LES CLASSIQUES OUBLIES: 5ème partie - The Bachelor And The Bobby-Soxer (Deux soeurs vivaient en paix, 1947)
5ème partie: The Bachelor And The
Bobby-Soxer (Deux sœurs vivaient en paix, 1947)
Lorsque le nom de Cary Grant est mentionné, c’est l’image de l’homme
élégant, le costume et la coiffure impeccables, pourchassé dans un champ par un
avion. Le héros hitchcockien ultime, la préfiguration de James Bond dont il fut
l’un des modèles. Les amateurs de vieux films hollywoodiens sauront pourtant
que le genre de prédilection de l’acteur était en fait la comédie, un genre
dont il était devenu la figure centrale et incontournable (« Chaque
fois que je recevais un scénario de comédie, j’avais l’impression que le script
avait été lu auparavant par Cary Grant »,
dira non sans raison Gregory Peck). Dans les comédies qu’il a tournées, il y a
les classiques qui figurent au panthéon du genre tels que Bringing Up
Baby et His Girl Friday d’Howard Hawks, Arsenic & Old Lace de Frank Capra et The Philadelphia Story de George Cukor. Et puis il y a les autres. Les
comédies qui ne se distinguent pas vraiment de la masse si ce n’est d’avoir
l’acteur au générique, mais aussi une série de comédies très réussies qui ont
pâti de ne pas avoir été réalisées par un réalisateur connu ou qui ont été des
échecs à l’époque sans avoir réussi à être réhabilité par la suite (comme cela
avait été le cas de Bringing Up Baby).
La période prolifique de Grant comme acteur de comédie (d’ailleurs
pour les autres genre aussi, mais puisque qu’il est question ici de comédie)
commence en 1937 avec la sortie de The Awful Truth qui est le premier film à présenter le personnage de
comédie de Cary Grant (un personnage qu’il déclinera dans la majorité de ses
comédies, mais j’y reviendrai) et aussi le film qui lui donna ses galons de star.
Elle prendra fin en 1952 avec la sortie de Monkey Business d’Howard Hawks. Non pas que les comédies qui
suivirent ne comportent aucun intérêt, mais malgré leur côté charmant, elles
ont un côté plus conventionnel et surtout l’acteur s’est beaucoup assagi. Sur
cette période de plus de dix ans, le choix de retenir un seul film a été cruel
à accomplir (et il est probable que je reviendrai sur d’autres dans le futur)
tant on retrouve de petites pépites avec entre autres, outre les deux films
déjà cités, My Favorite Wife ou The
Bishop’s Wife.
C’est finalement vers The Bachelor And The Bobby-Soxer que je me suis tourné. Pourquoi ce choix ? Tout
d’abord car le réalisateur, Irving Reis, est un réalisateur qui n’a absolument
pas marqué l’histoire du cinéma (contrairement à Howard Hawks, Leo McCarey,
voir même dans une bien moindre mesure Henry Koster ou H.C. Potter) ce qui fait
que nombre de critiques ou commentateur n’ont généralement pas pris le peine de
se soucier beaucoup de ses films et que donc dans les meilleures comédies méconnues de Cary Grant celle-ci est
probablement une des plus oubliées.
Ensuite, par ce que le scénario est des plus réjouissants (il fut même
récompensé aux Oscars contre de solides concurrents – ce qui est d’ailleurs un
peu abusif), légèrement subversif et permettant à Cary Grant de se retrouver
dans des situations cocasses qui lui vont à merveille. Enfin car il me permet
de parler deux actrices remarquables. Myrna Loy, bien sûr, mais surtout Shirley
Temple dans un rôle très différent de ceux que l’on a l’habitude et pour cause
puisque celle-ci est maintenant une belle adolescente.
Mais quelle est l’histoire de ce film ? Et bien c’est l’histoire
de deux sœurs, Margaret et Susan
Turner. Susan est une adolescente de 16-17 ans sans trop d’histoires si ce
n’est que par des circonstances qui ne sont pas expliquées elle est sous la
tutelle de sa grande sœur Margaret
qui se trouve être juge. Evidemment dès ce stade il y en aura pour dire
que Myrna Loy est suffisamment âgée pour être la mère de Shirley Temple et
qu’il aurait été avisé d’expliquer en une phrase le pourquoi d’une telle
différence d’âge qui, même pour l’Amérique des années 40 n’était pas hyper
fréquent. C’est vrai. Mais bon, nous sommes dans une comédie et ce détail ne
suffit pas à ruiner la crédibilité du film. Bref, notre juge Margaret a aujourd’hui comme affaire le cas
banal d’une bagarre dans un Night Club, bagarre qui a été déclenchée par un
certain un certain Richard Nugent, peintre de son état. Vous l’avez deviné, ce
peintre c’est Cary Grant et il s’attire tout de suite les foudres de notre
jolie mais glaciale juge en arrivant en retard et en galante compagnie. Pour
Margaret, célibataire issue d’une famille de juriste, cet artiste séducteur et
séduisant devient l’homme de mauvaise vie par excellence. Peut-être encore plus
parce qu’elle se rend compte que ce dernier est plus intéressant que Tommy
Chamberlain, l’ennuyeux procureur qui lui fait la cour depuis longtemps. Mais
Margaret est aussi juge et bien que désapprouvant fortement le genre d’homme
qu’est Richard, il devient clair qu’il n’est pas le responsable de la bagarre,
malgré les attaques de Chamberlain qui semble depuis longtemps décidé à avoir
la peau du peintre.
