1ère partie: The Major And The Minor (Uniformes et Jupons courts, 1942)
La comédie est un genre généralement peu représenté dans les grands
classiques du cinéma. Son côté léger, populaire et facilement abordable fait
que beaucoup de gens ont du mal à prendre le genre au sérieux. Pourtant, tous
les spécialistes de la comédie le diront, il s’agit du genre le plus difficile
à réussir. Réussir à trouver le bon rythme, à faire en sorte que l’intérêt du spectateur
soit sans cesse soutenu et éviter de tomber dans un humour lourd et sans
finesse. Réussir aussi à garder sa pertinence à travers le temps, car rien ne
vieillit plus vite qu’une comédie. Ainsi des comiques comme Red Skelton ou même
Jerry Lewis, tellement populaires au temps de leur gloire, ont aujourd’hui du
mal à tirer un sourire aux générations actuelles et il est fort probable que ce
même sort sera celui des Franck Dubosc, Gad Elmaleh et autres dans 40 ans.
Parmi les grands réalisateurs de l’âge d’or, certains ont su s’imposer
comme des maîtres de la comédie et réaliser des films du genre encore
aujourd’hui considérés comme des
classiques. Ils se nommaient Ernst Lubitsch, Frank Capra, Howard Hawks ou
encore Billy Wilder. Pourtant,
même au sein de la riche filmographie de ces géants, il existe de petites
pépites, moins prestigieuses que leurs grandes œuvres, qui méritent pourtant
toute notre attention. Chez Wilder, il s’agit de One Two Three et de The Major And The Minor. C’est justement de ce dernier dont il sera question
ici, film qui est également le premier de Wilder comme réalisateur.
Durant toute sa carrière, Wilder a toujours aimé les sujets sulfureux
et contourner la censure pour pouvoir les traiter. Il n’est donc pas étonnant
que Wilder ait été tenté d’adapter « Lolita », le très sulfureux
roman de Vladimir Nabokov, au cinéma. Bien sûr, Wilder sait que proposer une
adaptation fidèle n’a aucune chance de voir le jour. Qui plus est, il sait
qu’il n’aura pas droit à plusieurs chances pour prouver à la Paramount qu’il
est apte à réaliser lui-même ses scénarios. Il décide alors de présenter
l’histoire sous un aspect comique. La comédie est en effet à l’époque son genre
de prédilection, celui qui l’a établi comme un des grands scénaristes du genre
grâce aux films écrits pour Ernst Lubistch, Mitchell Leisen et Howard Hawks. La
comédie permet aussi de faire passer plus facilement des sujets un peu
graveleux qui auraient été inacceptables à l’époque dans des films plus
dramatiques. Cela dit, même sous la forme de la comédie, il serait impensable
de présenter un homme adulte tomber amoureux d’une très jeune fille. Wilder
trouve alors le subterfuge d’une jeune femme se faisant passer pour une gamine
de douze ans pour des raisons financières.
Bien sûr, Wilder sait bien qu’il est peu crédible de faire passer une
jeune femme pour une adolescente de douze ans, et même si Ginger Rogers est une
très bonne actrice, il est évident qu’elle est plus âgée que le rôle dans sa
version enfantine. Aussi sont trompés que seuls ceux qui veulent l’être. Car
dès le début les employés du chemin de fer (raison pour laquelle le personnage
de Susan Applegate veut se rajeunir - elle n’a pas assez d’argent pour se payer
le ticket de train qui la ramènera chez elle) sont suspicieux et découvrent
d’ailleurs bien vite la supercherie. L’intelligence de Wilder (et de son
co-scénariste Charles Brackett) est d’avoir placé Susan très vite dans un
environnement presque exclusivement masculin et en dehors de la vie de tous les
jours : une école militaire. Les jeunes élèves ne peuvent être
qu’intéressés par cette rare apparition féminine qui, malgré ses manières
enfantines, a tous les charmes susceptibles de séduire de jeunes garçons en
pleine puberté. Les vieux militaires sont eux aussi bien heureux de cette
nouvelle présence féminine qui les change des deux filles de directeur, l’une
pimbêche invétérée, l’autre adolescente intello, et son statut de mineur les
empêche de céder à ce qui aurait pu être une tentation.
