LES CLASSIQUES OUBLIES: 4ème partie - The Fall Of The Roman Empire (La Chute de l’Empire Romain, 1964)
4ème partie: The Fall Of The Roman Empire (La Chute de l’Empire Romain, 1964)
A la fin du règne de Marc-Aurèle,
alors que l’Empereur est en campagne contre les Germains, il décide que ce sera
son principal général qui lui succèdera et non pas son fils Commode qu’il juge
cruel et instable. Le général a justement les faveurs de la fille de
l’empereur, ça tombe bien, alors que celle-ci subie l’adoration de son frère.
Hélas, l’Empereur meurt assassiné avant d’avoir pu réaliser son souhait et
Commode monte sur le trône. Le général part en exil bien décidé cependant à
sauver l’Empire Romain du nouvel Empereur fou. Et pourquoi pas en l’affrontant
dans l’arène ?
Cela vous dit quelque chose ? Et
bien non, il ne s’agit pas du résumé de Gladiator de Ridley Scott mais de celui de The Fall Of The
Roman Empire d’Anthony Mann. Et oui,
je suis au regret d’annoncer aux admirateurs de Ridley que même avant un énième
remake des aventures de Robin des bois ou une révision des Ten Commandments de Cecil B. DeMille avec Exodus : Gods &
Kings, notre brillant réalisateur
avait déjà été chercher son sujet dans le cinéma de sa jeunesse. Et notez qu’un
grand effort d’adaptation n’a pas vraiment été fait. Oh bien sûr, dans Gladiator on a donné à Maximus femme et enfants qui seront
massacrés pour lui donner une raison de vengeance, là où Gaius Livius est
ouvertement amoureux de la fille de l’Empereur. De même Maximus a droit à une
belle mort là où The Fall Of The Roman Empire s’achève sur un happy end un peu artificiel, mais
c’est le seul point sur lequel le soi-disant chef d’œuvre de Ridley Scott
l’emporte sur le film maudit d’Anthony Mann. Je pourrais continuer en disant
que s’il fut brillant dans la science-fiction, Scott fut assez peu inventif
dans le genre du cinéma historique, mais cette rubrique a pour but de
réhabiliter des films et non pas d’être un règlement de compte envers l’auteur
de Bladerunner, aussi
arrêterais-je là.
The Fall Of The Roman Empire fait partie d’une série de grosses productions que
lança le producteur Samuel Bronson dans la première partie des années 60 aux
côtés de King Of Kings et 55
Days At Peking, tous deux de
Nicholas Ray, El Cid d’Anthony
Mann et Circus World d’Henry
Hathaway. Des cinq, il s’agit du plus spectaculaire, avec notamment une
reconstitution grandeur nature (et même plus grand selon certains) du forum
romain qui donne au film une dimension réaliste et humaine que n’importe quelle
reconstitution numérique serait incapable de rendre. Hélas, la démesure du film
coûta aussi sa chute, ne réussissant pas à s’avérer rentable face à un tel
budget. Cet échec, ainsi que celui (plus relatif) de Cleopatra l’année d’avant, allait sonner le glas du péplum, un
genre qui avait pourtant remporté bien des succès à Hollywood depuis sa
renaissance en 1949 avec Samson
And Delilah de Cecil B. DeMille. Et
cela est d’ailleurs bien regrettable car, après une série de péplums prétextes
à une exaltation religieuse un peu pénible aujourd’hui, les années 60 avaient
lancé un autre type de péplum, débarrassé de son statut de cours de catéchisme
à grand spectacle, avec des scénarios très bien écrits. C’était le cas de Spartacus, premier péplum du genre, ce sera également le cas
de Cleopatra et de The Fall Of
The Roman Empire.
