2ème partie: The Man Without A Star (L’Homme qui n’a pas d’étoile, 1955)
Durant l’âge d’or, le western a été un des genres les plus populaires
du cinéma américain. Grosses productions pleines de vedettes ou films à très
petits budgets prouvant (parfois) le savoir faire de leurs réalisateurs, le
western continue de fasciner les foules d’admirateurs nostalgiques plus
qu’aucun autre genre de l’époque. Dans cette masse de films, bon nombre mériteraient d’être cités
dans cette liste et faire des choix est difficile. Man Without A Star n’est sans doute pas le plus méconnu des classiques
du genre, mais n’a pas non plus la réputation de ses grands chefs d’œuvres qu’il égale pourtant en qualité.
Tout d’abord il convient de préciser quels sont les films considérés
comme des chef d’œuvres du genre. Il y a tout d’abord une poignée de films
réalisés par John Ford mettant souvent en scène John Wayne, parmi lesquels The
Searchers, The Man Who Shot
Liberty Valance ou encore Stagecoach. Il y a
ensuite deux films phares des années 50, High Noon avec Gary Cooper et son anti-thèse, Rio
Bravo, à nouveau avec John Wayne. Le cycle
des westerns classiques s’achève
avec The Magnificent Seven, amorçant la
période suivante du western, plus réaliste et violente, illustrée par Sergio
Leone et Sam Peckinpah. Après ces deux géants, le western devient de plus en
plus rare à l'écran, le dernier classique du genre étant sans doute Unforgiven de Clint Eastwood. L'âge d'or du western classique
peut sans doute être situé entre Stagecoach et The Magnificent Seven, soit entre 1939 et 1960. Et c'est juste dans cette
période qu'a été créé The Man Without A Star, au moment où le western est à son firmament
artistique.
A la même période, Anthony Mann réalise une série de westerns engagés
avec, souvent, James Stewart en vedette, tandis que John Sturges réalise des
films plus centrés sur l'action. A l'inverse
de ces derniers, King Vidor, qui réalise le film dont il est question
aujourd'hui, est un vieux routier d'Hollywood, déjà acclamé du temps du muet.
Il n'en est pas à son premier essai dans le genre vu qu'il est le réalisateur
de Duel In The Sun, superbe fresque qui
se voulait, pour son producteur David O. Selznick, le nouveau Gone
With The Wind qu'il avait produit quelques
années plus tôt. Malheureusement le film ne connut pas ce destin et, aujourd'hui encore, l'avis que l'on porte sur
lui est très partagé. Il serait cependant injuste d'incomber l'échec à Vidor
qui fit ce qu'il pût pour lutter contre l'ego démesuré de Selznick dont le génie
brûlait de ses dernières heures. Il faut cependant reconnaître que l'on fait
aujourd'hui assez peu de cas de la carrière de Vidor à l'époque du parlant.
Cela est sans doute dû en partie à cause de la réputation de Duel In The Sun, mais aussi au fait que les derniers films du
réalisateur sont considérés comme des navets. Si ce terme est très exagéré pour
War & Peace qui est un très
beau film (mais qui n'est évidemment qu'un pâle reflet de l'oeuvre de Tolstoï),
il est vrai que Solomon & Sheba
n'est pas le péplum le plus fin
de l'histoire du cinéma. Mais une fois encore, le film a certainement pâti du
décès de l'acteur principal, Tyrone Power, pendant le tournage et son
remplacement au pied levé par un Yul Brynner qui n'était sans doute pas le
choix idéal pour le rôle. Ces trois grosses productions discutables ont été
néfastes à la réputation de King Vidor de nos jours, pourtant, il serait
injuste de ne pas reconnaître la qualité de son travail sur des films plus
modestes. Man Without A Star est justement un cas parfait pour cela.