Pamela Hill, la plus âgée des filles du directeur, est trompée car
cela l’arrange de penser que Susan ne peut être une rivale pour elle. Elle sera
d’ailleurs la première à comprendre le subterfuge, lorsque Susan se révèlera un
danger pour son mariage. Sa jeune sœur, Lucy au contraire est la seule à
comprendre depuis le début, d’autant que le véritable âge de Susan l’aide dans
ses projets de faire échouer les manigances de sa sœur. Enfin il y a le cas du
Major Kirby, personnage masculin principal. Naïf, il semble d’abord vouloir
établir un rapport paternel avec Susan (sans doute lassé d’avoir affaire à de
jeunes garçons), mais peu à peu il se sent pris par une attirance incontrôlable
pour Susan et une jalousie vis à vis des jeunes élèves qui lui font la court de
manière fort pressante. La scène où il essaye désespérément d’expliquer les
relations amoureuses à une Susan qui prend un malin plaisir à le laisser
mariner dans son jus est d’ailleurs un pur moment de bonheur.
Sans se l’avouer, il tombe amoureux de Susan retrouvant une seconde
jeunesse que l’environnement stricte de l’école militaire l’empêchait d’avoir.
Cependant, il est probable qu’inconsciemment il sache que Susan est plus âgée qu’elle ne le prétend
comme le prouve la scène finale où il ne semble guère surpris que Susan soit en
fait une jeune femme majeure. En
ce sens, le film, comme toutes les
comédies de l’époque, est assez irréaliste, mais c’est justement cette absence
de réalisme et cette sensation que tout est possible qui fait le charme des
films et surtout des comédies de cette époque. Et il faut reconnaître que le
scénario de Wilder et Brackett ne comportent pas de longueurs, pourtant
fréquente dans les comédies de l’époque (y compris dans les précédentes œuvres
des deux auteurs), même si certains gags risquent de ne pas être compris par
des spectateurs ne connaissant pas bien la période où le film a été tourné.
Tous les deux ont fait de leur mieux pour que ce premier pas vers la liberté
artistique soit couronné du succès, ce qui fut le cas.
Il faut cependant reconnaître que la Paramount (contrairement à ce que
Wilder a souvent sous entendu par la suite) n’était pas contre qu’un de leurs
scénaristes vedettes devienne réalisateur. Tant Preston Sturges que John Huston
venaient de montrer que des scénaristes pouvaient réaliser de bons films aussi
toutes les chances ont été mises du côté de Wilder. En effet, si la Paramount
avait vraiment tenu à ce que Wilder reste juste scénariste, elle lui aurait
donné un budget ridicule et des acteurs de basse catégorie. Or, s’il est
évident que le film ne manque pas d’argent dans ses décors ou ses costumes, la
Paramount a permis à Wilder d’engager Ginger Rogers, à l’époque une des
vedettes du Box Office. Quant à Ray Milland, s’il est un peu oublié
aujourd’hui, c’était également une vedette de premier plan à la Paramount (même
si Wilder aurait préféré avoir Cary Grant).
Ray Milland fut d’ailleurs souvent appelé injustement le Cary Grant du
pauvre pour avoir souvent incarné des personnages proches de ceux incarnés par
Grant à l’écran (comme c’est le cas ici). Pourtant, sans être le plus
impressionnant des comédiens de l’époque, il possède une fraîcheur, un capital sympathie et une aisance
qui en font un choix parfait pour le personnage. Ce n’est pas pour rien que
Wilder l’utilisera par la suite dans le rôle exigeant et beaucoup plus sombre
d’un alcoolique dans « The Lost Weekend » qui vaudra d’ailleurs
l’Oscar à Milland.
Enfin pour conclure rendons hommage au talent de Ginger Rogers.
Aujourd’hui on se souvient surtout d’elle comme ayant été la partenaire de Fred
Astaire dans une série de films musicaux dans les années 30. Cependant il ne
faudrait pas oublier qu’elle a eu indépendamment une carrière très réussie
comme actrice, et ce dès la fin des années 30, qui lui vaudra un Oscar. Spécialisée
dans la comédie (même si elle tournera plusieurs drames), elle ouvrit la porte
pour toute une génération de sex symbols prouvant que l’on pouvait être glamour
tout en jouant dans une comédie, genre qui impliquait alors un sens de
l’autodérision. Comme tant d’autres, elle a souffert de l’arrivée de la
maturité et a peu à peu disparu des écrans. Il serait grand temps de la
reconnaître comme l’égale de ses contemporaines, Katharine Hepburn, Bette
Davis, Joan Crawford ou Carole Lombard.
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