Mais si les deux premiers ont depuis
longtemps gagné leurs galons de classiques, ce n’est pas le cas du film de Mann
qui, bien que depuis réhabilité par la critique qui le considère à juste titre
comme un des meilleurs péplums américains, reste quelque peu dans l’oubli. Une
injustice qu’il convient de réparer. Il est assez surprenant au premier abord
de trouver Anthony Mann à la tête d’une telle entreprise. Celui-ci s’est fait
connaître dans les années 50 grâce à une longue collaboration avec James
Stewart, notamment dans une série de westerns psychologiques mettant en avant
la dimension humaine du personnage ainsi que, bien souvent, un désir de
vengeance. Un cinéma intimiste bien loin de notre péplum ou de El Cid, qu’il avait réalisé peu avant. Et pourtant ce fut
aussi Anthony Mann qui fut initialement choisi pour réaliser Spartacus, contre l’avis de Kirk Douglas. Ce dernier finit d’ailleurs
par le renvoyer assez rapidement, prétextant que le réalisateur n’avait pas les
reins assez solides pour un film d’une telle envergure. Vu sa capacité à avoir
pu mener à bien des projets comme El Cid ou The Fall Of The Roman Empire, on peut supposer qu’il s’agit plus d’un prétexte pour pouvoir
permettre à Douglas d’imposer celui qu’il voulait véritablement avoir comme
réalisateur : Stanley Kubrick. Ce qu’on sait moins, c’est Kirk Douglas,
que l’on présente souvent comme la méchante star-producteur face au pauvre
réalisateur opprimé, s’est toujours senti redevable vis-à-vis de Mann et qu’il
lui proposa de réaliser par la suite un film ensemble, ce qu’ils firent avec The
Heroes Of Telemark.
Avec The Fall Of The Roman Empire, Samuel Bronson a l’intention de reconstituer
l’équipe de El Cid, Anthony Mann
à la réalisation et Charlton Heston et Sophia Loren dans les rôles principaux.
Une distribution assez logique pour un péplum, Heston étant sans doute devenu
l’acteur emblématique du genre. Mais justement ce dernier refusa, ne gardant
pas un très bon souvenir de sa collaboration avec Sophia Loren. On essaye Kirk
Douglas, même refus. C’est finalement Stephen Boyd qui est engagé. Mais qui
est-il, ce garçon dont le nom ne doit plus rien dire à personne, et comment
s’est-il retrouvé à la tête d’un tel film ? Et bien, Boyd fait partie de
ces acteurs, un peu comme George Peppard, qui connurent une célébrité brève
mais que l’histoire n’a pas voulu retenir. La faute sans doute d’avoir commencé
à connaître la célébrité à la fin du Vieil Hollywood et d’avoir été remplacé
par les comédiens du Nouvel Hollywood quelques années plus tard. Has been sans
autre raison valable que d’avoir servi l’ancien système et de n’avoir pas
encore été suffisamment célèbre pour lui survivre. Qui plus est, une mort
précoce à 45 ans l’empêcha de pouvoir éventuellement réaliser un retour en
force (Il était d’ailleurs en pourparlers pour rejoindre la prestigieuse
distribution de The Wild Geese au
moment de son décès).
Bref, Boyd connu une gloire éphémère
dans les années 60 après s’être fait connaître en interprétant l’antagoniste de
Charlton Heston dans Ben-Hur. Oui
celui qui finit piétiné dans la célèbre course de char, c’est lui (le présent film ne manquera pas de mettre en scène une nouvelle). Un autre
classique à son actif est le film fantastique Fantastic Voyage qui connut un certain retentissement à l’époque,
mais qui a bien vieilli aujourd’hui, où des scientifiques s’embarquent dans un
voyage dans le corps humain pour pratiquer une opération délicate. Il avait
également rejoint la première distribution de Cleopatra, devant incarner Marc Antoine, mais les problèmes de
santé d’Elizabeth Taylor conduirent à de nombreux retards et pratiquement toute
l’équipe fut changée lorsque le tournage repris. Boyd est donc finalement un
choix assez logique à l’époque puisque associé au genre du péplum, même s’il
n’est pas la plus grosse vedette du genre. C’est donc surtout sur le nom de
Sophia Loren, l’une des plus grandes stars internationales des années 60, que
se repose le film.
Malgré tout, le reste de la distribution
n’est pas en reste puisque les seconds rôles sont également incarnés par des
acteurs très populaires. On retrouve ainsi Alec Guiness dans le rôle de
Marc-Aurèle, l’immense James Mason dans celui du philosophe Timonides (un des
plus beaux rôles du film) ou encore Omar Sharif en Prince arménien. On pourra
même apercevoir Mel Ferrer dans un joli rôle de traître. Mais bien sûr c’est
Christopher Plummer qui retiendra le plus les esprits dans le rôle de Commode,
l’Empereur fou. Plummer, qui a récemment battu un record en devenant l’acteur
le plus âgé à gagner un Oscar, marquera véritablement l’histoire du cinéma en
jouant le capitaine von Trapp dans The Sound Of Music. Ces dernières années, en qualité de vétéran
d’Hollywood, il continue à avoir une jolie carrière.
