait été introduite trop brusquement et avec des scènes assez maladroites et peu crédibles. On aurait pu penser qu’une fois établie vaille que vaille, l’intrigue allait suivre son cours, mais ce n’est pas le cas. En fait, on a l’impression qu’Elaine May a eu peur d’y entrer véritablement. Ainsi, Clarke/Hoffman a été recruté par la CIA tandis que Rodgers/Beatty a été recruté par les révolutionnaires. Tout les deux doivent surveiller l’autre. Mais là encore l’idée est tuée dans l’oeuf car très rapidement les services secrets de tous bords décident de se débarrasser deux. Pourtant, à aucun moment la réalisatrice ne met ses personnages en danger. Elle semble vouloir tout de suite désamorcer la situation par de l’humour. Résultat, d’une part nous nous désintéressons d’une situation qui n’est pas dramatique. D’autre part l’humour utilisé est trop outrancier (de manière à outrepasser la tension dramatique qu’il aurait pu y avoir) pour véritablement faire rire. Deux scènes illustrent particulièrement cet état de fait.

La première scène est celle du souk où les deux hommes sont pris en chasse par des tueurs. Mais en multipliant jusqu’au ridicule le nombre de ceux-ci (qui se retrouvent d’ailleurs bien peu efficaces pour des professionnels) nous ne savons jamais s’il faut trembler ou rire. Résultat, on ne fait aucun des deux. Autre scène encore plus symptomatique est celle des marchants d’armes du désert. Par erreur, Clarke/Hoffman est pris par des trafiquants d’armes comme traducteur. Hoffman cabotine donc un max pour essayer de faire illusion et si les trafiquants ont quelques soupçons Rodgers/Beatty qui est lui déguisé dans la foule des acheteurs arrive amener ceux-ci à comprendre la transaction. Puis les trafiquants s’en vont… en laissant pas mal d’armes. Cette scène est donc ni drôle (Dustin Hoffman est assez pénible), ni à suspens (à aucun moment le personnage n’est vraiment sur le point d’être exécuté par les trafiquants) et en plus complètement irréaliste (qui peut imaginer des trafiquants laissant trainer un véritable arsenal). Il aurait pourtant été si simple de tout rendre crédible et efficace: Les trafiquants se rendent compte que Clarke/Hoffman est un imposteur, ils le menacent et vont le tuer. Comme il est déguisé en Berbère, Rodgers/Beatty crée une diversion, peut s’approcher du camion, sauver son ami, avoir l’eau qu’ils étaient venus chercher et en plus avoir les armes qui leur seront utiles plus tard dans l’intrigue. Ce n’était pourtant pas si compliqué. Pourquoi une scénariste aussi réputée que May n’y a pas pensé pour au contraire écrire cette scène presque indigne d’un débutant ?


Pour bien prouver que pour que le comique d’une situation dramatique fonctionne, il faut que cette situation soit vraiment éprise de tension dramatique, il y a la seule scène réussie du genre. La CIA a envoyé un hélicoptère pour tuer les deux hommes dans le désert. Ceux-ci qui pensent qu’on vient les sauver ne se doutent de rien avant de se faire canarder. La situation de danger est réel, pour la première fois du film. Mais les deux personnages ripostent grâce aux armes dont ils disposent. La toute puissante CIA se retrouve bien désarçonnée face à l’arsenal inattendu dont disposent leurs victimes. Tel est pris qui croyait prendre. La situation devient drôle. Pourtant, le parchemin maléfique n’a pas fini de polluer le film. On aurait pu penser après cela que nos deux anti-héros, ayant compris que la CIA étaient l’allié d’un tyran et était prêt à les sacrifier, se seraient alliés avec les révolutionnaires pour devenir les « messagers de Dieu » de la prophétie du parchemin, auraient détrôné l’Emir et contraint la CIA à accepter leurs exigences. Hélas, il n’en sera rien. De la situation de l’émirat d’Ishtar, on ne se souciera plus. Les deux héros échangeront le parchemin qui aurait pu créer des troubles à la CIA contre leur vie sauve et l’enregistrement et la promotion d’un album. Bref, pourquoi a-t-on découvert un parchemin prophétique ? Pour rien. On peut se dire que l’équipe du film dans sa globalité a jugé qu’il était mal avisé de faire s’opposer les personnages principaux à la CIA et qu’il fallait donc mieux qu’ils ne participent pas à la révolution. C’est tout à fait justifié. Mais alors pourquoi avoir à tout prix imposé cette histoire de rébellion, de parchemin et de CIA ?

Dernière victime du parchemin, c’est bel et bien l’histoire du personnage d’Isabelle Adjani. Elle
passe tour à tour de soeur éplorée à agent en fuite, puis en guerrier implacable qui va brusquement quitter sa cause pour sauver les deux hommes qu’elle a mis dans le pétrin pour finir en groupie des artistes. A aucun moment son personnage n’est véritablement utile à l’action. A part pour mettre les deux musiciens dans la mélasse via la scène bien maladroite dont nous avons déjà parlé. On nous dit bien un moment que tant Clarke/Hoffman que Rodgers/Beatty sont tombés sous son charme. Pourtant à aucun moment ce sujet ne sera traité alors que cela aurait pu être un rebondissement bien plus important que toute cette histoire de parchemin et d’errance dans le désert, voir le sujet central du film.

A ce stade et avec toutes les critiques établies, vous vous dites que en fait oui, Ishtar est bien un des pires films des années 80. Et pourtant, en dépit de tous les faits repris ci-dessus, cela n’est pas le cas. Encore une fois, la première partie du film est un quasi sans faute. Cet esprit se retrouve à plusieurs reprises dans le reste du film même si l’intrigue insatisfaisante liée au parchemin a pris le premier plan. Ensuite, les critiques établies ici ne valent que parce que le film a un potentiel et des idées qu’il n’est que plus regrettable de ne pas voir atteint. Le film possède une véritable personnalité et plein de qualités. C’est en fait un grand film malade, comme l’était 1941 de Steven Spielberg. Une réécriture aurait certainement permis au film de devenir un classique de la comédie de son époque. Dommage. Et ce qui prouve qu’il ne faut pas hésiter à abandonner certaines idées de bases lorsque celle-ci deviennent un frein.

Est-ce que tous les défaut du films peuvent cependant être imputés à Elaine May ? Peut-être pas. Mais en tant que scénariste et réalisatrice du film c’est elle qui en portera les responsabilités. De ce fait, elle ne réalisera plus aucun film par la suite et devra attendre dix ans pour retrouver du travail comme scénariste, grâce à son ancien complice Mike Nichols. L’échec du film fut rapidement effacé pour Dustin Hoffman qui joua Rain Man l’année suivante, film qui lui valu son deuxième Oscar. Warren Beatty s’en sorti avec le succès de Dick Tracy, mais ne réussi jamais à retrouver le niveau de succès et de popularité qui avait été le sien avant Ishtar. Quant à Isabelle Adjani, le film porta à néant ses espoirs de carrière américaine, comme Les Portes du Paradis avait anéanti ceux d’Isabelle Huppert.

Faut-il pour autant renoncer à redécouvrir Ishtar ? Non. Le film garde pas mal d’intérêt, et même si on est souvent insatisfait par le scénario, on s’ennuie au final assez peu. L’important est de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un film imparfait qui contient en lui l’ombre de ce qu’il aurait pu être. Une fois cela en tête (et aussi le fait qu’il ne doit certainement pas être pris au premier degré), il est probablement que les amateurs de comédies passeront un bon moment.


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