Richard est relâché et peut donc faire une conférence au lycée de la
ville. Conférence à laquelle est forcée d’assister Susan. Une Susan qui tombe
sous le charme du beau peintre. Aussitôt la piquante étudiante trouve le moyen
de se retrouver seul à seul avec Richard sans que ce dernier ne comprenne
l’émoie qu’il a déclenché chez la jeune fille. Le soir même Susan fugue pour aller chez Richard qui a la
grande surprise de la retrouver peu de temps avant l’arrivée de Margaret et
Chamberlain. Ce dernier jubile, détournement de mineure, son compte est bon. Heureusement il y a
l’oncle de Susan et Margaret, Oncle Matt, un psychiatre qui a bien compris que
Richard n’y était pour rien et qui conseille, afin que cette passion subite
cesse, que Richard sorte avec Susan le temps que celle-ci comprenne qu’il n’est
pas fait pour elle.
A contre cœur Richard accepte et le voilà contraint de vivres les
activités d’une ado type des années 40. Mais à force de côtoyer les Turner,
Margaret se rend compte que l’homme dépravé qu’elle croyait voir en Richard
n’est pas vraiment la personne qu’il est. De même Richard verra que son
l’apparence de gardienne de glace, Margaret cache une femme amoureuse. Le
conflit entre les deux sœurs va devenir inévitable. Heureusement, comme nous
sommes dans une comédie, tout finira bien.
Sous une apparence assez banale,
l’histoire a bien sûr des relents de Lolita, le célèbre romain sulfureux de Vladmir Nabokov qui
avait déjà inspiré à Billy Wilder son The Major & The Minor quelques années avant. Un roman qui fascine
Hollywood, mais qui est absolument inadaptable en ces temps où la censure règne
sur Hollywood. Il faudra attendre le début des années 60, lorsque le règne du
code de censure commencera à s’effondrer, pour que Stanley Kubrick puisse
réaliser son excellente adaptation.
C’est donc par la comédie, en modifiant l’histoire, que les auteurs
d’Hollywood auront recours pour effleurer leur fantasme. Chez Wilder, l’homme
mûr était sensible aux charmes de la mineure, mais la morale était sauve (et
donc le comité de censure rassuré) car la mineure de l’était pas vraiment. Ici
Susan est véritablement mineure et, contrairement à chez Wilder, ouvertement
séductrice, mais à aucun moment le personnage de Cary Grant n’est attiré par
elle. Et pour être sûr qu’on ne
puisse pas soupçonner Cary Grant d’être tenté, on a créé ce rôle de grande sœur
plus âgée qui ne pouvait que retenir le regard de l’acteur. Si un remake était
refait aujourd’hui (ce qui ne serait peut-être pas une si mauvaise idée), il
est fort à parier que les sentiments qu’éprouverait Richard vis à vis de Susan
seraient plus ambigus.
Le film est avant tout un véhicule pour Cary Grant, aussi il est tant
de prendre le temps de parler du personnage de Cary Grant dans la comédie. Les années 30 et 40 ont créé une série
de star dont l’image était tellement forte qu’elle prenait le pas sur le
personnage qu’elles incarnaient. A quelques exceptions prêtes (des acteurs
comme Fredric March, Spencer Tracy ou Ingrid Bergman) la star sort rarement du
personnage qu’elle a créé. Elle est devenue une figure familière que le
spectateur est heureux de retrouver de film en film. C’est tout à fait dans
cette optique qu’il faut voir la majorité des films de Cary Grant (les films
que ce dernier tournera avec Howard Hawks constituant les exceptions les plus
notables). Tout comme Chaplin,
Keaton ou Laurel et Hardy ont mis au point un personnage comique, Grant créa le
sien. Celui d’un homme séduisant mais qui n’est pas sûr de sa séduction (à
l’inverse d’un Clark Gable), un homme qui n’hésite pas à assumer sa part de féminité
tout en restant viril (ce qui n’a pas arrangé les rumeurs d’homosexualité le
concernant à une époque où le machisme était de mise), un homme élégant se
trouvant soudain dans les situations les plus grotesques et les plus
humiliantes. Réussissant l’exploit de rester séduisant même en étant ridicule.