La genèse du film commence de façon assez amusante. A l'époque, Kirk
Douglas a le vent en poupe. La première partie des années 50 l'a amené à
devenir une star de premier plan, au pouvoir suffisamment
grand pour devenir son propre producteur. L'acteur a justement dans son emploi du temps quelques semaines de vacances
et, au lieu de faire ce que tout être humain normal aurait fait en de pareilles
circonstances en partant en croisière sur le Nil ou en allant se balader au
Pérou, il décide qu'il ferait bien un
petit film en passant. Le western, comme dit plus haut, est justement un genre
qui se réalise assez facilement sans mettre en branle une trop grosse
machinerie. Après avoir réuni une bonne équipe de scénaristes pour écrire une
histoire captivante, Douglas décide d'engager Vidor qui peinait à sortir du
marasme où l'avait plongé Duel In The Sun
(même si dans cette période il réalisa des films depuis réhabilité comme The
Fountainhead, mais c'est une autre
histoire). Et si le réalisateur ne fera pas preuve d'un enthousiasme délirant
au sujet de son implication dans le film, il fera malgré tout
un très bon travail.
L'histoire n'est pas des plus originales
au premier abord: un cow-boy sans
attache prend sous son aile un jeune freluquet désireux de devenir un
« dur » comme lui. L'histoire initiatique type qui, depuis Les
Trois Mousquetaires jusqu'à Star
Wars, a toujours fait ses preuves. Mais
comme toujours, ce sont les détails qui enrichissent l'histoire et qui en font
toute l'originalité. Ici, c'est
principalement le personnage interprété
par Jeanne Crain. On a souvent tendance à dire, et pas nécessairement à tort,
que les personnages féminins sont assez
inexistants dans les westerns ou alors caricaturaux (la faible femme, la
danseuse de saloon et quelques autres). Mais il n'empêche que l'on retrouve
ponctuellement des personnages très intéressants. C'est le cas ici de Reed
Bowman. Il s'agit ici d'un type de personnage fréquent dans le western, à ceci
près qu'il est normalement question d'un
homme. En effet, Reed dirige un ranch et a bien l'intention de s'enrichir par
ce biais. Le riche propriétaire voyant son intérêt avant celui de ses
concitoyens, en mettant en avant l'argument imparable de « la prairie est à tout le monde », n'hésitant pas à
recourir à la force pour affirmer ce qu'il pense être ses droits, voilà un des
habituels clichés du cinéma. Un des plus beaux exemples était bien sûr le personnage joué par Lionel Barrymore dans Duel
In The Sun, justement. Ici, la nouveauté
est que le personnage est une jeune femme ambitieuse, belle de surcroît (mais impitoyable), et qu'elle a
d'autres moyens pour parvenir à ses fins que ses seuls apports financiers. Il n'en faut effectivement pas beaucoup pour
que le personnage de Douglas, initialement le premier choix de cette mante
religieuse, qui a compris quel était son vrai visage, se retrouve face à son jeune
apprenti qui reste lui tout ébloui devant cette première femme. La
confrontation est inévitable et Kirk Douglas, ou plutôt Dempsey Rae puisque tel est son nom dans le film, va être réduit à
faire quelque chose qu'il a en horreur, lui l'homme épris de grands espaces et
de liberté: mettre des barbelés sur la prairie afin d'arrêter Reed et sa bande
de cow-boys. Bien sûr nous serons servis
en bagarres et autres duels comme nous sommes en droit de l'attendre, et tout rentrera dans l'ordre à la fin.
Man Without A Star ne manque
donc pas ses promesses de grand divertissement, que tout western se doit
d'avoir, tout en étant suffisamment
original et profond pour marquer les esprits. D'autant qu'au final, nous
n'avons pas qu'un personnage principal intéressant mais deux, puisqu’il y a aussi Idone, la prostituée au grand
coeur, jouée par Claire Trevor qui fut une habituée de ce genre de rôles (et ce
depuis Stagecoach). D'une certaine
manière, même si ce sont les hommes qui s'affrontent, ce sont les femmes qui
ici tirent les ficelles. La belle et impitoyable Reed, qui malgré sa
respectabilité n'est au final que le chef d'une bande de truands, contre la
sage Idone qui malgré sa vie de débauche reste fidèle aux valeurs
humaines. C'est l'âme de Dempsey
qu'elles se disputent. Deviendra-t-il un des malfrats de Reed ou bien
sacrifira-t-il ses opinions pour que triomphe la justice ? La réponse est déjà
donnée plus haut.