Si certains gardent un très bon
souvenir de l’interprétation de Joaquin Phoenix dans le rôle de Commode (une
des grandes réussites de Gladiator,
il faut l’avouer), ils ne seront pour autant pas déçus par celle de Plummer,
peut-être plus fantasque, mais sans pour autant être outrancière. Un film
réussi doit souvent beaucoup à la qualité de son méchant. C’est le cas ici. Si
bien sûr on pourrait discuter sur quelle était réellement la personnalité de
Commode (on sait que les « Empereurs fous » - Caligula, Néron,
Domitien ou Commode – n’étaient pas nécessairement les maniaques sanguinaires
dépeints dans les chroniques historiques de leur époque ou leurs portraits
cinématographiques hauts en couleurs), il n’en reste que l’interprétation qu’en
fait Christopher Plummer est jubilatoire et que le traitement accordé au
personnage est certainement plus riche que celui de la version de Ridley Scott.
En effet, si bien sûr comme tous les
films historiques, et particulièrement ceux se passant en Antiquité, on a plus
souvent droit à une vision fantasmée de l’époque qu’à la véritable réalité
historique, The Fall Of The Roman Empire nous donne malgré tout un bon aperçu de ce qu’était le Rome de la fin
des Antonins (donc de la fin du IIème
siècle après Jésus Christ). Un Empire dépassé par sa taille gigantesque,
menacée aussi bien au Nord par les Germains qu’à l’Est par les Parthes et qui
devra d’ailleurs conduire à sa scission quelques siècles plus tard. Un Empire
qui malgré tout ne semble pas vouloir achever sa politique d’expansion qui
finira par causer sa perte. En somme, même si l’Empire Romain survivra encore
plusieurs siècles après la fin de la dynastie des Antonins, histoire que nous
raconte le film ici, ce sont bien les prémices qui conduiront à sa fin auxquels
nous assistons. La fin des Antonins marque en effet la fin de la période dorée
de Rome, même s’il se trouvera toujours des historiens pour défendre (et à
juste titre certainement) les siècles ultérieurs. Si The Fall Of The Roman ne peut pas être considéré comme un véritable cours
d’histoire car ponctués d’erreurs servant à créer une trame narrative
intéressante (Marc-Aurèle n’a jamais eu l’intention de déshériter son fils
qu’il avait d’ailleurs instauré comme co-Empereur avant la fin de son règne),
il peut sans conteste apporter un éclairage sur une partie de l’histoire
romaine pas si connue que ça.
Mais le film ne doit pas pour autant
être considéré que comme un documentaire romancé, car la grande force du film,
comme c’était celle de Spartacus
et de Cleopatra, c’est de ne pas
avoir oublié l’humanité des personnages malgré la grandeur du récit et la
magnificence des décors. Car à l’époque, Hollywood pouvait réaliser un film à
très grand spectacle tout en ne négligeant pas pour autant son scénario comme c’est
malheureusement trop souvent le cas aujourd’hui (et ce coup-ci, Ridley Scott
est hélas très loin d’être le plus critiquable). Nous assistons à une très
belle réflexion sur le pouvoir et sur la domination d’un peuple sur d’autres.
Le personnage le plus mémorable à ce sujet étant celui du philosophe Timonides,
merveilleusement incarné par un James Mason dont on ne dira jamais assez qu’il
fut un des acteurs les plus intéressants de l’histoire du cinéma. Sa mort sera
certainement une des scènes les plus marquantes du film. Cet humanisme
finalement nous ramène aux films antérieurs de Mann et tout compte fait, les
personnages de James Stewart dans Winchester 73 et de Stephen Boyd dans The Fall Of The Roman
Empire ont plus en commun qu’on
aurait pu le croire au premier abord. Le choix de Mann pour réaliser un péplum
intelligent comme celui-ci était finalement assez logique et on est donc en
droit de considérer que, quoiqu’en ait pensé Kirk Douglas, il aurait également
fait un très bon travail sur Spartacus.
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