La grande force de Grant, c’est aussi d’avoir été capable de créer
l’humour aussi bien par le verbe que par le corps. Par le verbe, il y a d’abord
la manière de parler si caractéristique de l’acteur (et qu’il gardera quelque
soit le personnage qu’il incarnera), mais surtout sa répartie. Les textes qu’il
débite font mouche et l’acteur n’est pas le dernier à improviser des répliques
sur le plateau. Ensuite il y a l’utilisation de son corps pour les séquences burlesques
(et le film dont il est question ici en contient une bonne série). Cary Grant
n’est pas avare de grimaces, d’air stupides jusqu’au cabotinage (mais du bon
cabotinage) ni de chutes, sauts et autres cabrioles héritées du burlesque. Il
faut rappeler que Cary Grant fit ses premières armes dans une compagnie de
cirque et de théâtre de rue et qu’il disposait donc d’une grande souplesse et
de belles qualités d’acrobates.
Face à lui on retrouve deux actrices parmi les plus populaires des
années 30. Tout d’abord Shirley
Temple qui est probablement le
plus important des deux personnages féminins. Shirley Temple fut durant les
années 30 une des plus grandes stars d’Hollywood alors qu’elle n’était encore
qu’une très petite fille. Aussi à l’aise dans le chant que dans la danse et
l’art dramatique, elle fut la vedette d’une série de films pour enfants qui ont
aujourd’hui fort vieillis. C’est
finalement dans les années 40 que l’on retrouve ses rôles les plus intéressants,
même si paradoxalement pas les plus connus aujourd’hui, avec sa participation à
Depuis ton départ ainsi qu’à Fort
Apache de John Ford qu’elle tournera juste
après ce film. Des rôles d’adolescentes à une époque où Hollywood s’intéressait
assez peu à cette tranche d’âge (les choses ont depuis bien changé). Son rôle
dans ce film et la représentation de l’univers scolaire préfigure les
teenmovies, un genre qui commencera à apparaître surtout dans la décennie
suivante et qui connaîtra son sommet dans les années 80 avec les films de John
Hughes. Temple montre ici qu’elle arrive parfaitement à sortir de son statut
d’enfant star tout en gardant le peps et la fraicheur qui avaient fait son
succès. Malheureusement, elle mettra fin à sa carrière deux ans plus tard et on
ne sera donc jamais quelle actrice la Shirley Temple adulte aurait-elle pu
devenir.
Enfin, terminons notre parcourt des acteurs principaux (même si les
seconds rôles – essentiels au bon fonctionnement d’une comédie - sont également
parfaitement bien choisis) avec Myrna Loy. Myrna Loy qui fut un temps surnommée
la reine d’Hollywood (là où Clark Gable était le Roi). Myrna Loy qui est une
comédienne qu’il faut réhabiliter d’urgence par la subtilité de son jeu. En
effet, aux côtés de Katharine Hepburn, Carole Lombard et Ginger Rodgers, Myrna
Loy est le dernier membre de ce qu’on pourrait appeler le Big Four de la
comédie américaine (côté femmes). Myrna Loy est surtout connue pour le couple
comique qu’elle forma dans de nombreux films (dont la série The Thin Man) avec William Powell. Face à cet autre géant de la
comédie qu’est Cary Grant, elle fait également preuve d’une complicité sans
faille, complicité qui sera encore plus visible dans un autre classique méconnu
de la comédie : Mr Blandings Builds His Dream House. Dans le film dont il est question ici, cependant,
il faut avant tout avouer le talent de Loy à faire exister un rôle qui aurait
pu être bien ingrat.
Comme dit précédemment, le rôle de Margaret semble avant tout créé
pour sauver la morale en évitant que le personnage de Cary Grant puisse être
attiré par celui de Shirley Temple. Ne pouvant pas être trop jeune afin d’être
crédible dans son rôle de juge, Margaret fut écrite comme étant nettement plus
âgée que sa sœur. Aujourd’hui, on se dit qu’il aurait été plus simple d’en
faire la mère de Susan et non sa grande sœur, mais pour l’Amérique puritaine
des années 40, et pour le code de censure, il était probablement tout
simplement inimaginable que le héros se marie à la mère après avoir courtisé
(même pour du faux) la fille. Bref, Myrna Loy se retrouve à devoir faire vivre
le personnage le moins crédible du film et aussi le moins captivant. Il est en
effet évident que, même si au final c’est Myrna Loy qui aura Cary Grant, c’est
la relation entre les personnages de Shirley Temple et Cary Grant qui font tout
l’intérêt du film (le titre anglais ne laisse d’ailleurs aucun doute à ce
sujet). Ce n’est finalement que vers la fin du film, lorsqu’elle commence à
succomber au personnage de Cary Grant, que Margaret commence à devenir
intéressante. Cependant, Myrna Loy est une vraie pro. Alors qu’une actrice
moins douée aurait laissé tomber le rôle dans la platitude, son jeu subtil
plein de regards et autres mimiques pertinentes ainsi que son charisme sauvent
le personnage et le font exister. Une belle leçon d’humilité et de talent. Une actrice qu’il convient de
réhabiliter au panthéon des plus grandes actrices d’Hollywood.
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