Si Claire Trevor est, comme déjà signalé, une habituée de ce type de
personnage, il est surprenant de retrouver Jeanne Crain dans un rôle aussi
antipathique. Cette dernière a souvent incarné des jeunes femmes de bonne
famille toute dévouée à leur mari (A Letter To Three Wives et People Will Talk, tous les deux de Joseph Mankiewicz, par exemple).
Des personnages qui souvent manquent un peu de caractère et qui font
qu'aujourd'hui Jeanne Crain apparaît comme une actrice un peu plus ennuyeuse
que les sulfureuses Lana Turner et Ava Gardner. Ici c'est réellement un rôle à
contre emploi qu'on lui donne et on se doute qu'elle a dû en tirer une grande
satisfaction. Cela dit, Crain n'est sans doute pas l'actrice la plus talentueuse de sa génération, et tout comme
dans ses personnages de femmes bien sous tous rapports, son
personnage de garce manque d'un petit quelque chose qui pourrait nous la rendre
plus fascinante. Une Lana Turner aurait sans doute porté ce rôle vers d'autres
sommets et il aurait sans doute été plus difficile à Dempsey de lui résister.
Mais évidemment, et même si le rôle des deux femmes est assez important et remarquable dans un
western pour être signalé, le film est avant tout un véhicule pour le talent de
Kirk Douglas. L'histoire le retient pour avoir incarné un esclave rebelle dans Spartacus, pourtant Douglas n'a pas brillé que dans le péplum
où son physique, il est vrai, ne pouvait manquer de l'amener. Le western fut en
effet un genre où l'acteur fut très présent et ce Man Without A Star représente sans doute l'un de ses plus beaux rôles
dans le domaine. Charmeur, canaille, bondissant et plein de vie, il ne peut manquer
de séduire le spectateur, et son
moment de bravoure où il chante et danse
dans un saloon en s'accompagnant d'un banjo est probablement la scène qui
marquera la plus les esprits pour la gaieté
communicative qu'elle transmet (d'autant que la suite le sera nettement moins).
Il faut dire que l'acteur éclate tellement que le reste de la distribution
principale, moins talentueuse (à
l'exception de Claire Trevor) en pâti sans doute un peu. On a déjà dit que si
Crain était honorable, elle n'était pas
l'actrice capable de pouvoir de faire briller au maximum son rôle. De même
William Campbell, qui joue le jeune Jeff, n'était pas le plus mémorable des
jeunes acteurs d'Hollywood à l'époque, même si sa prestation est tout à fait convenable. Une mauvaise langue pourrait dire
que ces choix d'acteurs honnêtes mais sans grand génie était destiné à faire
ressortir encore plus le personnage de Douglas. Au vue de l'ego dont avait réputation l'acteur, cela
pourrait être une explication plausible, mais si l'on regarde le reste de sa
carrière comme producteur, on voit qu'il a toujours cherché à être accompagné
par les meilleurs, y compris au niveau de ses partenaires (il n'y a qu'à voir la distribution de Spartacus). Il faudra donc plutôt mettre cela sur le compte
d'un budget assez modeste et d'un temps
de tournage réduit qui ne permettait
certainement pas de s'offrir le luxe d'avoir un grand choix de vedettes
disponibles.
Ce sont ces raisons qui sans
doute, en plus de ne pas avoir à la tête un réalisateur à la patte aussi reconnaissable
que Ford ou Hawks, a empêché Man Without A Star de devenir un des gros classiques du western. Mais un excellent
représentant du genre, il l'est certainement, et tout amateur de western
classique ne peut que reconnaître ses qualités et passer un bon moment en sa compagnie. Le novice pourra quant à lui
découvrir le talent et le charisme d'une des plus grandes stars de l'histoire
d'Hollywood ainsi qu'une histoire captivante. Le film fut d'ailleurs un succès
qui permit à King Vidor d'être à nouveau bien considéré à Hollywood et de se
voir confier la destiné d'un film à gros budget comme War & Peace.
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